Entretien

Hugo (militant portugais du M12M) : « Notre rôle, c’était de faire le lien entre là bas et ici »




Les Portugaises et Portugais sont confrontés depuis plusieurs années à une précarisation grandissante de leurs conditions de vie. De la saudade, terme intraduisible en français, qui signifie nostalgie, à la mobilisation contre la précarité, c’est ce que nous explique Hugo, documentaliste audiovisuel et membre du Mouvement du 12 mars à Paris.

Alternative libertaire : Quel tableau peut-on dresser de la situation sociale du Portugal ?

Hugo :
La mise en place des « reçus verts » a conduit à la déstructuration progressive du code du travail. Une grosse partie de l’embauche s’effectue avec ces reçus [1]. Ils ont eu comme conséquence non pas de faire disparaître le travail au noir, qui a toujours été très important au Portugal, mais de le rendre mal payé.

Un exemple illustre particulièrement la situation, c’est celui des call centers dont le Portugal est devenu un des leaders en Europe. C’est toute la société qui y travaille : jeunes étudiants, jeunes des classes populaires sans emploi, femmes au foyer qui essaient d’avoir un petit revenu, avocats qui n’arrivent plus à vivre de leurs activités… C’est représentatif d’une société entière qui est précarisée.

Cette situation est bien plus ancienne que la crise de 2008. En particulier durant les années 1990, le Portugal a connu un important mouvement de destruction des acquis sociaux et d’inflation des prix. Personne au Portugal ne pense que c’est la crise récente qui a créé la situation actuelle. Cela vient de plus loin et c’est pour cela qu’il y a une méfiance envers toute la classe politique.

Comment est né et évolue le mouvement du 12 Mars (M12M) ?

Hugo : Le premier point important à souligner, c’est que ce n’est pas un mouvement de jeunes précaires, c’est un mouvement de la société dans son ensemble par rapport à la question du travail. Le second point c’est que les médias ont tendance à le présenter comme un mouvement parti de rien. Mais en réalité, il y avait déjà une structuration de la contestation liée en particulier à l’appel à la grève générale, initié par les syndicats le 24 novembre 2010 [2].

Un autre moment important de mobilisation a été celui contre l’OTAN [3]. La belle histoire, c’est de dire que c’est cinq ou six personnes, des étudiants en science politique, de 26-28 ans, qui ont créé un appel sur Facebook avec une plateforme intitulée Génération A rasca [4]. Au même moment, il y avait d’autres plateformes sur Facebook, l’une d’elle par exemple appelait à un million de personnes dans la rue pour la démission de toute la classe politique.

Le point commun de ces plateformes, c’est qu’elles ne sont rattachées ni à un parti, ni à un syndicat. Le 12 mars, on estime qu’il y a eu 500 000 personnes dans les rues du Portugal, comme si à l’échelle de la France, il y avait près de trois millions de personnes. Un détail ambivalent signale l’ampleur du raz-de-marée qu’à constitué cette journée : même l’extrême droite était présente. A travers ce mouvement, c’est comme si les Portugais avaient pris tout d’un coup conscience de leur capacité politique. Après la manifestation, il y a eu la création de plein de mouvements civiques dans tout le pays, qui se structurent de façon démocratique : assemblées générales, délégué-e-s mandatés… et sont très attachés à rester indépendants des partis. Tout cela fonctionne beaucoup avec Facebook. Les groupes peuvent défendre des choses différentes ou même s’allier. Les thématiques restent celles de la précarité et du FMI, mais les débats actuels portent davantage sur des questions telles que : est-ce qu’on participe aux élections ou pas ? Quel est le but à atteindre ? Le groupe Génération A rasca est devenu le M12M, un collectif de collectifs avec d’autres structures : Portugal Uncut, Associação 25 avril [5], Solim [6], l’APR [7]

De nombreuses associations ou plateformes autour de la précarité ont aussi vu le jour. Cela va d’un collectif qui est capable d’organiser un collage d’affiche médiatisé dans trente villes au même moment (E o povo pá ?) aux associations de précaires (precários inflexiveis, Ferve, May Day).

Des occupations se sont organisées, comme la Maison des grévistes, lors de la grève générale du 24 novembre 2010. Depuis le 12 mars, je suis deux initiatives intéressantes. Dans un quartier populaire de Lisbonne, un groupe de jeunes a décidé d’occuper une boulangerie désaffectée pour faire du pain gratuit pour la population. Dans un quartier de Porto, un groupe a repris une école primaire abandonnée pour lui redonner sa fonction initiale (cours de soutiens, d’expression artistique, récrée animée, garderie…). Lorsqu’elle a été expulsée, la population du quartier s’est organisée en assemblée populaire pour soutenir les occupants, allant jusqu’à appuyer leur initiatives auprès de la mairie de Porto, par exemple en continuant de suivre les ateliers sur la petite place devant l’école das fontainhas.

Comment est né le collectif en France ?

Hugo : Le groupe est né du rassemblement qui a eu lieu le 12 mars devant l’ambassade du Portugal en France. Il y a des personnes qui viennent, d’autres qui partent : on tourne à environ 15-20 personnes. Les membres actifs sont soit des immigrés récents ou issus d’une vague plus ancienne d’immigration et des Françaises et Français d’origine portugaise.

Le premier jour, on a discuté de pourquoi on était là, on a structuré notre originalité par rapport à cet axe de l’immigration avec un premier appel [8]. On s’est dit que notre rôle, c’était de faire le lien entre là bas et ici, entre les gens liés à la culture portugaise et la société française. On s’est associé à une manifestation préparée là-bas pour le 25 avril, pour avoir un point d’ancrage nous permettant d’informer la communauté portugaise et la société française. On a beaucoup utilisé les médias communautaires : radio et presse écrite. On a du faire le constat de notre échec – au moins pour l’instant – à mobiliser la communauté portugaise en France, et donc davantage recentré notre activité sur l’information.

On a cherché également à se mettre en lien avec des collectifs de précaires en France. On travaille sur une plateforme en ligne de traductions de textes du portugais au français sur la situation sociale au Portugal. De manière générale, notre activité reste dépendante des événements au Portugal dans la mesure où l’on n’arrive pas à impulser une dynamique propre en France.

Comment situer le M12M par rapport à la diaspora portugaise et à ce qui se passe en Europe ?

Hugo : Il est évident pour nous que le Portugal est un pays périphérique. On a conscience qu’il faut un mouvement européen pour que le peuple portugais s’en tire.

Ce qui s’est passé en Grèce le montre bien : malgré l’ampleur du mouvement social, il n’arrive pas à résister. Les réseaux sociaux ne font pas la révolution, mais c’est un outil utile. En ce qui concerne la diaspora, nous sommes surtout en contact avec un groupe de Portugaises et Portugais organisés à Barcelone.

Nous sommes en lien avec les différents groupes au Portugal et dès que l’un de nous y part, il participe aux réunions de ces groupes. Nous allons nous réunir en assemblée plénière avec les différents groupes au Portugal et à l’étranger. Nous parlerons et voterons par Skype. Nous sommes en lien avec différents mouvements européens et travaillons nos relations avec les mouvements marocains, tunisiens et égyptiens. On suit de près les actions de campement qui ont lieu actuellement en Espagne.

Propos recueillis par Irène (AL Paris Nord-Est)

[1Initialement conçus pour rémunérer certaines professions libérales.

[2L’un des plus importants mouvements de grève de l’histoire du Portugal.

[3Un sommet de l’Otan a eu lieu à Lisbonne du 19 au 21 novembre 2010.

[4Terme que l’on peut traduire par fauché, en galère.

[5Association qui fait connaître l’héritage de la Révolution des œillets et organise des interventions sur la démocratie directe, les luttes sociales, etc.

[6« Solidarité immigré », plus importante association au Portugal d’appui aux immigrés.

[7Association portugaise des réalisateurs.

[8Reproduit sur le blog du M12M Paris.

 
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