Antipatriarcat

Fête de l’Huma 2024 : une « safe zone » qui met en danger




La Fête de l’Humanité est connue pour être un grand rassemblement militant et festif. Mais cette année, derrière l’euphorie apparente, un élément clé a montré ses limites : la « safe zone », censée protéger les festivalières des violences sexistes et sexuelles a été un échec cuisant.

La Fête de l’Humanité se veut un lieu de diversité et d’inclusivité, mêlant concerts engagés, conférences et espaces de prévention. On peut y entendre des artistes comme Angélique Kidjo appeler à « claquer le patriarcat » et à défendre les droits des femmes. Pourtant, cette volonté de promouvoir des valeurs progressistes se heurte à des contradictions flagrantes. Le même jour, le rappeur Kerchak partage sa vision des relations hétérosexuelles : « Depuis qu’j’fais du pe-ra, c’est facile, j’la baise sans lui dire : “T’es belle” ».

Cette vision misogyne passe sans filtre devant un public jeune. La Fête de l’Huma avait prévu quelques heures après une manifestation contre les violences faites aux femmes un concert de Heuss l’enfoiré, rappeur qui s’est rendu coupable de violences conjugales sur sa compagne au début de l’année 2022.Les collectifs féministes dont Nous Toutes, le Planning familial, Stop Harcèlement de rue, Metoo média, Stop Fisha et Héroïnes 95 ont réclamé son annulation. La direction de la Fête de l’Huma accède à leur demande, mais se justifie sur les réseaux et contente d’indiquer pudiquement l’absence de Heuss l’enfoiré « pour des raisons indépendantes de la volonté du rappeur ».

Une gestion catastrophique dès le départ

Ces dissonances ne s’arrêtent pas là. Malgré l’engagement de l’organisation à prendre au sérieux les violences sexistes et sexuelles avec l’instauration d’une « safe zone », la gestion de cet espace de prévention a laissé à désirer. Les manques de moyens et de coordination ont eu raison de la « bonne volonté » affichée.

Contactées deux semaines avant l’événement, les associations Héroïnes 95 et Techno+ avaient accepté de gérer cet espace nocturne dédié à la prévention et à la prise en charge des violences sexistes. Techno+ a annulé sa participation à la dernière minute mais l’organisation du festival n’a pas jugé utile d’en avertir les bénévoles de l’autre association. Cet « oubli » met les deux bénévoles prévues le vendredi soir au pied du mur : elles géreront seules une « safe zone » au milieu de 430 000 festivaliers et festivalières. Un désastre annoncé.

Le barnum qui devait servir de refuge aux victimes ? Deux canapés, deux lampes, deux bouilloires... sans eau, bien entendu. Pas de couvertures de survie, ni de quoi se réchauffer, rien à grignoter. On imagine que certains invités ont été bien mieux traités !

Les bénévoles, censées avoir un accès administrateur à l’application Safer pour être alertées en temps réel des agressions sur le site, n’ont jamais obtenu les accès nécessaires. De manière générale, les bénévoles ont ressenti un profond mépris de la part des organisateurs, qui affirmaient avec une certaine suffisance qu’ils savaient parfaitement gérer un tel espace et qu’ils l’avaient déjà fait par le passé. Pourtant, les associations ayant pris part à ce dispositif les années précédentes ont toutes refusé de renouveler l’expérience, preuve que tout n’avait pas fonctionné aussi bien que prétendu.

Absence de communication et de coordination

Le barnum qui devait servir de refuge aux victimes ? Deux canapés, deux lampes, deux bouilloires... sans eau, bien entendu. Pas de couvertures de survie, ni de quoi se réchauffer, rien à grignoter. Une situation précaire pour les bénévoles elles-mêmes, qui devaient affronter le froid sans matériel adéquat. Aucun contraceptif d’urgence, ni bouchons d’oreilles, et même pas de plan du site disponible. Ceux-ci avaient été remplacés par une application… utile uniquement pour ceux qui avaient encore de la batterie ou leur téléphone en main.

Les festivaliers et festivalières ignoraient complètement cette initiative. L’engagement pris par les organisateurs de promouvoir sur le site internet et les réseaux sociaux les associations présentes n’a jamais été respecté. La « safe zone » n’était même pas mentionnée sur le compte Instagram de la Fête de l’Huma, y compris dans la publication dédiée au relai des mesures de sécurité ! Résultat : non seulement le public n’était pas au courant, mais même la sécurité et l’infirmerie ignoraient l’existence de cet espace.

Le talkie-walkie indispensable pour se coordonner avec les équipes de sécurité n’a été remis aux bénévoles qu’à 22h12, bien après le début du service prévu à 20h. Et inutile de se tourner vers le stand officiel du festival qui eux ne savaient même pas où se trouvait l’infirmerie, signe d’une désorganisation générale.

Les festivalières laissées à l’abandon

La situation sur le terrain était alarmante. Le stand, mal sécurisé, est devenu un véritable point d’attraction pour les festivaliers sous substances. Un homme visiblement désorienté a pénétré dans la tente de la « safe zone », sans que ne le voie le seul agent de sécurité tardivement posté (à la demande expresse des bénévoles) dans la zone. D’autres festivaliers y ont vu une opportunité pour venir se soulager : le dimanche matin, les bénévoles ont découvert des excréments autour de leur tente. Slalomer entre vomis et déjections humaines : voilà ce qu’était devenu cet espace censé être un refuge sécurisé.

La nuit, les points d’informations, les stands de prévention et même les objets perdus ont fermé leurs portes dès 1h du matin, alors que les concerts continuaient jusqu’à l’aube. Ce n’était pas seulement absurde : c’était dangereux. Les festivalières qui cherchaient de l’aide ou des contraceptifs d’urgence se heurtaient à une pharmacie qui ne disposait pas de pilule du lendemain. Aucune solution n’avait été pensée pour pallier ces besoins essentiels.

Samedi matin, les deux bénévoles ont dû jeter l’éponge après une nuit blanche à tenter de maintenir une zone à peine fonctionnelle : il n’y aurait pas de « safe zone » le lendemain soir. Épuisées, frigorifiées, elles ont marché 45 minutes pour rejoindre la gare, escortées par deux hommes en état d’ébriété qui les ont harcelées tout le long du chemin. Aucune sécurité en vue.

Un bilan glaçant

Malgré l’afflux massif de festivaliers et festivalières, aucun signalement officiel de violences sexistes ou sexuelles n’a été enregistré durant les trois jours de la Fête. Un chiffre qui semble davantage témoigner d’un manque d’organisation que d’une véritable absence de problème. Le bon côté des choses, c’est que le parquet de l’Essonne n’aura pas été submergé : il avait décidé que chaque rapport serait automatiquement transformé en plainte.

Une initiative mal pensée et non communiquée, comme le reste : pour les victimes, cela aurait signifié être convoquées dès le lendemain matin à la préfecture, au lieu de pouvoir rester sur place pour profiter du reste du festival pour lequel elles avaient payé. Une véritable double peine.

En 2012, les organisations phares de la Fête de l’Humanité s’engageaient pour l’égalité femmes/hommes.

Une fête par et pour les hommes

Tout au long du week-end, les recommandations de base des groupes féministes comme le Planning Familial et Nous Toutes ont été largement ignorées. Les associations présentes avaient pourtant proposé des solutions simples : un espace de prévention bien équipé, une meilleure communication auprès des festivaliers et festivalières, et des mesures plus strictes pour limiter les excès liés à l’alcool. Mais rien n’a été fait. Au contraire, les festivalières se retrouvaient dans un environnement où l’alcool était moins cher que les softs, où le verre d’eau coûtait plus que le shot. Un terrain fertile pour les dérives sexistes et les violences.

Au final, cette « safe zone » mal organisée et dangereuse n’a fait qu’exposer un problème plus profond. La Fête de l’Humanité semble pensée par et pour les hommes, ignorant totalement les besoins des festivalières et des bénévoles féministes. S’il s’agit, comme prétendu par l’un des bénévoles de la Fête de l’Huma, d’un manque de moyen, la solution n’est pas de bricoler à la va-vite une « safe zone » qui n’a de safe que le nom et qui met en réalité en danger non seulement le public, mais aussi les intervenantes et intervenants. Le festival se donne une apparence d’inclusion : les stands féministes et queers pullulaient, l’UCL a d’ailleurs fait une intervention très applaudie au stand des Inverties, mais la réalité était tout autre et ces initiatives ressemblent à s’y méprendre à du pinkwashing [1].

Des femmes harcelées, des bénévoles maltraitées, un espace insalubre et une organisation désastreuse : voilà le véritable bilan de la Fête de l’Huma, qui n’est finalement la fête que de la moitié de l’humanité.

Nasham (UCL Montreuil)

[1Le terme pinkwashing désigne le fait, pour une organisation, une entreprise ou même un état, de se servir d’une vitrine «  féministe  » pour redorer son image alors même que rien n’est fait concrètement.

 
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