Donato Romito (FdCA italienne) : « La CGIL a appelé à la grève dans les ports où sont chargés les navires militaires »




Nous nous sommes entretenus avec Donato Romito de la Federazione dei comunisti anarchici (FDCA, communistes libertaires italiens) sur le développement des mobilisations antiguerre en Italie.

Alternative libertaire : Quelle est l’importance du mouvement antiguerre dans la société italienne ?

Donato Romito : Le mouvement contre la guerre est en train d’acquérir plus d’importance alors même que le consensus social contre la guerre s’élargit. Les drapeaux de la paix (ndt : il s’agit de drapeaux arc en ciel frappés du mot pace, paix) flottent par milliers dans toutes les villes italiennes aux fenêtres. Des manifestations, des concerts, des sit-in, des retraites au flambeau avec une grande participation populaire ont lieu tous les jours. Beaucoup des participant(e)s sont des jeunes et des travailleur(se)s. Le mouvement syndical est fortement impliqué. Les réseaux catholiques sont largement mobilisés, de même que le monde de la culture et des artistes. Depuis la manifestation du 9 novembre à Florence jusqu’à celle du 15 mars à Milan, des millions de personnes sont descendues dans la rue, donnant vie à un véritable mouvement de masse contre la guerre, dont les différentes composantes et sensibilités se mélangent et donnent une impressionnante capacité de mobilisation. Le gouvernement a interdit de mettre les drapeaux de la paix sur les édifices publics, on peut toutefois les voir flotter sur les façades de nombreuses institutions (administrations locales, écoles, services publics).

Existe-t-il une implication particulière des syndicalistes et plus particulièrement de la CGIL (équivalent de la CGT française) et des syndicats de base pour mobiliser contre la guerre dans les entreprises et combattre la position du gouvernement Berlusconi, qui soutient Bush.

Donato Romito : Le mouvement syndical se mobilise contre la guerre dans tous les lieux de travail. La CGIL a appelé à la grève dans les ports où sont chargés les navires militaires qui mettent le cap sur le Golfe, elle participe à toutes les manifestations et les organisent (700 000 personnes à Milan le 15 mars). Les cheminots des différents syndicats ont appelé au nom de l’objection de conscience à s’opposer au transport ferroviaire de matériel militaire et d’armements. La CGIL s’est prononcée pour le déclenchement de la grève générale dès le début des bombardements.

Les syndicats de base ont déjà appelé à la grève générale 48 heures après le début des bombardements. Malgré l’interdiction mise en avant par le gouvernement, l’appel à la grève a été confirmé. Les cheminots, les dockers, les enseignants se sont déjà mobilisés contre la guerre. L’USI-AIT (anarcho-syndicaliste) a organisé un comité permanent contre la guerre à la fin de l’automne 2002.

Outre le fait de descendre dans la rue, le mouvement a compris qu’il fallait porter l’opposition à la guerre là même où se trouvait la machine de guerre de l’Otan. Il y a donc eu de nombreuses manifestations devant et autour des bases militaires américaines de l’Otan.

Comme cela fut le cas en 1999 durant la guerre au Kosovo, le mouvement a choisi des lieux fortement symboliques pour contester la guerre et dénoncer l’occupation de tant de zones militaires sur le territoire italien. Au mois de mars, ce sont plusieurs trains qui ont été bloqués, alors qu’ils transportaient du matériel militaire américain pour le Golfe. Les ports où était chargé le matériel militaire ont été bloqués. Au début, les Désobéissants (autonomes, ex-Tutte bianche) se sont particulièrement distingués dans ces actions, leur donnant les caractéristiques d’une action de masse et un fort écho médiatique, ce qui a contribué à leur extension.

Comment le mouvement antiguerre est-il concrètement organisé en Italie ?

Donato Romito : Le mouvement est le fruit de l’auto-organisation par des dizaines de groupes, de collectifs, de comités, d’organisations politiques et syndicales.
Chacun développe son activité et dans les villes se constituent des réseaux, des coordinations très larges qui organisent des initiatives de toute sorte.
L’initiative libertaire antimilitariste s’élargit toujours plus : après la première manifestation de La Spezia à la fin janvier, il y en aura une autre le 5 avril près de la base tristement célèbre d’Aviono (Nord-Est). Ces manifestations organisées par le mouvement antimilitariste reçoivent la participation des autres secteurs politiques et sociaux et contribuent à la diffusion d’une pensée critique contre la guerre et le militarisme.

Comment analyses-tu la crise de la représentation en Italie ? Penses-tu que la protestation antiguerre peut déboucher sur une crise politique et qu’il soit possible de transformer la guerre impérialiste en offensive sociale anticapitaliste ?

Donato Romito : Un sentiment d’opposition sociale au gouvernement Berlusconi s’affirme progressivement, mais il ne faut nourrir trop d’illusions à son propos. Le gouvernement n’est nullement ébranlé au parlement et poursuit son travail de déstructuration et de démantèlement de la société italienne. Alors que le mouvement antiguerre descend dans la rue, le gouvernement a fait passer la loi de contre-réforme de l’école, la loi sur la totale flexibilité du marché du travail et s’apprête à faire de même sur les retraites et sur les licenciements. Le combat social est très dur, et les conditions d’ouverture d’une crise politique au sein de la majorité actuelle n’existent pas. Le mouvement antiguerre combine des éléments hétérogènes : éthiques et idéologiques, non violents et conflictuels, pacifistes et antimilitaristes, qui vont plus vers un soulèvement des consciences que vers une offensive sociale anticapitaliste.

La radicalisation du mouvement passe par la prise de conscience du lien existant entre capitalisme et militarisme, entre la lutte pour la paix et la lutte contre le capitalisme ? C’est à cela que doivent travailler les anarchistes et les libertaires.

Propos recueillis le 17 mars 2003

 
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