Xe congrès d’AL (Angers, 2010)

De la crise économique, sociale et écologique à la nécessité d’une rupture avec le capitalisme




Depuis 2002, la France est gouvernée par une droite décomplexée et offensive qui accomplit méthodiquement les éléments d’un programme néolibéral et réactionnaire. Ce programme s’attaque à tous les droits sociaux issus du compromis social de l’après-guerre déjà ébranlés par les précédents gouvernements sociaux-libéraux. Il remet en cause le droit à l’éducation et la séparation des Églises et de l’État, mais aussi les droits des femmes durement conquis dans les années 1970-1980. Il ravive le nationalisme et le racisme et poursuit la construction d’un État sécuritaire.

L’élection de Sarkozy à la présidence de la République et d’une majorité UMP à l’Assemblée nationale en 2007 n’a fait qu’accélérer sa mise en place. Pourtant, fin 2008, la crise financière mondiale a durement atteint les fondements mêmes de ce programme : contrairement à ce que tous les discours néolibéraux prônaient depuis des décennies, les États sont intervenus massivement dans l’économie pour sauver les banques, la liberté de la finance et les bonus des traders ont été dénoncés, d’aucuns en ont appelé à de nouvelles formes de régulation internationale de l’économie.

Qu’en est-il aujourd’hui de cette brèche dans la contre-révolution néolibérale ? Nous analyserons ici ses victoires, ses faiblesses et ses contradictions, en prenant en compte tous les aspects de ce projet politique global.

1. De la crise financière à la crise économique : les contradictions du régime actuel d’accumulation du capital

Ce n’est pas la crise d’un certain type de capitalisme amoral auquel nous assistons mais bien à une crise de valorisation du Capital, ce qui nous permet de remettre en cause l’ensemble du fonctionnement de ce système. Rechercher les causes de la crise financière du côté de la spéculation ou du surendettement serait refaire l’erreur d’appréciation économique des antilibéraux qui scindent le capital financier du capital industriel comme si les deux résultaient d’une accumulation différente de Capital. Rompre avec ce discours intentionnel nous est donc nécessaire : non cette crise n’est pas la faute des banquiers, non elle n’est pas celle d’une forme particulière de capitalisme ou d’accumulation du capital mais elle est celle du système capitaliste recherchant le principe de « faire avec de l’argent plus d’argent ». La crise n’est pas celle d’un mode d’accumulation particulier du Capital mais est inhérente à l’accumulation du Capital lui-même.

Les exigences de rentabilité démentielles (15% de retour sur investissement, ou plus…), avec sanction immédiate en cas de manquement (baisse du cours de l’action), associées à l’exigence de compétitivité, occasionnent ce qu’on sait : compression de la masse salariale par la pression à la baisse des salaires, les licenciements, délocalisations, et externalisations ; flexibilisation par le recours aux contrats précaires, intensification des cadences, détérioration des conditions de travail. Ceci a eu pour résultat une forte baisse de la part salariale dans le partage de la valeur ajoutée depuis le début des années 80, au bénéfice de profits servant presque exclusivement à engraisser les actionnaires ou leurs employés (banquiers, traders ou autres boursicoteurs…).

Par conséquent, l’évolution de la répartition des revenus s’est faite en faveur des hauts revenus, accroissant les inégalités. En effet, au sein des 5 % des foyers les plus riches, les revenus déclarés ont augmenté de 11% depuis 1998 ; au sein des 1 % des foyers les plus riches, ils ont augmenté de 19% ; au sein des 0.1 % les plus riches de 32% et au sein des 0.01% les plus riches de près de 43% ! Ces hausses sont dues à l’augmentation des très hauts salaires, mais aussi à celle des plus values, des dividendes et des revenus fonciers (donc des loyers ponctionnés sur les salaires déjà maigres des travailleurs et des travailleuses). Loin de s’éteindre, la lutte des classes n’a fait que gagner en puissance ces dernières années… en faveur des capitalistes !

Néanmoins, ce phénomène a une conséquence perverse pour les capitalistes : la faiblesse des revenus des travailleuses et des travailleurs occasionne une faiblesse de la demande, et donc une baisse de la consommation, avec pour conséquence une baisse des profits. La contradiction interne au régime apparaît clairement : l’exigence de profitabilité nécessite une pression toujours plus grande sur les salaires, entraînant une incapacité toujours plus grande du prolétariat à jouer son rôle de pilier du système en tant que consommateur. C’est ce mécanisme qui est fondamentalement à l’origine de la crise, et qui en fait une crise du capitalisme et non une simple crise financière.

Néanmoins, les capitalistes et leurs alliés ont trouvé les moyens de contourner, temporairement, les conséquences inéluctables de leur propre avidité. Aux États-Unis, le « remède » trouvé sera le crédit, qui permet au prolétariat de tenir son rôle de consommateur au-delà de ses capacités réelles. Et, en effet, le surendettement des ménages américains (120% du revenu disponible), aura permis un temps de maintenir la demande à un niveau suffisant pour entretenir la fameuse croissance-miracle américaine tant vantée par les adorateurs du néo-libéralisme.

La prolifération du crédit a donc permis d’entretenir la machine productrice et la bulle spéculative, puisqu’à l’avalanche de crédit succède l‘avalanche de dérivés de crédits ou de titres gagés sur des créances, permettant de grossir artificiellement les volumes de capitaux en circulation. Il arrive néanmoins un moment où le surendettement des travailleurs et des travailleuses bascule dans l’insolvabilité et où toute la machine capitaliste s’effondre, suite à des restrictions dans l’attribution de ce crédit qui était auparavant si généreusement distribué au quatre vents et qui est si nécessaire à l’entretien du système.

En France, une situation un peu moins inégalitaire a rendu moins nécessaire le recours au crédit. Mais la France n’en participe pas moins au même régime d’accumulation du capital, entraînant l’explosion déjà mentionnée des inégalités entre les très riches et le reste de la population ce qui tend à converger avec les pays anglo-saxons), avec des effets analogues de contraction de la demande. C’est pourquoi Sarkozy promeut le « travailler plus pour gagner plus » afin de pallier cette faiblesse de la demande.

A côté de ses conséquences économiques et sociales néfastes, la recherche d’un profit toujours plus grand engendre un pillage des ressources naturelles et une dévastation de l’environnement. Il ne faut pas se leurrer sur la possibilité d’un « capitalisme vert ». Afin de satisfaire sa soif de profits exponentiels, ce système, quelque soit la couleur qu’on y accole, génère inévitablement une surproduction délétère. Avec en parallèle la mise en place de stratégie de marketing assommant pour écouler l’énorme masse de marchandises inutiles. En plus d’être asservis dans notre travail, nos besoins et nos désirs sont donc également dominés par la machine productiviste. Il est impossible d’éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mènent depuis 150 ans. Seule une rupture avec le capitalisme, et la mise en place d’une économie fondée non-plus sur l’intérêt des classes possédantes mais sur les réels besoins de la population, pourra mettre fin au désastre écologique. L’écologie est par conséquent une des conditions essentielles de la critique théorique et pratique du capitalisme. AL ne peut donc faire l’économie d’une analyse approfondie de l’impact du capitalisme sur notre environnement et des alternatives à mettre en place.

2. Une réponse à la crise par les capitalistes et l’État qui en perpétuent les causes et fait peser sur les travailleurs l’intégralité les conséquences de la crise

2.1 De la crise financière à la crise économique…

Les bulles économiques créées par les produits spéculatifs et financiers finissent nécessairement par exploser, laissant pour seule sortie de crise au capital un réinvestissement massif de fonds propres par les Etats et les banques centrales pour permettre la création de nouvelles bulles spéculatives et ce, sous peine d’effondrement du système. Ces réinvestissements créent un véritable envol de l’endettement public que l’État se doit de répercuter sous la forme d’une crise budgétaire (via un plan d’austérité).

C’est cette conséquence de la crise plus que la crise elle-même qui est en possibilité de créer une crise de surproduction. Crise qui n’est finalement qu’une conséquence aggravante du krak financier mais n’entraine pas son apogée. Puisque les États réinjectent massivement des fonds propres après ces crises, les nouvelles bulles ainsi crées sont plus importantes mais également plus précaires, rapprochant la fréquence de leurs éclatements. Les États n’ayant plus le temps de résorber leurs dettes publiques risquent donc de peiner de plus en plus à réinvestir pour relancer la machine. L’augmentation de leurs créances rendant également leurs fonds de moins en moins propres. On peut légitimement penser que ce phénomène peut aller jusqu’à l’insolvabilité d’un État déclarée en faillite et ce, pas seulement pour la Grèce et l’Islande. Ce sont ces aides publiques qui nous permettent actuellement de nous trouver dans le creux de la crise mais elle risque de repartir assez rapidement dans les années à venir.

Cette accalmie de la crise, si elle soulagera les capitalistes, verra l’intensification de la pression sur les classes
populaires... D’une part, les capitalistes, notamment les institutions financières, chercheront à « se refaire », et accentueront leur volonté d’extorsion du profit. D’autre part, l’État, surendetté après avoir porté secours à ses amis capitalistes, brandira la dette et la crise des finances publiques comme prétextes pour pilonner les services publics et augmenter les impôts pour les plus démuni-e-s, sans rien changer à l’imposition des entreprises et de la bourgeoisie. Enfin, l’inflation due à l’augmentation des prix des matières premières et à l’activation de la planche à billets par les Banques Centrales, contribuera à diminuer le salaire réel des travailleuses et des travailleurs.

Car le conflit générationnel opportunément mis en avant (« la dette que nous allons léguer à nos enfants ») a surtout pour fonction de masquer le conflit fondamental entre les moins riches qui, par leurs impôts, paient le service de la dette, et les plus riches, largement défiscalisés, qui en détiennent les titres de créances. Ce qui va avoir logiquement pour effet de creuser, une fois de plus, les inégalités.

Néanmoins, on doit noter que les capitalistes comme le gouvernement marchent sur des œufs. Ils accumulent les signes destinés à faire croire aux travailleurs qu’ils se soucient de leur sort : c‘est pourquoi les bonus des traders ou les parachutes dorés sont montrés du doigt. Il ne s’agit, bien entendu, que d’une posture théâtrale destinée à contenir la colère des travailleurs et des travailleuses : seuls sont dénoncés les éléments les plus caricaturaux et scandaleux de la machine capitaliste, afin d’en voiler les mécanismes structurels profonds en tant que régime d’accumulation et d’exploitation des travailleurs. L’objectif ultime est de rassembler « tous les Français », capitalistes « moraux » (par opposition aux brebis galeuses consacrées par les médias) et travailleur-se-s, sous la joyeuse bannière de la réconciliation du capital et du travail. Par ailleurs, la spoliation du prolétariat ne peut pas être trop brusque et l’un des rôles de l’État actuellement est d’étaler les effets de la crise, qui pèseront ainsi pendant plusieurs années sur les épaules des travailleuses et des travailleurs.

Il est donc nécessaire d’aller à l’encontre de cette stratégie gouvernementale et de se servir de la crise et de ses conséquences comme tremplin pour un discours anticapitaliste, réhabilitant l’idée de lutte de classes.

2.2… en passant par la crise sociale

Il en résulte une situation sociale qui a empiré : le taux de chômage atteint son niveau de 1999, avec 10 % de la population active (France « métropolitaine » et DOM-TOM), et ce malgré les nombreuses radiations intervenues ces dernières années et la non prise en compte de plusieurs catégories de chômeurs-ses. Il est particulièrement fort chez les moins de 25 ans, les plus de 55 ans et devenu équivalent parmi les hommes et parmi les femmes, car ce sont principalement les hommes qui sont touchés par les licenciements actuels dans l’industrie. Cela s’inscrit dans un contexte de pression généralisée sur les chômeurs et des chômeuses, sommés d’accepter des offres d’emploi aberrantes (ne correspondant pas à la qualification ou à la demande des chômeur-ses, situées loin de leur domicile, etc.) sous peine de radiation. Le chômage alimente par ailleurs le marché lucratif du reclassement, les chômeurs et chômeuses les plus susceptibles de retrouver du travail étant confié-es au secteur privé, ce qui coûte beaucoup plus cher à la collectivité.

Poursuivant la tendance des dernières décennies, les contrats précaires, le temps partiel imposé et, maintenant, les auto-entrepreneurs – qui représentent une forme extrême de précarité –continuent de se développer. De la même façon, les travailleurs et surtout les travailleuses vivant en-dessous du seuil de pauvreté sont de plus en plus nombreuses. Là encore, la précarité extrême que représente l’intérim alimente un marché lucratif comme en témoigne la multiplication des agences d’intérim, qui n’hésitent pas à recourir aux travailleurs et travailleuses sans-papiers, et donc sans droits.

Conséquence de cela, les revenus des ménages stagnent ou régressent, exposant un nombre croissant d’entre eux au surendettement. En effet, dans le même temps, les loyers continuent d’augmenter malgré la crise immobilière, tout comme le prix de l’énergie et des produits de première nécessité.

2.3. L’occasion d’accélérer la contre-réforme néolibérale

La réduction de l’activité économique et la stagnation ou la baisse des revenus des ménages entraînent une forte réduction des recettes fiscales de l’État. De fait, en France, le refinancement des banques a très peu coûté à l’État en raison des taux d’intérêts élevés auxquelles ces sommes ont été accordées, le rétablissement de la finance permettant leur remboursement rapide. C’est donc indirectement, par la crise économique elle-même provoquée par la crise financière, que les finances publiques de l’État sont touchées. Le produit intérieur brut a régressé de 2,2 % en France en 2009. Cela accroît un déficit budgétaire estimé à près de 8 % du PIB en 2009, soit beaucoup plus que les 3 % théoriquement autorisés par le traité Maastricht. L’augmentation des impôts n’étant pas envisageable par la droite néolibérale, le gouvernement a recours à l’endettement et la dette publique de l’État atteint 83 % du PIB en France.

Là où on a pu envisager un moment la remise en question, même partielle, des préceptes néolibéraux du consensus de Washington, la crise des finances publiques (particulièrement aiguë en Grèce) permet au contraire le retour du traitement de choc néolibéral. Partout en Europe, les gouvernements envisagent la poursuite de la réduction drastique des dépenses publiques à travers la baisse du nombre de fonctionnaires et le recul de l’âge de la retraite.

Pour l’instant, l’État a pu privatiser la Poste sans être arrêté par une résistance insuffisante, il prévoit le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, et a déjà fait voter une loi permettant de les licencier, ouvrant une brèche majeure dans le statut des fonctionnaires. Ainsi la révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée en 2007 est un pas de plus vers la mise en place de l’État managérial : elle soumet les services publics à la stagnation ou à la baisse de leur budget, impose l’introduction d’une gestion entrepreneuriale et un renforcement de la hiérarchie, ce qui entraîne une forte dégradation des conditions de travail de l’ensemble des salarié-es de la fonction publique (fonctionnaires, salariés de droit privé, contrats précaires).

Dans l’éducation, la logique de privatisation qui, en cassant l’école publique et les aides sociales pour l’accès aux études, fait de plus en plus de place à l’école privée (augmentation des postes au concours d’enseignant-es dans ce secteur et transferts massifs de fonds du public au privé, tant par l’État que par les collectivités locales), va au-delà d’une simple réduction des coûts et d’un cadeau au marché privé. Il s’agit là d’une réelle offensive idéologique contre le droit à l’éducation pour tous et toutes : l’enseignement privé est appelé à devenir le système éducatif de référence, qui choisit ses élèves au lieu que les élèves puissent choisir leur formation. Parallèlement, l’État organise la destruction des qualifications : la réforme du bac pro comme la remise en cause du cadrage national des diplômes permettent la baisse des rémunérations fondées sur ces diplômes.

La crise du capitalisme mondialisé n’a donc pas arrêté les victoires de la contre-révolution néolibérale et semble au contraire offrir une occasion de l’accélérer.

3. La fuite en avant dans la destruction des ressources naturelles

On constate la même fuite en avant en ce qui concerne la crise environnementale. Celle-ci est multiple : la concentration des gaz à effet de serre qui entraîne le réchauffement climatique en représente l’aspect le plus spectaculaire, puisqu’elle entraîne la fonte des calottes glaciaires, la hausse du niveau des mers, et l’instabilité croissante des climats. Mais cette crise environnementale se caractérise aussi par la pollution de l’eau, des sols et de l’air, le recul de la biodiversité, la déforestation, ou encore l’épuisement des ressources énergétiques et en eau. L’essentiel de ces atteintes à l’environnement, qui menacent en retour l’humanité, est imputable au système capitaliste, fondé sur la croissance infinie des profits à n’importe quel prix. C’est pourquoi il ne peut y avoir de réponse à la crise environnementale sans remise en cause du capitalisme.

La question du réchauffement climatique n’est prise en compte au niveau international que depuis 1995 : le protocole de Kyoto, non ratifié par les États-Unis, signé en 1998, n’est entré en vigueur qu’en 2005, avec un objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % en 2012. Cinq ans après, l’émission des gaz à effet de serre continue d’augmenter. Avec ce protocole, les États prétendent lutter contre le réchauffement climatique par des méthodes capitalistes (marché des droits à polluer) ou par le recours à des techniques toujours plus sophistiquées (puits de carbone, etc.) dont le seul but est d’éviter la remise en cause du mode de production actuel et la course absurde à la croissance. La dernière conférence internationale sur le climat, qui s’est tenue en décembre 2009 à Copenhague, a abouti à l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle, mais sans préciser les moyens à mettre en œuvre, ni des objectifs contraignants pour les différents pays. Le protocole de Kyoto, déjà insuffisant, expire en 2012 et n’a pour l’instant pas de remplaçant.

En France, le gouvernement mise sur le nucléaire pour réduire l’émission des gaz à effet de serre. Cette énergie dangereuse et extrêmement polluante (déchets radioactifs), fondée qui plus est sur une ressource non renouvelable (l’uranium), monopolise les investissements et la recherche en France, au détriment des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique). Un nouveau réacteur nucléaire (EPR) est en cours de construction à Flamanville (Manche) et l’État cherche à prolonger la durée de vie des autres centrales. La France est également l’État qui participe le plus à la prolifération nucléaire dans le monde.

Du côté des OGM, si la production est toujours interdite en France, les importations ne sont pas contrôlées, notamment pour l’alimentation du bétail. Par ailleurs, la commission européenne, travaillée par les lobbies pro-OGM, cherche régulièrement à permettre l’entrée des OGM dans nos assiettes : ainsi, le label bio européen permet la présence de 0,9 % d’OGM dans les produits bio, soit le même seuil que pour les aliments issus de l’agriculture conventionnelle, alors même que le seuil de détection des OGM est de 0,1 %. C’est donc une brèche volontaire visant à développer peu à peu la présence des OGM dans notre alimentation.

L’omniprésence des discours sur le développement durable ne peut donc faire oublier la poursuite générale d’un mode de production destructeur pour l’environnement et l’humanité, au nom de la sacro-sainte croissance et par le biais d’une techno-science toujours plus envahissante. À cet égard, les récents mouvements des chercheurs pour la sauvegarde de leur indépendance doit nous interpeller : si nous nous retrouvons à leurs côtés pour dénoncer la mainmise de l’État sur la recherche et sa prétention à la gérer comme une entreprise capitaliste, il nous semble en revanche que le contrôle collectif de la recherche dans l’intérêt général est une nécessité pour éviter les aberrations des OGM, des nanotechnologies ou du nucléaire, développées dans la plus grande opacité.

4. De l’État social à l’État sécuritaire

La contre-révolution néolibérale détruit peu à peu l’État social, sans toutefois se priver du soutien de l’État aux grandes entreprises et aux banques. Dans le même temps, elle renforce les fonctions régaliennes de l’État et, en particulier sa composante sécuritaire.

Depuis la loi sur la sécurité quotidienne de Vaillant (PS) en 2001, une vingtaine de lois ou de décrets se sont succédé et une petite dizaine d’autres sont en cours de discussion pour restreindre les libertés, que ce soit en accentuant les peines, en renforçant les pouvoirs et l’arsenal de la police nationale ou municipale comme des services de sécurité privée , en étendant le fichage des personnes ou les moyens de surveillance dans la rue comme sur Internet. Contrôle et répression se sont particulièrement accrus pour les migrants, dont les maigres droits se réduisent à peau de chagrin, et ceux dont le délit est d’être solidaire. Cet ensemble législatif crée une société répressive qui remet progressivement en cause des droits fondamentaux comme la présomption d’innocence. Le principe de l’habeas corpus (droit de ne pas être emprisonné sans jugement) est doublement attaqué aujourd’hui par les lois antiterroristes et anti-immigration qui permettent une garde à vue étendue à six jours pour certains motifs, la rétention administrative en attendant une expulsion du territoire, ou encore par la loi sur la rétention de sûreté (25 février 2008), qui permet de maintenir enfermé des prisonniers qui ont purgé leur peine mais sont présumés récidivistes potentiels, donc enfermés pour des faits qu’ils n’ont pas commis mais pourraient commettre. Par ailleurs, la justice des mineurs se calque de plus en plus sur la justice des majeurs, niant la possibilité même d’éduquer les mineurs. Cela s’accompagne du renforcement de la pédagogie de la soumission à l’école et de l’augmentation du nombre des personnels chargés du maintien de l’ordre dans les établissements scolaires, alors même qu’on réduit drastiquement celui des enseignants.

Les interdictions se multiplient (port des cagoules en manifestation, téléchargement sur Internet, etc.) et les peines sont alourdies, tandis que la procédure de la comparution immédiate se généralise. En permettant de ne consacrer qu’une dizaine de minutes par prévenu, celle-ci est une conséquence directe de la réduction drastique du budget de la justice. D’un autre côté, elle accroît la tendance à la société de contrôle et d’enfermement : le refus de comparution immédiate entraîne le passage obligé en détention et la France est régulièrement dénoncée pour cela par la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, la loi sur la récidive et les peines planchers multiplie les peines d’enfermement et remet en cause l’autonomie du juge, qui est contraint à appliquer des peines automatiques. Ainsi, l’indépendance même de la justice, principe fondamental de l’État libéral (au sens politique) dit « de droit », est remise en cause par l’intervention permanente de l’exécutif dans les procédures, le rôle accru des procureurs et la suppression prévue des juges d’instruction.

Cet arsenal répressif vise certaines populations, les prostitué-es, les migrant-es, les jeunes des quartiers populaires, mais aussi, plus généralement, tous ceux et celles qui dévient (ou sont soupçonnés de dévier) un tant soit peu de rails de plus en plus étroits, et a fortiori tous ceux et celles qui résistent et luttent contre ces politiques. La répression contre les mouvements sociaux s’accroît et l’emblématique affaire Coupat ne doit pas faire oublier les nombreux procès qui ont lieu régulièrement contre des militant-es lycéen-nes, étudiant-es, enseignant-es, écologistes ou syndicalistes.

5. Le renouveau du nationalisme et du racisme

Le projet politique néolibéral sur le plan économique est aussi profondément réactionnaire sur d’autres plans. La remise en cause des libertés fondamentales s’accompagne d’un renouveau du nationalisme et du racisme, cette fois directement alimenté par l’État et relayé par les médias. Comme au XIXe siècle, le nationalisme est l’idéologie proposée au peuple comme ferment d’unité face aux tensions qu’entraîne l’accroissement des inégalités sociales, de l’exploitation et de la domination.

La droite décomplexée a largement repris à son compte les discours et le programme du Front national, qui désigne l’immigré comme responsable du chômage et du prétendu « déclin » de la France. Face à la mondialisation qu’il a lui-même activement produite (notamment par le biais de l’Union européenne et les organismes internationaux), l’État propose à ses citoyens un repli nationaliste qui est aussi un levier important de la collaboration de classe. C’est au nom du même nationalisme (ou « intérêt national ») que l’État vole au secours des grandes entreprises menacées par une OPA étrangère ou des banques.

La prise en charge du renouveau nationaliste par l’État a été marquée en 2007 par la création d’un Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, et par le lancement en 2009 d’un débat officiel sur cette même « identité nationale ». Ce prétendu débat organisé dans les préfectures avec un public trié sur le volet a ouvert la porte à des discours ouvertement racistes et en particulier islamophobes.

C’est le sommet de l’État qui valide ainsi le racisme diffus dans la société française à l’encontre des migrantes et des migrants, mais aussi des descendants d’immigré-es, dont certaines et certains continuent de nier la nationalité française. Cela fait de ces populations un groupe « racisé » de fait, c’est-à-dire sans cesse renvoyé à une origine même lointaine associée à la couleur de la peau. Ce groupe est directement visé par des violences policières récurrentes, en particulier dans les quartiers populaires de banlieue, et c’est même là le principal déclencheur de leur embrasement périodique. L’exploitation du racisme par l’État et le patronat permet de masquer la question sociale pourtant brûlante. L’offensive raciste pendant l’été 2010 (campagne anti-Rroms, discours de Grenoble, déchéance de la nationalité prévue par la loi Besson, etc.) montre que l’État joue un véritable rôle d’impulsion du racisme et renoue dans ce domaine avec l’esprit du régime de Vichy.

Elle attise également l’extrême droite, dont on ne peut que constater le maintien électoral à l’issue des élections régionales de 2010 : le FN a été remis en selle par le débat sur l’identité nationale. Parallèlement, on observe un inquiétant renouveau de groupes d’extrême droite qui savent occuper la rue. En février dernier à Paris par exemple, plusieurs centaines de militants de cette mouvance ont empêché la tenue d’un Kiss-In contre l’homophobie devant Notre-Dame. Et dans certaines petites villes du Nord de la France comme Chauny (Picardie), les agressions fascistes se multiplient. Cela rend urgent la réactivation de l’antifascisme, dans la lignée de la manifestation du 27 mars à Chauny et de celle de Lyon, le 10 avril 2010.

6. La permanence du patriarcat

Que ce soit sur le plan du racisme ou du patriarcat, le gouvernement de droite se targue d’avoir mis en place des instruments de lutte contre les discriminations (HALDE notamment). Cela n’empêche pas les inégalités flagrantes de se maintenir entre les hommes et les femmes. Et cela s’accompagne de la remise en cause par l’État du droit fondamental pour les femmes de disposer de leur corps.

En 2009, l’État a annoncé la réduction drastique (de 42 %) des subventions allouées aux nombreuses associations agissant sur le terrain des droits des femmes dans le domaine du conseil conjugal et familial, comme le Planning familial, qui diffuse l’information sur la contraception et l’avortement à travers tout le pays. Grâce à la mobilisation du mouvement féministe ce projet a été ajourné jusqu’en 2011, mais rien n’indique qu’il ne reviendra pas à l’ordre du jour tant il est cohérent avec le retrait de l’État du financement du secteur de l’éducation populaire.

La même année, l’AP-HP, qui gère les hôpitaux publics de Paris et de sa région, a fermé trois centres IVG en Île-de-France, entraînant la médiatisation d’une tendance plus large à la fermeture des établissements de santé pratiquant l’IVG dans les années 2000. Sous-évaluée de 30 %, la tarification de l’IVG conduit également les cliniques privées à ne plus proposer cet acte médical. Aujourd’hui, des femmes prennent de nouveau le chemin de l’étranger pour avorter, conséquence d’un recul inacceptable de ce droit conquis de haute lutte par les femmes dans les années 1970.

Sur le plan des droits, une loi spécifique sur les violences faites aux femmes est en discussion à l’Assemblée mais, de toute façon, ce type de loi ne s’accompagne pas des moyens nécessaires pour leur application effective (comme les différentes lois sur l’égalité salariale entre hommes et femmes), et les droits des homosexuel-les et des transsexuel-les n’avancent pas. Le PACS se banalise, mais la filiation n’est toujours pas reconnue aux parents sociaux des couples homosexuels, tout comme l’adoption. Le changement de sexe ou de genre, quant à lui, est toujours un parcours du combattant.

D’une manière générale, le patriarcat se porte bien : les femmes effectuent toujours l’essentiel du travail domestique, tout en étant sous-employées et sous-payées par ailleurs. Elles sont les plus précaires et les plus pauvres des travailleurs, celles qui ont les retraites les plus faibles. Plus souvent au chômage que les hommes jusqu’en 2009, ils le sont autant qu’elles depuis la crise qui affecte en particulier les emplois industriels, une égalisation qui n’a pas de quoi nous réjouir.

Ciment du patriarcat, le sexisme est omniprésent : dans les publicités, de toutes sortes, dans les magazines (féminins et masculins), dans les jouets et dans les mentalités. Dans les cours d’écoles, la sociabilité est toujours aussi peu mixte, avec des groupes de filles et des groupes de garçons et un apprentissage séparé à l’adolescence qui renforce tous les stéréotypes de genre véhiculés par les médias, les parents et les enseignant-es.

Il en résulte un mélange étrange entre une égalité formelle entre hommes et femmes, une revendication d’autonomie de la plupart de ces dernières et en même temps, une survalorisation générale de la maternité, du couple hétérosexuel et, plus généralement, des rôles de genres inégalitaires à peine modernisés.

7. Une réaction en demi-teinte des travailleurs et des travailleuses et la nécessité de mener la bataille idéologique

Face à la crise et aux multiples attaques gouvernementales contre les services publics, les droits sociaux et les libertés, les luttes existent mais restent parcellaires et éparpillées. Des salarié-es se battent contre la fermeture de leur usine, recourant de plus en plus à l’occupation des locaux et à la séquestration des dirigeants : la SBFM à Lorient, Goodyear à Amiens, Molex dans le Tarn, Philips à Dreux, Total à Dunkerque… Des fonctionnaires et des salarié-es précaires du secteur public se battent pour dénoncer les restructurations et les suppressions de postes, à l’hôpital, dans l’éducation, dans la culture… Des collectifs se créent pour dénoncer la vidéosurveillance, des pétitions circulent contre la création d’un nouveau fichier de police comme EDVIGE. Des femmes se battent contre la fermeture du centre IVG de l’hôpital Tenon à Paris ou de celui de l’Hôtel Dieu à Lyon. La France connaît des vagues de grèves inédites de milliers de travailleurs sans-papiers. En mars 2010, ce sont 6 000 travailleurs et travailleuses sans-papiers de divers secteurs qui sont en grève depuis cinq mois, à la fois pour obtenir une régularisation de tous et toutes les sans-papiers, et pour améliorer leurs conditions de travail.

Ces diverses luttes témoignent de la colère accumulée dans la population face à la violence de la crise et des contre-réformes de l’État. Malgré des tentatives de coordination entre différentes luttes, pour commencer entre les boites menacées de fermeture qui a donné lieu à une manifestation à Paris le 17 septembre 2009, celles-ci n’ont pas été relayées par les syndicats majoritaires qui, au contraire, ont tout fait pour éviter un mouvement d’ampleur en programmant des journées d’action suffisamment espacées pour rester sans lendemain. La convergence entre usagèr-es et salarié-es n’a pas été suffisante dans la lutte contre la privatisation de la poste. La mobilisation contre la fermeture des centres IVG ne s’intègre pas dans une lutte plus large contre le démantèlement de l’hôpital public. Dans l’éducation, on ne peut que déplorer le fait qu’un mouvement étudiant contre la loi sur l’autonomie des universités (LRU) en 2007, puis un mouvement des enseignant-es chercheur-ses en 2009, se soient succédé sans réelle convergence et sans succès.

Le rôle de militant-e-s révolutionnaires est fondamental à l’heure actuelle pour faire le lien entre la situation de crise qui touche les salarié-e-s et la nécessité, ainsi que la possibilité, d’une rupture révolutionnaire avec le système capitaliste. Il s’agit pas seulement de renforcer les organisations révolutionnaires, mais également de sortir le mouvement social de sa posture strictement défensive en y réinstaurant le débat politique sur l’alternative au capitalisme.

Les militants révolutionnaires doivent donc se faire les porteurs d’un programme articulant revendications immédiates (constituant une plateforme de résistance), revendications à moyen terme (afin de donner des perspectives au mouvement social), et construction d’ alternative.

8. Face à la crise, riposte immédiate et rupture profonde sont nécessaires

Dans l’immédiat, en plus de porter des revendications vectrices d’une alternative au système en place lorsque cela est possible, nous devons faire face et se mobiliser contre toute réforme réactionnaire destinée à démolir les acquis sociaux obtenus grâces aux luttes acharnées des travailleurs. La réforme des retraites ou encore la diminution drastique des dépenses sociales au prétexte du contexte de crise en sont les exemples actuels plus frappants. Bien évidemment le militantisme de défense n’a que peu d’intérêt sans vision politique à plus long terme. Les mobilisations tactiques doivent s’inscrire dans une stratégie politique cohérente et viable. C’est là qu’a toute sa place le projet anticapitaliste et autogestionnaire que porte l’AL.

Dans le cadre de la mobilisation actuelle, nous portons plus que jamais les revendications suivantes :
 le relèvement des bas et moyens salaires, des minimas sociaux et des pensions par ponction sur les dividendes des actionnaires et sur les hauts salaires, en faisant valoir que c’est l’actuelle distribution des richesses qui est responsable de la crise ;
 le blocage des dividendes des actionnaires : nous devons briser la tendance toujours plus favorable aux capitalistes dans la répartition des richesses et reprendre ce qui nous a pris depuis le début des années 80 ;
 le droit de veto des travailleurs sur les licenciements et les suppressions d’emploi ;
 la suppression du chômage et de la précarité par la diminution du temps de travail ;
 la mise en cause de l’ensemble des responsabilités patronales (donneurs d’ordres, sous-traitance) et étatiques.

Mais la période actuelle est également pour nous l’occasion de porter des débats moins audibles d’autres moments, comme celui de la politique industrielle et du projet de société. Nous prônons l’autogestion, c’est-à-dire la maîtrise par les travailleur-se-s et les usager-e-s de la politique industrielle, projet que nous devons populariser quand l’occasion se précédente. Nous prônons également la réquisition et la mise en autogestion des entreprises sacrifiés comme moyen de lutte et de pérennisation de l’emploi, ainsi qu’un système socialisé de financement de l’économie, local et contrôlé à la base par les travailleurs et les travailleuses. Enfin, nous devons faire valoir que seule l’autogestion permettra de sortir du productivisme.

 
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