Agone : « L’édition militante a un besoin vital de vrais libraires »




La maison d’édition Agone a été créée en 1998 et est issue de la revue du même nom, née à Marseille huit ans plus tôt. Le projet éditorial répond à un projet politique, qui se définit par la volonté de proposer des œuvres fournissant au plus grand nombre des outils pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Alternative libertaire : Principes, ligne éditoriale, qu’est-ce que vous voulez représenter dans le paysage éditorial ?

Agone :
Nous souhaitons mener une politique de fond, c’est à dire publier volontairement un nombre de titres limités, importants à nos yeux, avec un travail éditorial conséquent (nombreux échanges avec l’auteur, appareil critique, notes, glossaires…), puis un important suivi en diffusion. Il est hors de question de sortir des titres périmés au bout de quelques mois.

Tout ce travail prend du temps. Cette lenteur est le prix à payer pour que la quinzaine de livres éditée par an soit de la meilleure qualité possible, la plus compréhensible possible pour les lecteurs et lectrices, correctement diffusée avec la meilleure lisibilité sur le long terme. Cette lenteur implique aussi un programme de parutions élaboré très à l’avance (un à deux ans en général). Une autre de nos spécificités est aussi sans doute la part importante de traductions.

Qui sont les lecteurs ?

Agone :
Bonne question… Il nous semble que le lectorat d’Agone est à la jonction de différents milieux qui ne se croisent pas forcément ! Universitaires, classes moyennes, militant-e-s.

Nous sommes autant au contact des lecteurs et lectrices que des libraires indépendants (mais malheureusement aussi Amazon et la FNAC), précieux intermédiaires entre la maison d’édition et ses lecteurs/lectrices.

Quels problèmes se posent à l’édition militante ?

Agone :
La concentration tout d’abord. Comme tous les autres secteurs marchands, le monde de l’édition – même s’il est moins rentable que d’autres d’un point de vue capitalistique – est de plus en plus concentré (horizontalement et verticalement). Les deux principaux groupes en France sont Lagardère, propriétaire du groupe Hachette, représentant des dizaines d’autres maisons, et qui détient aussi des structures de diffusion, une partie de la presse, des librairies, etc. Le second est Editis appartenant à Planeta, une multinationale espagnole, depuis son rachat à Wendel Investissement (de E. A. Seillière).

La diffusion et la distribution sont des fonctions de plus en plus industrialisées. Les gros groupes mettent une pression commerciale sur les libraires, et en retour sur les éditeurs qu’ils diffusent (types de livres, quantités). L’accès aux librairies est donc un enjeu majeur, et la place est chère pour les nombreux petits éditeurs porteurs de livres de fond. Les rapports de forces ne nous sont pas forcément favorables...

C’est pour cela que l’édition militante et indépendante a un besoin vital des vrais libraires, qui prennent des livres parce qu’ils ont un sens pour eux, et non dans le seul but de maximiser leurs bénéfices. Or la librairie indépendante ne se porte pas très bien et subit l’hégémonie d’Amazon (et en partie de la FNAC) et sa politique commerciale hyper agressive, facilitée par les changements de comportements d’achats des acheteurs, qui méconnaissent ces implications

Comme d’autres, vous assumez votre rôle de maison « militante ». Comment se traduit l’engagement aux éditions Agone ?

Agone :
Outre la volonté de mener une politique de fond, en opposition à l’emballement productiviste qui pousse les éditeurs à imposer leurs marques, à publier toujours davantage d’ouvrages de moins en moins maîtrisés et dont la durée de vie est toujours plus courte, nous croyons aussi que si les livres sont importants – leur contenu, les idées qu’ils véhiculent – ils ne le sont pas moins que la façon de les faire.

D’ou notre discours critique à propos de la marque Zone, par exemple, (collection de La Découverte, propriété de la multinationale Planeta), ou encore de l’auteur à succès Hervé Kempf, qui demande aux gens de sortir du capitalisme tout en travaillant avec Le Monde et en étant édité chez Le Seuil, maison propriété du groupe Chanel !
Les idées politiques exprimées dans les ouvrages sont aussi indispensables que la sortie de nos livres en librairie.
Plus concrètement, Agone est constitué sous forme associative, quoique notre fonctionnement soit plus celui d’une coopérative. L’idée de collectif est importante : tout le monde touche le même salaire, même si chacun-e s’investit selon son envie et ses possibilités ; les décisions sont prises le plus collectivement possible, même si les directeurs de collection ont forcément plus d’influence sur le choix des livres.

Certaines collections sont coéditées avec d’autres associations ou collectifs : Survie pour la collection « Dossiers noirs », et Smolny pour le projet d’œuvres complètes de Rosa Luxemburg.

Pour ce qui est de notre rapport à la presse, on travaille surtout avec la presse militante, un peu avec la presse indépendante généraliste, mais le moins possible avec les médias dominants. On ne veut pas nourrir une machine nuisible socialement, aider à remplir leurs journaux, à leur donner un vernis démocratique.

Quels sont vos projets les plus emblématiques à ce jour ? Vous avez créé des collections comme Banc d’essais, ou Manufacture de prose. A quels objectifs cela correspond-il ?

Agone :
Agone a depuis son origine essayé d’articuler des livres plus « savants » (collections « Contre-feux », « Banc d’essais ») et d’autres plus « militants » (« mémoires sociales », « Dossiers noirs »). Le tout formant un ensemble qui participe de diverses façons, nous l’espérons, au décryptage du monde dans lequel nous vivons : son organisation, ses luttes, son histoire…

Les projets pour demain ?

Agone :
Ils sont nombreux ! À court terme, nous espérons surtout la sortie de prison de Jean-Marc Rouillan, dont la demande de semi-liberté après 24 années de prison sera examinée sous peu en appel.

RM et GLB des éditions Agone, propos recueillis par Cuervo (AL 95)

  • Le blog : blog.agone.org
 
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