Allemagne : grève hors norme chez Bosch-Siemens




Le géant allemand a été bousculé cet automne par la grève inattendue de 700 travailleuses et travailleurs, contre la délocalisation de leur usine en Pologne. Une lutte qui a eu un grand retentissement en Allemagne et au-delà, et qui a fait tomber les préjugés entre Allemand-e-s et immigré-e-s d’origine polonaise et kurdes au sein du collectif ouvrier. Une lutte également qui par son dynamisme a effrayé la direction nationale du syndicat IG-Metall qui s’est empressée de négocier un compromis avec Siemens.

L’actualité sociale allemande a été bouleversée pendant quatre semaines, de mi-octobre à mi-novembre, par une grève spectaculaire dans l’usine Bosch-Siemens de Berlin produisant des machines à laver. Les 700 travailleuses et travailleurs, en majorité d’origine turque, kurde, polonaise et allemande étaient menacé-e-s de licenciement pour cause de délocalisation de l’usine en Pologne. Avec des délégué-e-s combatif-ve-s, des assemblées vivantes et une surprenante originalité dans la lutte, ce collectif ouvrier rappelle un peu les travailleur-se-s de Chausson à Gennevilliers, qui dans les années 80 avaient également mené une lutte longue et vivante contre la fermeture.

Il est à noter que la lutte a été essentiellement animée par les ouvrier-e-s d’origine turque, kurde et polonaise. Il y a aussi eu une frange de grévistes allemands, très courageuse, mais minoritaire. Avant la lutte, disent aujourd’hui les grévistes, les rapports entre Turc-ques, Kurdes et Polonais-se étaient tendus – car les Polonais-es étaient surtout embauché-e-s pour remplacer la première génération des travailleur-se-s kurdes.

Les grévistes ont traversé le pays du nord au sud, allant voir d’autres usines pour organiser la solidarité et discuter d’une lutte d’ensemble. Ils et elles ont aussi invité des délégations de Pologne et de Turquie, qui sont parmi les pays favoris pour les délocalisations. À la fin de ce tour d’Allemagne, ils ont voulu organiser une marche vers le siège munichois de Siemens, qui emploie des centaines de milliers de salarié-e-s dans le monde.

Trois jours avant cette grande marche, la direction du syndicat IG-Metall a négocié un compromis avec Siemens : l’usine restera ouverte jusqu’en 2010, 400 travailleur-se-s resteront, le secteur recherche & développement travaillera 40 heures au lieu de 35, et 215 travailleur-se-s partiront dans le cadre d’un plan social. Siemens n’a accepté ce compromis qu’à condition que la marche sur Munich soit annulée, montrant par là sa peur de cette action d’ensemble, car beaucoup de collectifs ouvriers ont voulu converger vers Munich. Mais l’appareil syndical n’a pas non plus voulu de ce mouvement d’ensemble porté par une auto-dynamique échappant à son contrôle !

L’appareil syndical prend peur

Il a fallu que tout l’appareil syndical avec ses permanents vienne à Berlin, sous la grande tente des grévistes, avec des représentant-e-s des partis de gauche, les bouteilles de champagne à la main, pour déclarer aux grévistes : “ C’est un succès énorme, cette grève ! L’usine reste ouverte. ” Mais la plupart des grévistes ont refusé ce compromis. Dans un référendum, 70 % ont voté contre. Malheureusement, dans les clauses d’IG-Metall, il faut 75 % de votes contre pour invalider un accord négocié par la bureaucratie syndicale. Un trait caractéristique du syndicalisme cogestionnaire ! [1]

Ensuite, l’IG-Metall a coupé tout soutien logistique, a démonté la tente et a fait campagne dans la presse pour affirmer que des éléments extérieurs étaient responsables du refus et de la “ déraison ” des travailleuses et des travailleurs.

Brusquement, les grévistes se sont retrouvé-e-s privé-e-s de l’infrastructure matérielle et financière qui les avait soutenu-e-s. Dans la dernière assemblée avant la fin de la grève, ils n’ont eu ni la force ni le courage de continuer.

La frustration était assez grande, trois jours avant la date prévue pour la grande marche vers Munich. Mais le week-end du 18-19 novembre, les travailleur-e-s se sont réuni-e-s à la maison du syndicat pour discuter des suites. Un collectif des ex-grévistes s’est constitué en groupe autonome dans l’usine, ouvert à chacun-e, syndiqué-e ou non, mais indépendant du syndicat et se réunissant régulièrement en dehors de l’usine. Un des projets pour les prochains mois est de faire un film sur cette lutte. Les travailleur-se-s tirent ce bilan : “ Nous avons été surpris par la direction syndicale, une structure autonome nous a fait défaut, nous avons eu trop confiance dans la direction nationale. Mais l’après-grève, c’est aussi l’avant-grève ! ”

Willi Hajek,Berlin, 18-11-06

[1NDLR : Il n’existe aucune disposition de cette nature en France, permettant aux adhérent-e-s d’une fédération syndicale de branche de remettre en cause la signature d’un accord exonérant les signataires de tout contrôle démocratique par leur base.

 
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