Indiens mapuches au Chili : Partir ou lutter collectivement




Alors que les socialistes chiliens remportent encore une élection boudée par le peuple, les indiens Mapuche sont tiraillés entre villes et campagnes, dans une société individualiste où la propriété des terres est très inégalitaire.

Le 15 décembre 2013, la socialiste (du parti socialiste) Michelle Bachelet, a été réélue avec une très large majorité sur son adversaire de droite, Evelyn Matthei, fille d’un général de la junte militaire de Pinochet. Le désintérêt des Chiliens et des Chiliennes pour cette élection fut sans appel puisque 60 % des potentiels électeurs ne se sont pas déplacés aux urnes. Une « démocratie de l’abstention ».

Après la dictature qui a forcé la marche néo-libérale du pays, la « transition à la démocratie » chilienne (depuis 1988) n’est pas sans histoire et sans contestataires. Parmi eux, les Mapuches, principal peuple indien du Chili. Aujourd’hui, ils représentent environ un million de personnes. Plus de 50% d’entre eux vivent dans les banlieues populaires de Santiago. Un « peuple de la terre » (Mapuche en mapudungun, la langue mapuche, signifie gens de la terre), devenu peuple du ciment en l’espace d’une quarantaine d’années.
En effet, avec le temps, les « réserves » dans lesquels ont été assignés à vivre les Mapuches au début du XXe siècle, se sont faites de plus en plus petites devant l’accroissement de la population.

Inégale répartition foncière

Avec la libéralisation des marchés agricoles et la conversion de la région en méga-plantation forestière durant la dictature militaire, de nombreuses familles paysannes appauvries n’ont d’autre alternative que l’exploitation intensive de leur petite parcelle de terre, ce quia pour conséquence de favoriser l’érosion des sols. Comme pour les revenus en général, ce qui caractérise les rapports sociaux dans les campagnes, c’est l’extrême polarisation de la distribution foncière. Alors que deux entreprises forestières, Bosque Arauco et Forestal Mininco, ont un patrimoine foncier qui avoisine les 2 millions d’hectares, les quelques 200 000 Mapuches qui vivent à la campagne se partagent 500 000 hectares.

Face à cette réalité, les jeunes des « communautés » (les réserves ont été transformées par la magie du pouvoir de catégorisation étatique en « communautés » suite à l’adoption de la « loi indigène » en 1993) n’ont pas eu d’autre choix pour subsister que de migrer vers les grandes villes du pays pour s’incorporer au travail salarié et précaire. Pas d’autre choix ou presque…

Bons et mauvais indiens

Car dans les années 1990, la nouvelle génération mapuche, sans terres pour la plupart, et renouant avec l’histoire de mobilisations de leurs parents sous le gouvernement de l’Unité Populaire de Salvador Allende, a repris le fil des revendications des terres qui leur ont été historiquement usurpées. Largement médiatisées, et stigmatisées, ces luttes ont laissé dans l’ombre les hésitations de nombreuses communautés. Face à la répression des contestataires les plus décidé-e-s (violence policière allant jusqu’à la mort de plusieurs militants et militantes et peines de prison), les politiques publiques d’individualisation (visant à promouvoir l’émergence d’un entreprenariat ethnique mapuche) et les possibilités d’emploi en ville, même précaires, beaucoup de ces communautés ont renoncé à la contestation collective. Certaines préférant s’inscrire dans l’image du « bon mapuche », travailleur et capable de saisir les opportunités qu’offre une société de marché aux citoyens efforcés, plutôt que dans celle de « l’indien terroriste », qui revendique ses terres en bravant les frontières de la propriété privée.

Cette dichotomie – qui n’est pas seulement discursive puisqu’elle s’est matérialisée dans une série de dispositifs de gouvernement (récompenses pour les «  bons indiens  » et répression pour les « mauvais indiens ») – a été au cœur de toute action gouvernementale depuis le retour de la démocratie. Le gouvernement de Bachelet qui s’ouvre sous les auspices d’un socialisme moderne et rénové, qui ne fait plus peur aux investisseurs, et qui promet une «  croissance avec équité  », a aussi contribué en son temps à l’érection de ce mode de gouvernement des inégalités.

Wiful (Ami d’AL)

 
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