Chronique du travail aliéné : Yvonne*, dame de cantine




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).

<titre|titre="Ça cancane toujours au village">

Il y a eu liquidation judiciaire du restaurant scolaire. C’était une association de parents qui gérait, et ça ne marchait plus du tout. Une grosse société de restauration collective l’a repris. J’avais un poste fixe, maintenant je vadrouille. J’étais responsable de la cuisine, je me retrouve polyvalente, plongeuse ou je ne sais quoi. Je ne m’y suis pas encore habituée.

La cantine, ça se dégradait, il y avait de plus en plus d’enfants. Le village s’agrandit, et en même temps il y a moins de recettes : ils avaient arrêté le bal des ménages et le loto, la kermesse. Avec le nouveau bureau de l’association, ce n’était plus la même ambiance. Il a fallu aménager une cuisine toute neuve, beaucoup plus grande, et on était seulement deux… L’ancien aménagement était plus pratique. Là tout est plus éloigné, c’est plus de ménage, plus d’enfants à faire manger, plus de travail, plus de vaisselle, plus de tout…

Il aurait fallu plus de personnel, en fait. On est passés de 120 enfants, en moyenne, à 170… en quelques années.

Il y avait un père qui venait tous les jours, qui nous harcelait. Il agrafait au mur des documents sur l’éducation qu’il trouvait sur Internet. Il nous harcelait parce qu’on apprenait aux enfants à manger des légumes ! Mais moi ça faisait vingt-et-un an que je travaillais là. Mon mari est agriculteur. J’ai commencé à avoir mal partout, à l’épaule, j’ai eu un fibrome aussi. Rien n’allait, j’ai commencé à prendre des arrêts-maladie. Ça s’est mal terminé avec les parents. Le président a claqué la porte, alors qu’il me devait encore vingt heures. Je les ai eues aux prud’hommes, il y a deux mois, mais ça cancane toujours dans le village. Je suis mal à l’aise quand je vais chercher le pain. J’ai les institutrices avec moi et le conseil municipal, mais pendant mon arrêt de travail, je n’osais pas trop sortir…

Quand la nouvelle société a repris, la mairie avait demandé qu’on garde le même statut, le même salaire. Résultat j’ai baissé de 300 euros, ma collègue de 600. Il paraît que c’est légal… on se renseigne. Elle est restée là-bas, avec un nouveau chef. Elle en bave. Ils ne sont toujours que deux.

Moi, comme je me suis fait opérer de l’épaule, je suis restée un an en arrêt-maladie. Je demandais de retourner à mon poste avec de l’aide. Mais ils m’ont humiliée, ils m’envoient n’importe où. Je ne dors plus, j’ai des angoisses. Le médecin m’a dit de ne pas forcer. Avec une prothèse, si je force c’est tant pis, je n’ai plus d’épaule… Mais comment voulez-vous ne pas vous servir de l’épaule droite à la plonge des gamelles ou en épluchant 50 kilos de pommes de terre ? J’agace tout le monde à aller trop lentement, alors qu’il y a une montagne de travail. Je n’ai que 55 ans, et je n’en peux plus.

• Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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