Dix ans de luttes de quartiers à Toulouse : Pas touche au tripode




Dix ans de contre-pouvoir populaire au Mirail et à la Reynerie, à Toulouse, montrent comment peuvent s’articuler la « gauche de la rue », les associations et les habitants, pour construire une confrontation avec l’État .

À la fin de l’année 1998, un jeune du quartier de la Reynerie à Toulouse, qui tentait de voler une voiture est tué par un policier. Ce quartier populaire déjà sous tension, s’enflamme. Toute la jeunesse s’engage dans la révolte urbaine. Il faudra une dizaine de jours, et 1000 policiers dans un quartier de 11 000 habitant-e-s, pour rétablir le calme.
Trois mois plus tard, l’assemblée générale des habitant-e-s décide d’une manifestation réunissant 1 500 personnes, en marche de la Reynerie jusqu’au centre ville. En tête, une banderole apostrophe les pouvoirs publics : « Justice, emploi, éducation ».

La mobilisation s’est appuyée sur quatre pôles distincts : les jeunes rassemblés dans une association – « Le 9 bis » – le « mouvement des femmes du Mirail », les syndicats de travailleurs, une association de locataires. S’y greffe la Confédération nationale du logement (CNL). Ce groupement réunit plus de 300 participant-e-s dans un gymnase, où la parole circule librement, et où tous expriment leur souffrance vis-à-vis de l’état de violence du quartier. Le principe de la « marche de la Reynerie » fut adopté lors de cette AG.

« Transfert de population »

Traumatisée par l’ampleur des événements, la mairie réagit par un article dans La Dépêche du Midi … trois ans plus tard. On y annonçait qu’un « Grand Projet de ville » commencerait avec la destruction d’immeubles du Mirail. De plus, l’article ne s’adressait pas aux gens du Mirail, qui auraient dû être les premiers informés, mais à l’ensemble des Toulousain-e-s. L’UMP, entrée en campagne pour les municipales de 2001, annonçait qu’elle allait régler le problème du Mirail, considéré comme une verrue criminogène. Au non de la sacro-sainte « mixité sociale », le but inavoué de l’entreprise était de vider le quartier de ses pauvres pour récupérer un foncier attractif pour les promoteurs immobiliers : à 10 minutes en métro du centre ville, entouré de zones industrielles de haute technologie et d’espaces verts. Mais on ne fait pas un « transfert de population » [1] sans préparation initiale. Et les pouvoirs publics de réaliser que la majorité des locataires concernés par les démolitions souhaitaient rester dans le quartier. Il s’ensuit de sérieux dysfonctionnements.

– La mairie impose aux organismes HLM de reloger les locataires en priorité sur le parc existant, saturant d’un coup les logements sociaux disponibles et créant un embouteillage monstre des demandes en instance.

– Ces populations socialement fragilisées, à qui on a longtemps prétexté la pénurie de logements pour refuser tout logement extérieur au quartier, se sont vues offrir dans l’urgence, des logements disponibles.

– Les pouvoirs publics n’ont cessé de claironner que le quartier allait devenir un havre de bonheur, une fois leur départ survenu. Cette communication « de mauvais goût » n’a pas vraiment été appréciée par le quartier.

C’est pourquoi l’individualisation des offres de relogement créa un climat de colère chez les locataires. Les agents de l’organisme HLM le plus concerné l’Opac, subissaient l’agressivité des locataires. Ainsi, lorsque l’organisation « Reynerie se bouge » – réseau de militants syndicalistes, antiracistes, féministes, altermondialistes ou politiques, dans le quartier depuis Décembre 1995 – distribue un tract dénonçant l’attitude de l’Opac, il s’ensuit une mini-émeute dans les locaux de la gérance et l’Opac, aboutissant à la suspension pendant plusieurs mois des offres de relogement et des démolitions.

On démolit le 9 bis !

Tant d’impréparation créa de fâcheux contretemps. Le projet changea plusieurs fois de configuration, révélant le choix hasardeux des immeubles à démolir. On visa par exemple plusieurs bâtiments enclavés, considérés comme « criminogènes ». Mais la première barre détruite fut celle où les jeunes de l’association « Le 9 bis » se rassemblaient ! La population y vit une manière pour les pouvoirs publics de se venger des révoltes de 1998, et une humiliation.

Les élections municipales de 2008 ne changent pas grand chose. La nouvelle administration reste dans le flou sur le projet. Un immeuble en tripode voué à la démolition devient l’enjeu d’un vrai bras de fer entre la population et la nouvelle mairie.

De nombreux arguments portés par « Reynerie se bouge », militent pour le maintien de l’immeuble. D’une part les logements dans le tripode sont spacieux, bien éclairés et fonctionnels et profitent d’un bon nombre d’équipement de proximité (Poste, Caf, commerces, métro, etc.). Les espaces publics vont être joliment réaménagés, et en termes de rapport qualité-prix, l’Opac peine à trouver des logements équivalents ailleurs. Tous les logements sociaux du quartier étant déjà occupés, les locataires ne pourront être relogés sur place. Enfin, esthétiquement, ce tripode n’est pas très haut et correspond à la forme de construction élaborée initialement par l’architecte Georges Candilis. Or, l’axe routier qui doit remplacer l’immeuble pourrait sans encombre passer à côté. Une habitante du quartier, architecte de son état, a proposé un projet de mise en valeur où la mixité sociale tant désirée pourrait s’accomplir en accueillant des étudiant-e-s en manque de logement, l’immeuble étant à proximité de l’université du Mirail.

Face au mécontentement la municipalité gèle rapidement le projet, ce que les locataires interprètent comme une victoire. Ils trouvent du soutien auprès de cinq structures associatives du quartier (chômeurs, éducateurs de rue, régie de quartier, animation, pédagogie environnementale), et tiennent une consultation démocratique, à bulletin secret au pied des immeubles. Résultat : 90% contre la démolition.

La mairie salue cette « bonne initiative »… et annonce aussitôt qu’elle maintient la destruction de deux ailes du tripode ! C’est la préfecture qui, en sous-main, fait le forcing.

Le capitole capitule

Tandis qu’un certain découragement s’empare des locataires, « Reynerie se bouge » diffuse un nouveau tract : « Le Capitole [2] capitule ». Du côté de l’Opac la situation devient flottante, et le programme de relogement semble suspendu. Et du côté du Mirail, le DAL et les étudiant-e-s en lutte de la fac du Mirail sont sollicités par « Reynerie se bouge » pour intervenir.

Résultat : quelques jours avant une conférence de presse du DAL et des associations, la mairie annonce officiellement que la destruction est abandonnée. Devant les locataires, l’adjointe au maire avoue que la mobilisation a pesé dans la décision... mais pas seulement : il n’y avait pas de projet crédible proposé par les urbanistes ! La lutte a donc fini par payer.

Jean-Marc (AL Toulouse)

[1Terme employé en public par le sous-préfet lors d’une réunion d’information.

[2Siège de la mairie, situé en centre ville

 
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