États-Unis : La nature à la croisée des oppressions




Loin de n’être qu’un slogan rassembleur, la revendication de « justice climatique » se rattache aux Etats-Unis à des courants d’écologie critique et radicale : les mouvements pour la justice environnementale aux bases sociales très marquées.

Le mouvement pour la justice environnementale aux États-Unis n’est pas issu des mouvements écologistes mais de celui pour les droits civiques, qui le premier prend conscience des inégalités de race et de classe face aux effets négatifs de la production industrielle (habitats et métiers diversement exposés aux pollutions et aux déchets).

Dans les années 1980 se tiennent plusieurs luttes de riverains contre des projets de décharge de produits toxiques. La plus emblématique, celle du comté de Warren (Caroline du Nord, 1982), fait apparaître le fondement raciste du choix de localisation d’une décharge près de quartiers à dominante noire. Dans le sillage de ces luttes, une église progressiste noire publie une étude qui fait grand bruit et démontre le caractère systématique de ces choix dans tous les États-Unis : ce sont les quartiers pauvres et ethniques qui héritent des dépôts de déchets les plus divers [1]. Cet état de fait est lié à la traduction des rapports de classe et de race dans l’aménagement des villes et du territoire en général. On doit le terme de « racisme environnemental » au coordonnateur de cette étude, le révérend Benjamin Chavis, qui fut une figure du mouvement des droits civiques [2]. Robert Bullard est ensuite la grande référence du courant contre ce racisme environnemental, en faisant le lien avec l’autre question cruciale de la classe en tant que liée à celle de la race.

Question sociale et critique du capitalisme

Le mouvement pour la justice environnementale repose donc centralement sur la question sociale, sur la critique radicale du capitalisme et sur l’analyse de l’intersection entre les différentes formes d’inégalités qui s’articulent avec l’oppression capitaliste : la race, la classe, le genre, et le rapport à l’environnement. Il se différencie ainsi du mouvement environnementaliste américain, représenté par le « Group of Ten » (Sierra Club, Audubon Society, WWF…), qui se refuse à mener des actions spécifiques en direction des minorités ou des pauvres, ou à s’associer à certaines luttes urbaines, au motif que la nature est un bien universel et que le rapport homme-femme / nature transcende les catégories sociales.

C’est justement contre cette conception dépolitisée de l’écologie que ­s’érigent les mouvements pour la justice environnementale. Partant d’une analyse marxiste, ils s’opposent au postulat central de l’écologie main­stream qui veut que pour sortir de cette crise l’humanité doit dépasser ses divisions. Et bien non. Puisque les dégâts écologiques ne sont pas subis uniformément par toutes et tous, et puisque les inégalités d’accès aux ressources naturelles elles-mêmes (énergie, eau, environnement sain) dépendent bien souvent de rapports sociaux inégaux (impérialisme, domination économique), on ne saurait rassembler l’humanité autour d’intérêts écologiques communs… tant qu’il n’en existe pas.

Au contraire, il existe des formes ­d’inégalité et de pauvreté environnementales, et la lutte contre ces inégalités sociales doit être partie intégrante d’une écologie sociale radicale.

Quant au mouvement pour la justice climatique en particulier, on lui doit la mise en lumière des inégalités Nord-Sud vis-à-vis de l’accaparement des ressources et donc du développement, la notion de « dette écologique » des riches envers les pauvres et l’inscription de l’écologie sociale dans­ ­l’analyse des dynamiques urbaines.

L’ouvrage de Razmig Keucheyan [3] fait quant à lui le lien entre la crise climatique et deux phénomènes majeurs du capitalisme contemporain par lesquels il assure aujourd’hui sa survie : la financiarisation de la nature, voire celle de la crise écologique elle-même (à travers de nouveaux produits d’assurances générant de la spéculation boursière), et l’imbrication croissante entre crises écologiques et conflits armés, avec des perspectives bien sombres dans un contexte de ressources naturelles raréfiées et de guerre économique mondiale.
De tels constats doivent encourager l’écologie radicale à renforcer les autres luttes anticapitalistes et antiautoritaires, en y apportant à la fois ses forces et son analyse des dominations liées aux milieux et aux ressources.

Mouchette (commission écologie)

[1« Toxic waste and race in the United-States », étude réactualisée en 2007 par la United Church of Christ.

[2Emprisonné en 1970, il préside dans les années 1990 la National Association for the Advancement of Coloured People (NAACP).

[3Voir note 3 page précédente.

 
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