Entretien

Laure Ignace (AVFT) : « Ne pas mettre en doute la parole des victimes »




L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) est une association qui a pour but de lutter contre les violences, en particulier sexistes et sexuelles, au travail. Laure Ignace, juriste chargée de mission à l’AVFT, répond à nos questions sur l’accueil et l’écoute des victimes.

Alternative libertaire : Dans quel contexte et pour quelles missions l’AVFT a-t-elle été créée ?

Laure Ignace : L’AVFT a été créée pour rendre visibles et lutter contre les violences sexuelles masculines dans le cadre du travail à une époque où il n’existait aucune loi réprimant le harcèlement sexuel en France, que ce soit en droit du travail ou en droit pénal. Marie-Victoire Louis, militante féministe, chercheuse au CNRS, ayant mené une recherche sur l’histoire du droit de cuissage en France (publiée dans un livre intitulé Le Droit de cuissage. France 1860-1930), une femme victime de harcèlement sexuel et Yvette Feuillet, eurodéputée, ont créé l’AVFT et se sont donné pour mission première de faire voter une loi réprimant le harcèlement sexuel, ce qui fut chose faite avec l’introduction du délit de harcèlement sexuel dans le code pénal de 1994.


Cet article tiré du dossier spécial d’Alternative libertaire de novembre 2016 s’inscrit dans le cadre de la campagne d’AL contre les violences faites aux femmes.


À partir de quand parle-t-on de violence sexuelle ? Qui sont les victimes ?

Laure Ignace : Il y a violence quand est exercée une coercition physique, morale ou psychologique, à des fins sexuelles ou quand des propos ou comportements sexuels sont exercés lorsque la personne qui en est destinataire n’y a pas volontairement adhéré.

Les victimes sont (dans nos dossiers) à 99 % des femmes, de toutes origines sociales, de toutes catégories socio-professionnelles, de tous âges et de toutes origines culturelles ou « ethniques ». La tendance que nous retrouvons néanmoins le plus, ce sont des femmes jeunes (moins de 35 ans) donc en début de carrière professionnelle.

Par quelles étapes passe une personne qui subit ces violences ?

Laure Ignace : Les femmes qui subissent du harcèlement sexuel, des agressions sexuelles sur leur lieu de travail vont d’abord penser que le problème vient d’elles et qu’elles ont le pouvoir de changer les choses. Elles vont ainsi, la plupart du temps, mettre en place des stratégies d’évitement (ne plus passer par tel couloir, demander à une collègue de les attendre à la fin du travail, tirer les tiroirs de leur bureau pour éviter le passage de l’agresseur derrière elle mais aussi cesser de se maquiller, s’habiller avec des vêtements amples pour cacher leurs formes…).

Elles pensent que le harceleur va se lasser, passer à autre chose, comprendre qu’elles ne sont pas d’accord ou ne plus les trouver attirantes. Ça ne marche pas et le harcèlement continue, ce qui va avoir un impact sur leur santé (insomnies, fatigue, maux de ventre, de tête…). Assez souvent les harceleurs aménagent des moments de répit aux femmes qui leur laisse penser « qu’il a compris » mais sans coup férir, le harcèlement sexuel reprend. C’est très déstabilisant pour elles.

Lorsqu’elles vont, plus fermement qu’auparavant, refuser de continuer de subir ces agissements, elles font face aux représailles professionnelles exercées par le harceleur. Il fait alors tout pour les faire craquer (dénigrements, humiliations, il les pousse à la faute, mise au placard…). Ces représailles prennent la forme d’un harcèlement moral. C’est souvent à ce moment-là qu’elles sont placées en arrêt maladie.

Comment accueillez-vous les victimes qui se tournent vers vous ?

Laure Ignace : La plupart des femmes, nous ne les avons qu’au téléphone et nous dressons alors une fiche « premier appel » : elles nous relatent les violences qu’elles ont subies, nous faisons le point sur les démarches qu’elles ont déjà faites et les professionnel-le-s qu’elles ont déjà saisi-e-s. S’il y a des démarches essentielles à réaliser en fonction de la situation de la femme (encore en emploi, en passe d’être licenciée...), nous l’orientons dans ce contexte. À ce titre, nous leur proposons de relire les lettres qu’elles doivent rédiger (typiquement et régulièrement, une lettre de dénonciation officielle des violences sexuelles au directeur de l’entreprise en recommandé avec accusé de réception).

Si nous pouvons soutenir une femme dans la longueur, car notre charge de travail le permet, nous lui demandons un récit des faits, puis nous la recevons en entretien à deux chargées de mission afin de revenir à nouveau sur les violences dénoncées. Nous allons alors vraiment dans le détail, décortiquons les stratégies employées par le harceleur, posons des questions pour comprendre les réactions de la victime face aux violences et demandons des précisions sur le contexte de celles-ci, affinant la chronologie parfois confuse des violences (ces dernières provoquant des troubles de mémoire).

Une fois ces étapes passées, nous pouvons engager l’AVFT à ses côtés : écrire au procureur pour soutenir une plainte, à l’employeur pour lui rappeler ses obligations légales et jurisprudentielles de prévention, réaction, protection, etc., ou pointer ses manquements en la matière. Puis, si la femme engage des procédures prud’homales nous pouvons lui proposer d’intervenir volontairement devant le conseil de prud’hommes pour apporter l’expertise de l’AVFT. Si, après une plainte, l’agresseur est poursuivi devant le tribunal correctionnel, nous pouvons lui proposer de nous constituer partie civile dans le même objectif.

Dans ces actions en justice, nous demandons réparation du préjudice porté à l’objet statutaire de l’AVFT par l’employeur/l’agresseur.

Avec quelles autres organisations travaillez-vous à cet accompagnement ?

Laure Ignace : Nous travaillons de temps en temps avec un ou une délégué-e du personnel ou un conseiller du salarié qui accompagne cette femme en entretien disciplinaire, notamment afin de coordonner nos actions respectives et ce, afin que ce ne soit pas préjudiciable à la femme. Lorsque nous soutenons les femmes, les autres associations n’agissent plus sauf éventuellement en apportant un soutien psychologique à la femme victime.

Quels conseils pouvez-vous donner à quelqu’un à qui une victime de violences se confierait ?

Laure Ignace : Je lui conseillerais d’abord de vraiment l’écouter, ne pas mettre sa parole en doute, lui accorder du crédit et lui dire que les violences qu’elle dénonce ne sont pas normales et sont punies par la loi. Je lui conseillerais aussi, dans la mesure du possible, de noter tout de suite les violences qui lui sont relatées avec la date de ce récit (si elle doit établir une attestation plus tard, elle pourra le faire avec beaucoup de précision).

Encore mieux, car laisser des traces est précieux : envoyer un mail ou un texto à la victime après, en lui rappelant les violences qu’elle a portées à sa connaissance, le fait que ce témoin reste à sa disposition si elle veut être épaulée pour les dénoncer officiellement.

Ce témoin peut également lui conseiller d’aller en parler avec la médecine du travail et l’inspection du travail, deux professionnel-le-s tenus au secret.

Propos recueillis par Adèle (Montreuil) et Marie (Strasbourg)

 
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