Dossier CPE : Quand la jeunesse conduit la lutte de classe




Automne 2005, des émeutes embrasent les banlieues françaises. En réponse à la détresse des « jeunes de banlieues », De Villepin promet dans son discours de début d’année de s’occuper du problème du chômage dans la jeunesse. Le 16 janvier, il annonce un projet de « Loi d’égalité des chances » (LEC), dont l’article 8 crée le contrat première embauche (CPE), sensé réduire ce chômage. La LEC comprend également l’apprentissage à partir de 14 ans, le travail de nuit à partir de 15 ans et la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire.

Le CPE est le frère jumeau du contrat nouvelle embauche (CNE) adopté au mois d’août sans nul mouvement de protestation, le CNE s’appliquant à toutes les classes d’âge, mais dans les entreprises de moins de 20 salariés.

Alors que les syndicats de salarié(e)s auraient pu se rattraper en mobilisant dès le début pour le retrait du CPE, ils ont préféré laisser l’initiative de l’opposition aux « jeunes », directement visés par celui-ci.

Pourtant, le CPE est un moyen pour le patronat - en faisant pression sur un pan du salariat, la jeunesse - de casser l’ensemble du Code du travail. C’est ainsi que, pour la première fois depuis longtemps, les étudiant(e)s vont se mobiliser massivement non pas sur des revendications budgétaires ou pédagogiques, mais sur une question fondamentalement ouvrière : la défense du Code du travail.
La plupart des syndicats étudiants et des organisations de jeunesse ont commencé le travail d’information dès janvier. On a vu sans surprise le PS et tous ses satellites (Unef, FIDL, UNL...), réunis dans le collectif « Stop-CPE », tenter de se racheter une conduite à gauche en vue des élections de 2007.

Une grève impulsée par les syndicats de lutte

Un premier constat s’impose à ce moment sur le terrain : alors qu’elle est tonitruante dans les médias, l’Unef est inexistante dans les assemblées générals (AG) encore faibles qu’organisent les syndicats de lutte (SUD, CNT et FSE). Tout se passe comme si l’Unef était disposée à se contenter d’une mobilisation virtuelle, paradoxalement relayée par les médias, en soutien aux pitoyables initiatives du PS au niveau institutionnel (assemblée nationale, conseil constitutionnel). Une des circulaires internes de l’Unef sur la façon de « gérer » les AG est rendue publique sur Internet. La peur du débordement par les « gauchistes » suinte de tout le texte.

Après une première journée d’action interprofessionnelle réussie le 7 février, les syndicats de salarié(e)s n’en prévoient une deuxième... qu’un mois plus tard, le 7 mars !

Les étudiant(e)s s’arrachent les cheveux mais ne renoncent pas et mettent à profit les vacances tournantes pour mobiliser. Le 8 février, la fac de Rennes-II vote la grève avec blocage, suivie par de nombreuses facs de l’ouest (Poitiers, Nantes, des IUT...). Des délégué(e)s sont envoyé(e)s partout en France et la plupart des grosses universités entrent l’une après l’autre dans la lutte.

On tire un deuxième constat : là où existent des syndicats de luttes solides, l’Unef est immédiatement marginalisée. La réforme Licence-Master-Doctorat ayant institué depuis 2003 une part plus importante de contrôle continu et de feuilles de présence en travaux pratiques et travaux dirigés, le blocage des cours se justifie très facilement et est largement reconduit. Les étudiant(e)s font immédiatement preuve d’une grande combativité : occupations de nuit, actions symboliques et politiques, extension des revendications [1] sont très vite proposées et votées. Un mauvais pli est par contre pris dès le début : la convergence avec les salarié(e)s est négligée et les grévistes se contentent souvent de proclamations incantatoires. Il faudra attendre la fin mars pour voir les initiatives en direction des salariés se multiplier (tractage à l’entrée des boites, AG interprofessionnelles), ce qui expliquera sans doute la présence relativement importante du privé le 4 avril dans la rue.

De son côté, l’Unef tient bon dans les trop nombreuses facs où elle est le seul syndicat présent. Elle restreint les mots d’ordre au retrait du CPE, défend le blocage ponctuel au détriment du blocage total et manipule grossièrement les AG. Dans certaines facs parisiennes l’Unef conserve une certaine influence grâce à la coloration plus militante que lui donnent les JCR, qui forment en son sein la Tendance Tous ensemble (TTE). Jusqu’au retrait du CPE, la TTE défendra néanmoins les orientations majoritaires de l’Unef.

Les 18 et 19 février, se tient la première Coordination nationale, à l’appel des grévistes de Rennes-II. Les coordinations se tiendront ensuite tous les week-ends et réuniront environ 400 délégué(e)s issus des assemblées générales de facs et de lycées. Durant les grèves de novembre 95, la Coordination nationale avait été la véritable direction dont le mouvement s’était doté. Les socialistes de l’Unef-ID (l’actuelle Unef), révulsés par cette concurrence, avaient combattu - jusqu’à l’affrontement physique - la coordination.

Manœuvres bureaucratiques contre la Coordination nationale

En février 2006, la tactique est différente : il s’agit pour l’Unef d’être présente au sein de la coordination pour la pourrir jusqu’au bout. À la surprise générale, alors qu’elle est souvent marginale dans les AG, l’Unef est présente de façon agressive à la coordination de Rennes. Plusieurs fausses et faux délégué(e)s - et vrais militant(e)s Unef -, sont démasqué(e)s et mis à la porte. Quant aux “ vrai(e)s ” délégué(e)s Unef, dûment mandaté(e)s par des AG, ils et elles ne suivent pas leur mandat mais la ligne dictée par le bureau national de l’Unef.

Plusieurs fractions agissent contre l’autogestion de la lutte, notamment l’Unef, les JCR et LO. La mise en place d’un fonctionnement démocratique passe par un affrontement politique sur ces questions. Trop de militant(e)s autogestionnaires se contentent de garantir localement le bon fonctionnement de leur AG, là où il faudrait se faire mandater pour porter l’affrontement directement. Ainsi, l’Unef finit presque systématiquement à la tribune des coordinations, car les autogestionnaires manquent de forces sur place pour la renverser. Le choix de la ville qui accueillera la coordination suivante devient alors le vote stratégique du week-end.

Par ailleurs, un manque de formation était tangible chez certain(e)s militant(e)s autogestionnaires. Ainsi, la confusion a été totale sur le caractère impératif des mandats. Si nous luttons contre le mandat libre, nous ne voulons pas, à l’opposé, d’un mandat impératif dévoyé et absolutiste. Contrairement à tout ce qui a pu être prétendu, sur les points d’ordre secondaires qui n’ont pas été votés en AG (dates d’actions, déroulement de la coordination, amendements à une motion proposée...), le mandat impératif laisse une marge de manœuvre. On a vu lors des coordinations trop de délégué(e)s qui répétaient comme des robots les décisions de leurs AG sans s’écouter débattre, avant de s’abstenir à tour de bras, bloquant ainsi les décisions pour la plus grande joie des bureaucrates.

Les coordinations se succèdent et le scénario est toujours le même : jusqu’à trente heures d’affilé de débats stériles entre deux blocs, Unef et anti-Unef, pour finalement bien peu de résultats : porte-parole sans aucun poids médiatique, aucune perspective concrète de jonction avec les salarié(e)s à l’exception d’appels incantatoires à la grève générale... laissant les questions et votes importants en fin de coordination, la moitié des délégations étant déjà parties. L’Unef sort grande gagnante et restera l’interlocutrice privilégiée des médias et des syndicats, qui refuseront presque tous de reconnaître la légitimité de la coordination.

Face à l’inefficacité de la coordination nationale, des coordinations régionales vont se structurer, en général boycottées par l’UNEF. Elles seront plus efficaces en terme de coordination des actions et des mots d’ordre mais n’auront aucun poids médiatique.

Le mois de mars est marqué par un enracinement du mouvement. Fin mars, l’essentiel des facs et une grande partie des lycées, des IUT, des grandes écoles sont mobilisés, souvent bloqués. Le vote de la loi, sa promulgation et les propositions d’aménagements de Chirac n’ont eu comme effet que la radicalisation de la lutte, et le seuil historique des trois millions de manifestant(e)s est franchi deux mardis consécutifs.

Un mouvement dans la durée

Les blocages continuent d’être reconduits dans beaucoup de facs, malgré les nombreuses fermetures administratives et un début d’organisation chez les antiblocages, manipulé(e)s par la droite et l’extrême droite [2]. La réappropriation des lieux est officiellement adoptée comme mode d’action par la Coordination nationale tenue à Aix-en-Provence. Ainsi, de nombreux débats, concerts, jeux, cours sur la précarité par des profs sympathisant(e)s ou des étudiant(e)s sont organisés dans les facs occupées, contribuant à la longévité du mouvement.

À défaut d’une diffusion de la grève vers les secteurs salariés, c’est le blocage de l’économie par des actions coup de poing, de plus en plus spectaculaires et massives, qui sera retenu. Les jeudis 30 mars et 6 avril, des milliers de manifestant(e)s envahissent les gares, les périphériques, les ports et les aéroports.

Finalement, le 10 avril, devant la pression de la jeunesse et la menace d’une amplification du mouvement chez les salarié(e)s, l’Élysée finit par annoncer le « remplacement » du CPE par une série de « mesures en faveur de l’insertion professionnelle ». Celles-ci ne sont qu’une compilation de mesures déjà existantes, consistant en avantages fiscaux pour le patronat. L’intersyndicale autour de la CGT et de la CFDT estime avoir atteint son objectif et se sépare. Seules la FSU et Solidaires appellent à continuer la lutte contre le CNE et l’ensemble de la loi sur « l’égalité des chances » (LEC). Les autres centrales évoquent le retrait du CNE, mais en des termes flous qui laissent supposer que tout reposera sur un 1er Mai massif et des négociations à froid.

Et maintenant ?

Dès l’annonce du retrait du CPE le lundi 11 avril, de nombreux blocages ne sont pas reconduits marquant ainsi le début d’une décrue rapide du mouvement. Une majorité d’étudiant(e)s, convaincus de la victoire, souhaitent reprendre les cours pour passer les examens dans de bonnes conditions. Reste les noyaux durs d’étudiant(e)s les plus mobilisés pour lesquel(le)s il est difficile de se contenter d’un simple retrait du CPE au bout de deux mois et demi de grève. En effet le reste de la LEC et le CNE constituant des reculs sociaux importants, sont toujours là.

Si l’on peut se réjouir du retrait du CPE et de l’humiliation subie par le gouvernement, il ne faut pas comme certain(e)s tomber dans le triomphalisme béat. En effet au niveau social il n’y a pas d’avancées sociales, il y a même recul. Cette lutte aura permit de freiner la casse des droits sociaux et il faut en tenir compte dans la construction des prochains mouvements sociaux pour que les perspectives de « victoire » de ces derniers ne se limitent pas à de si maigres « gains ».

Cependant il s’agit bien avant tout de la première lutte de masse victorieuse depuis 1995. Par la grève massive et des modes d’actions appropriés (occupations, blocages...), la jeunesse a enfin réussi à faire plier ce gouvernement redonnant ainsi de l’espoir à ceux et celles qui avaient été accablé(e)s par la défaite de mai 2003 et celles qui suivirent.

Si l’on veut parler de victoire, il faut dire à quelle niveau elle se situe : à un niveau politique et idéologique. À l’approche de 2007 nous pouvons maintenant recommencer à clamer haut et fort que l’alternance politique ne change rien sur le fond et que seule l’action collective, concrète à la base peut permettre de changer les choses. La victoire contre le CPE doit servir de point d’appui, voir d’exemple (au niveau de la détermination et des moyens employés) pour les prochaines luttes, marquant ainsi, peut-être le début d’une lutte prolongée. Reste à concrétiser la dynamique de solidarité et de lutte instaurée dans ce mouvement, le renforcement des outils de lutte afin de préparer les prochains mouvements pour que ceux-ci tendent non seulement vers des victoires politiques mais aussi vers des victoires sociales.

Grégoire (AL Paris-Sud), Ludwig (AL Orléans), Juliette (AL Aix-Marseille), Tristan (AL Rennes)

[1Notamment la restitution des postes aux concours de la fonction publique, le retrait de la Loi d’Égalité des chances, du CNE, du projet Sarkozy de réforme du CESEDA, du Pacte pour la Recherche, l’amnistie des émeutiers de novembre...

[2Voir les sites réactionnaires stoplagreve.com et halteaublocage.hautetfort.com

 
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