Intelligence artificielle : L’IA au service de la bourgeoisie

Les avancées récentes dans le domaine de l’Intelligence artificielle (IA) font couler beaucoup d’encre, entre enthousiasme envers ses applications potentielles et vieille crainte du remplacement de l’humain par la machine. Mais au-delà de ces considérations morales ou philosophiques, le développement de l’IA dans une économie capitaliste soulève des questions matérielles concernant les travailleurs et travailleuses exploitées. Comment cet outil devient-il une arme au service de la bourgeoisie ?
L’Intelligence artificielle (IA) est un outil numérique pour traiter automatiquement des données et réaliser des tâches variées : classification de données, estimation de valeurs, génération de contenu numérique.
Alors que jusqu’ici l’automatisation impactait principalement les secteurs ouvriers, l’IA inquiète désormais les personnes exerçant certaines professions intermédiaires ou intellectuelles. Lors de la grève de 2023, les scénaristes demandaient à ce que l’IA soit utilisée comme un outil pour les aider, pas les remplacer ou dévaloriser leur travail [1]. Aujourd’hui ce sont les comédiennes de doublage qui s’inquiètent et à raison. Des films sont désormais entièrement doublés à l’aide de l’IA, c’est par exemple le cas de Every Time I Die avec le logiciel Deepdub [2]. Concernant les radiologues, l’IA parvient à obtenir des performances comparables voir supérieures pour la détection de tumeurs dans les poumons [3].
Un outil qui repose sur l’exploitation
L’inquiétude sur les capacités de l’IA ne date pas d’hier [4]. AlphaGo de DeepMind a battu Lee Sedol, l’un des meilleurs joueurs de Go, en 2016. Avant cela, l’ordinateur d’IBM DeepBlue battait Kasparov aux échecs en 1997. Ces jeux symboliques, considérés comme nécessitant une grande intelligence, ont chaque fois donné le sentiment de franchir une étape, au point de soulever des questions morales pour anticiper l’émergence d’une IA forte, autonome. Aujourd’hui ce ne sont plus des symboles, mais bien des métiers concrets qui sont menacés et la problématique morale n’est plus si bien posée. La question est déplacée de la capacité de l’IA à asservir les humains par elle-même, vers la capacité de l’IA à être utilisée par des humains pour en asservir d’autres.
Le point de départ de l’IA date de l’invention des cartes perforées qui marque le début de la programmation. Cette nouvelle technologie introduit de nouveaux moyens de production, comme le métier à tisser Jacquard, inventé au XIXe siècle. Prolongation de la technologie des cartes perforées, la technologie IA est utilisée par les nouveaux moyens de production que sont ChatGPT et Deepdub. Cependant, l’utilisation commerciale de l’IA nécessite une puissance de calcul élevée, miniature et surtout bon marché. Cette puissance de calcul s’obtient par la consommation d’une énorme quantité de ressources nécessaires à la fabrication des usines, des machines à miniaturiser les circuits de programmation, leur alimentation et la production en elle-même. Ces ressources naturelles viennent directement de l’exploitation humaine dans certains pays du Sud, ce qui déplace la pénibilité du travail et l’invisibilise pour les Occidentaux. Un exemple frappant est celui du travail des enfants dans les mines de cobalt au Congo pour extraire les matières nécessaires aux batteries lithium-ion de nos appareils électroniques (70 % du cobalt mondial vient du Congo) [5]. Les populations des pays qui produisent ces ressources sont exploitées, les ressources pillées : on parle de néocolonialisme et d’extractivisme.
Une dépossession des compétences et des moyens de production
La complicité des informaticiennes repose sur le mythe de l’automatisation, censée améliorer les conditions de vie des travailleuses et travailleurs, voire réduire le temps de travail. Une théorie contredite par l’histoire du capitalisme et le libéralisme. La concurrence et la recherche du profit amènent forcément à leur demander plus dès que cela est possible. L’automatisation allant grandissante, les prolétaires sont aussi de plus en plus aliénées à ces moyens de production.
Un chercheur en archéologie témoignait dans une conférence des compétences de ses aînées [6]. Il y expliquait que, au son de leurs chaussures sur la terre sur un lieu de fouille, ils et elles pouvaient estimer la composition du sol et s’il y avait peut-être des objets sous leurs pieds. Maintenant, les lieux de fouille sont cartographiés par drone et utilisent l’IA. Par la pratique, les archéologues gagnent des compétences sur l’interprétation des résultats, mais perdent les compétences liées à l’observation et leur expérience sensible. Les premières sont conditionnées à la technologie utilisée et donc à un facteur extérieur à la personne, les secondes sont propres aux travailleurs et travailleuses. Les archéologues ne sont bien sûr pas propriétaires du matériel utilisé. C’est une illustration de comment l’utilisation de technologies permises par l’IA dépossède les travailleurs et travailleuses de leurs compétences. Là encore les progrès techniques vont à contre sens du progrès humain, la perte de compétences et d’autonomie. Ces progrès, utilisés par la classe bourgeoise, permettent de consolider les mécanismes de domination, ici en retirant l’indépendance des exploitées.
C’est le fonctionnement du capitalisme : pour ceux qui détiennent les moyens de production, il s’agit d’augmenter leur capital en augmentant les profits. Cela passe par la réduction des coûts de production par l’extractivisme, l’exploitation humaine ou l’automatisation des tâches répétitives. Le coût des travailleuses et travailleurs est remplacé par des coûts d’achat et de maintenance d’outils. Pour conserver cette dynamique, la bourgeoisie, avec l’aide de l’État, réprime les mouvements sociaux qui s’opposent à l’automatisation.
Les Perspectives de mouvements sociaux
Comment agir ? Les CSP+ sont isolées des mouvements sociaux, et plus généralement les travailleurs et travailleuses ont du mal à développer une conscience de classe, car on nous immerge dans une propagande libérale et individualiste dès la naissance. Par ailleurs nouer des liens entre les moyens de production ne suffit pas, les scénaristes et les ouvriers de l’automobile, bien qu’ils subissent l’automatisation, n’ont pas la même expérience de vie. Les syndicats peuvent créer ces liens, mais comment mobiliser celles et ceux qui ne sont pas impactées alors que la solidarité et la camaraderie sont à reconstruire ?
Le syndicalisme oui, mais un syndicalisme révolutionnaire et inclusif. Un syndicalisme qui lutte tout aussi bien contre la précarité des artistes-auteurices qui s’inquiètent de se voir remplacées progressivement par l’IA [7], que contre les opérateurs du numérique qui exploitent des travailleurs et travailleuses au Kenya sous prétexte d’améliorer la pertinence des algorithmes. Un syndicalisme qui intègre la lutte des classes, la convergence des luttes et l’action directe. Un syndicalisme solidaire de l’ensemble des travailleuses et travailleurs et portant la vision d’un monde juste sans État, sans capitalisme, sans frontière et sans oppressions systémiques.
May et Olive (sympathisantes de Toulouse)





