Anniversaire : « Alternative libertaire », 200 claques au capital




En novembre 2010, le mensuel Alternative libertaire fêtait son 200e numéro, avec une rétrospective sur presque vingt ans de travail. Trois camarades témoignaient alors
de cette aventure éditoriale depuis ses laborieux débuts, et des évolutions successives jusqu’à la formule actuelle.


LE JOURNAL PRÉCÈDE L’ORGANISATION (1991-1993)

Le journal Alternative libertaire est né en mars 1991, c’est-à-dire trois mois avant l’organisation proprement dite.

Mars 1991.
Premier numéro d’Alternative libertaire, consacré à la guerre du Golfe.

Tout commence avec l’ébullition créée par l’« Appel pour une alternative libertaire » lancé en janvier 1989 par une centaine de militantes et de militants (dont une bonne partie du Collectif jeunes libertaires et de l’Union des travailleurs communistes libertaires). Conçu pour être un « creuset, lieu de débat, sorte d’agora pluraliste et libre », Alternative libertaire fut donc tout d’abord le « journal des collectifs pour une alternative libertaire » créés autour de l’appel, et ouvrait déjà largement ses colonnes à des partenaires en dehors du strict mouvement libertaire.

En élaboration permanente, il accompagnait le processus de construction de la nouvelle organisation (dont le nom restait en suspens), avec les aléas et les balbutiements d’un nouveau-né. La nouvelle commission journal avait mandat d’y faire le lien entre des « racines profondes dans le mouvement ouvrier » et « un contenu novateur adapté à la société contemporaine ».

Janvier 1994.
Contre la révision de la loi Falloux (davantage de fonds publics vers l’enseignement privé).

Dont acte. Un grand journal était né... avec de petits moyens et un directeur de publication tout neuf, le regretté Alain Crosnier.

Imprimé sur rotatives, pour permettre un haut tirage à faible coût, il fut, à l’origine, déclaré bimensuel (ce qui s’avéra plus qu’aléatoire), fabriqué avec un logiciel de PAO aujourd’hui disparu et sur un écran minuscule de 13 x 18 cm alors que les pages centrales mesuraient pas moins de 38 x 61 cm ! Le tout stocké sur des petites disquettes de 3,5 pouces. Siné nous donna un dessin dès le n°2.

Tiré à 1.000 exemplaires, distribué par abonnement, ventes militantes et dépôts dans quelques librairies, l’objectif était déjà d’atteindre les kiosques. De dures réalités financières repoussèrent cette échéance et contraignirent le journal a abandonner son grand format, son gros tirage et son grand distributeur... mais pour quelque temps seulement.

Clotilde (AL 93)


LA PROGRESSION DU TITRE (1993-2007)

C’est à partir de 1993 qu’Alternative libertaire est devenu mensuel et que l’organisation s’est donnée progressivement les moyens d’en faire un journal de référence.

Janvier 1996.
Numéro consacré au mouvement de décembre 1995.

Cela n’a pas été simple. Il a fallu constituer une équipe performante, bien qu’essentiellement non professionnelle. De numéro en numéro Alternative libertaire s’est étoffé avec des rubriques plus régulières, des pages internationales plus fournies. Pour autant, sa fabrication est restée quatre années durant à un stade artisanal. L’impression s’effectuait sur un duplicopieur A3, dans de minuscules locaux au 77, rue des Haies, à Paris 20e, puis le pliage, l’assemblage et l’expédition se faisaient à la main.

Juin 2001.
« Licenciements : droit de veto des travailleurs, autogestion. »

En 1997 Alternative libertaire a changé de maquette et opté pour une couverture tranchée noir et rouge.

La conception graphique de la nouvelle formule fut le fruit d’une collaboration avec Anne-Marie Latrémolière, membre des Graphistes associés, un groupe qui a marqué l’imagerie politique des années 1990.

En 2000, le Ve congrès d’AL décidait un « tournant vers la visibilité » : création d’un véritable site Web, lancement des Amies d’Alternative libertaire et grande campagne (autocollants, affiches, fête) autour du mensuel pour promouvoir son placement en kiosques à partir d’avril 2001. Cela obligea à un fonctionnement plus « pro » avec des délais de travail plus stricts, mais le pari fut en grande partie réussi.

Alternative libertaire parvint à élargir son lectorat, et l’organisation son audience. Nombreux sont celles et ceux qui ont pris contact avec AL après avoir pu lire son mensuel.

Novembre 2003.
« Une idée toujours neuve : l’autogestion. »

Cette évocation pourrait laisser penser que réaliser un tel journal est une affaire de spécialistes. Rien de plus faux. S’il était indispensable de se doter d’une solide équipe de coordination – de l’élaboration du sommaire à la diffusion du titre – nous avons tout fait pour qu’Alternative libertaire soit d’abord un journal d’intervention au service des militantes et des militants.

Cela signifie que nous avons encouragé un maximum de camarades impliquées dans différents fronts de lutte, mais aussi porteurs de réflexions sur leur propre pratique, à écrire, au besoin en les aidant dans cet exercice très particulier qu’est l’écriture journalistique militante.

Janvier 2006.
« Hier comme aujourd’hui : Anticolonialistes »

Pendant toutes ces années, même si la rédaction a reposé en bonne partie sur un réseau de quelques dizaines de contributeurs et contributrices réguliers, ce sont des centaines de signatures qui se sont accumulées de France et d’ailleurs, d’AL, mais aussi d’autres militants politiques, associatifs, syndicalistes, artistes ou écrivains.

Lors des bilans d’activités en congrès, on a pu constater qu’environ 150 personnes différentes écrivaient au moins un papier entre deux congrès (tous les deux ans). Aussi, lorsque certaines et certains d’entre nous ont passé le témoin à une nouvelle équipe qui devait mettre en œuvre la formule actuelle, nous étions contents du travail accompli.

Laurent Esquerre (AL Paris nord-est)


LA NOUVELLE FORMULE (2007 À NOS JOURS)

En 2007, cela faisait dix ans qu’Alternative libertaire n’avait pas changé de formule. Le lectorat stagnait et la diffusion en kiosque s’érodait… mais l’équipe du journal planchait sur un projet de rénovation : baisse du prix, augmentation du tirage à 8.500 exemplaires, diversification du contenu.

Mars 2008.
« Libres et irréductibles. »

Depuis des mois, de nouvelles rubriques étaient testées : la « chronique du travail aliéné », les « classiques de la subversion », le « dico anticapitaliste ». L’équipe se renforçait également de nouvelles et nouveaux camarades et démarchait des collaborateurs extérieurs, notamment les talentueux dessinateurs Berth, Charmag et Colloghan. Par la suite, Rom nous a offert spontanément de collaborer aussi.

Finalement, après un débat au sein d’AL à l’automne, la nouvelle formule a vu le jour en décembre 2007. Le changement de pagination et de format (20 pages de 23 x 32 cm au lieu de 24 pages de 21 x 29,7 cm) a permis d’adjoindre aux traditionnels papiers longs (Histoire, Idées, article politique d’ouverture…) davantage de papiers courts, plus denses.

Juin 2008.
« Syndicalisme, sans-papiers : le réveil ouvrier. »

Au début, faire des numéros spéciaux n’était qu’une hypothèse. Finalement, ils sont rapidement devenus réguliers, avec 12 à 16 pages supplémentaires l’été et l’hiver (sur les classes sociales, le système prostitutionnel, la gauche palestinienne…). À l’occasion, le journal s’est également enrichi de focus culturels : hip-hop et contestation, science-fiction et politique…

Intéresser le grand public et être utile aux milieux militants : concilier les deux n’est pas simple ! C’est le rôle dévolu aux petits dossiers argumentaires produits au gré de l’actualité : sur les retraites, la santé, le patriarcat, la Constitution européenne, le logement, la redistribution des richesses, la représentativité syndicale… et, plus récemment, sur le conspirationnisme et la dérive réactionnaire d’une fraction du mouvement autonome (les « appélistes ») – salutaires coups de pieds dans la fourmilière, sur des sujets tabous pour une partie ou une autre de l’extrême gauche.

Février 2009
« Liberté pour la Palestine. »

Mais la tâche est rude. Pour en mesurer l’ampleur, il faut avoir à l’esprit qu’Alternative libertaire est exclusivement réalisé par une équipe non professionnelle, formée sur le tas et bien sûr bénévole – cela a refroidi quelques journalistes en herbe qui nous ont contacté pour un stage ou un CDD.

Cette équipe est mandatée à chaque congrès pour piloter un journal qui soit représentatif d’AL. Pour ce faire, on a voulu éviter trois « modèles » de journaux militants.

  1. le modèle « libre tribune » : pas de conception générale, on prend tout ce qui arrive sans trier, sans souci de longueurs ni de cohérence d’ensemble ;
  2. le modèle « bulletin officiel » : on copie-colle les uns à la suite des autres les communiqués des groupes ;
  3. le modèle « revue de qualité » : on ne fait appel qu’à un aréopage d’auteures de haut vol, au détriment des militantes et des militants de terrain.
Décembre 2009.
« Capitalisme, environnement : la fuite en avant. »

A contrario, Alternative libertaire essaie plutôt de se situer dans la lignée d’un « journalisme ouvrier » à la Pierre Monatte, qui impose de jongler avec plusieurs exigences :

  • assurer une cohérence d’ensemble, avec un sommaire conçu en amont, et un choix assumé dans la hiérarchie des sujets ;
  • éviter de publier un fanzine de militantes qui parlent à d’autres militantes, donc garantir un langage accessible, des titres attrayants ;
  • ne pas se cantonner aux mêmes rédactrices et rédacteurs éprouvés, mais « pousser » également des camarades moins à l’aise avec l’écriture ;
  • se situer dans le cadre des orientations politiques d’AL, sous le contrôle (bienveillant) de l’organisation.

Ce travail relève parfois du numéro d’équilibriste, mais nous espérons que le résultat est positif aussi bien pour les convaincus que pour les néophytes qui veulent s’intéresser au courant communiste libertaire !

Guillaume Davranche (AL 93)

Dessin pour une affiche de promotion du journal
Dessiné par Luz en 2004, retouché après le lancement de la nouvelle formule en 2007.
Au sol : Seillière, Hollande, Sarkozy.
 
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