Enseignement professionnel et technique : dans l’ombre du rapport Thélot




Le 12 octobre, le technocrate Claude Thélot a rendu public le rapport de la commission pour l’avenir de l’école qu’il présidait et qui doit servir au gouvernement d’outil de référence pour mener à bien sa loi d’orientation sur l’école. À côté de l’appréciation qu’on peut porter sur cette contribution, on constate un grand absent de ce grand débat sur l’école : l’enseignement professionnel et technique.

Le 12 octobre a bien été un non-événement. La remise du rapport Thélot au ministre de l’Éducation ne nous a rien appris de fondamentalement nouveau sur les projets de reformatage du système d’enseignement français. Si le rapport ne reprend pas à son compte l’essentiel des propositions des partisans au retour à des méthodes traditionnelles et autoritaires d’enseignement, sa logique visant à renforcer le tri social entre les élèves reste pour l’essentiel inchangé (cf. Alternative libertaire, n° 133, octobre 2004). À présent le gouvernement se donne quelques semaines pour mettre la dernière main sur son projet de loi d’orientation pour l’école qui devrait être validé en conseil des ministres en janvier 2005, donc très rapidement.

Il reste à savoir si les syndicats d’enseignant(e)s (partagés entre partisans et adversaires de la contre-réforme à venir) et la profession plus généralement sauront se réapproprier le débat pour le porter eux-mêmes sur la place publique et interpeller la population contre une politique éducative visant à répondre aux demandes pressantes du Medef.

Les libertaires ont une responsabilité particulière dans ce combat contre la domestication libérale de l’école qui doit également s’articuler avec le débat pour une alternative éducative et sociale.
Au-delà des nombreuses prises de positions provoquées par les projets gouvernementaux, il peut paraître de prime abord surprenant de ne rien entendre dans le débat actuel sur l’avenir de l’enseignement professionnel et technique.

Ce silence est à plus d’un titre révélateur du sort réservé à ce type d’enseignement.

Pour les libéraux, le verdict est très clair : la formation professionnelle ne doit plus faire partie de l’enseignement. Tout cela est une affaire de temps…

Ce point de vue est du reste très clairement exprimé par le Medef dans un ouvrage sur l’éducation édité en septembre dernier par le Centre national de documentation pédagogique (CNDP) et dont l’unique contribution sur la formation professionnelle initiale (« Les problèmes de l’insertion professionnelle ») est signée par Dominique de Calan, responsable du Medef pour la formation professionnelle. Pour le Medef cet enseignement doit repasser sous le contrôle des patrons à travers le développement de l’apprentissage.

Main basse sur la chair à patrons

Un jeune n’a pas besoin de suivre une formation certifiée mêlant disciplines de l’enseignement général et disciplines techniques. Ce qui compte c’est sa capacité à assimiler des consignes, à s’adapter et à se fondre dans le moule de l’entreprise… ou l’acceptation du dressage élevé comme critère d’employabilité.

Cette logique est du reste la même que celle des certificats de qualification professionnelle (CQP) créés par l’accord interprofessionnel de 1989. Des pseudo diplômes, sous-CAP délivrés alors aux jeunes en contrat de qualification et auxquels les enseignant(e)s s’étaient vigoureusement opposé(e)s.

Une logique conforme à celle développée de façon récurrente par le patronat du textile qui s’est toujours opposé à la qualifications des ouvriers… en fait des ouvrières dans un secteur employant une main-d’œuvre majoritairement féminine. Le seul personnel qualifié devant être celui chargé de l’entretien des machines…

Il ne faut pas s’y tromper, ce qui est visé est bien un contrôle de la formation professionnelle par le patronat, un retour aux sources en quelque sorte. Celles du XIXe siècle quand la formation se faisait sur le tas, puis dans des écoles dont l’inspection était supervisée par les patrons eux-mêmes.

Plusieurs facteurs concourent du reste à la remise en cause du service public de l’enseignement des filières techniques et professionnelles. On assiste depuis des années au développement d’un marché de la formation mais aussi de la certification à travers le développement de la validation d’acquis d’expérience (VAE) encouragée par le Medef.

La VAE intégrée à l’accord interprofessionnel sur la formation professionnelle du 20 septembre 2003 (signé par le Medef et les cinq confédérations) et la loi de mai 2004 qui en est la déclinaison juridique constitue une étape majeure dans la dérégulation des qualifications ouvrières et donc de leur rémunération.

Moins de service public, moins de qualification, moins d’autonomie pour une main-d’œuvre plus dépendante de l’offre patronale, plus malléable et donc plus exploitée.

Le gang patronal ne fait rien de moins qu’appliquer son projet de société avec le concours dévoué du gouvernement Raffarin et la collaboration active des confédérations syndicales.

Alors que le gouvernement dit défendre l’idée que pas un seul jeune ne doit sortir de l’école sans diplôme et sans qualification, le débat doit porter sur le contenu, la finalité et la valeur de la formation professionnelle. Il est indissociable de l’existence d’un service public d’enseignement qui ne doit pas se contenter d’être un lieu d’acquisition de savoirs et de savoirs-faire mais doit également être un lieu d’apprentissage de l’autonomie. Cette fonction, ce n’est pas une institution scolaire gangrenée par le libéralisme qui sera le mieux à même de la faire vivre. Mais c’est bien une démarche collective partant des enseignant(e)s et des élèves qui peut lui redonner un sens.

L’enjeu dépasse la seule bataille syndicale. Il est politique. Si le patronat peut imposer aussi facilement ses conceptions dans ce domaine comme dans d’autres, il le doit largement au désarmement idéologique de ceux et celles qu’il veut opprimer. Dans ce sens, les révolutionnaires ont à mener un travail politique aussi bien en direction des élèves de l’enseignement professionnel et technique que dans celle des jeunes enseignant(e)s qui, faute d’être armé(e)s d’une vision globale des enjeux de l’enseignement, ne pèseront pas lourd face au rouleau compresseur capitaliste.

L.S.

 
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