Islamophobie : Dix ans de construction du «  problème musulman  »




Une décennie après la première loi sur les « signes religieux ostentatoires », qui visait en fait le foulard islamique, la construction du « problème musulman » n’a fait que prospérer, véritable cheval de Troie du racisme.

En 2003, le voile refit une entrée fracassante dans le débat, en pleine période post-11 septembre. Un débat d’une année entière conduira à la proclamation, le 15 mars 2004, de la loi d‘interdiction des signes religieux ostentatoires dans les écoles, collèges et lycées publics. Depuis, cela ne s’est pas arrêté : en 2009-2010 (à l’occasion simultanée d’un débat sur l’identité nationale et de la réforme des retraites) ce sera l’interdiction du nikab qui occupera le débat toute une année. Puis la circulaire Chatel interdisant aux mères voilées d’accompagner des enfants pour les sorties scolaires. Dernièrement, ce fut à l’université qu’il fut proposé de l’interdire.

Combattre l’islamophobie ?

Pourquoi cette construction du «  problème musulman  »  ? L’islamophobie est un racisme ayant plusieurs utilités  : il sert simultanément à donner un os à ronger au peuple pour faire diversion, et à diviser celles et ceux qui devraient être unis et unir celles et ceux qui devraient être divisés. Mais il surgit aussi en réaction aux mouvements d’émancipation et aux luttes antiracistes, ainsi qu’en réaction à la visibilité de la population d’enfants d’immigrés issue de la colonisation, ces derniers occupant de plus en plus des espaces que leurs parents n’occupaient pas.

La construction du «  problème musulman  » permet aussi de justifier toutes les autres politiques racistes : elle justifie la xénophobie d’état et les exigences de contrôler l’immigration, elle justifie par exemple de ne pas donner le droit de vote aux étrangers en évoquant des peurs de dérives intégristes au pas de la porte. Elle justifie la psychose sécuritaire et les lois antiterroristes, etc. L’islamophobie aide aussi à justifier les guerres impérialistes et à déshumaniser les victimes, bien souvent musulmanes, des bombes des États impérialistes. Ces lois et stigmatisations ont des conséquences concrètes pour celles qui les subissent (agressions, licenciements, discriminations…) et c’est notamment ce qui exige de radicalement se mobiliser contre.

La division du mouvement social

L’autre utilité de ces lois a été de diviser le mouvement antiraciste et féministe. Même si de nombreux progressistes se sont opposés à la loi, peu se sont solidarisés et mobilisés contre. Il restait cette peur de faire le jeu des intégristes, du «  communautarisme  », ou encore de l’aliénation religieuse. AL considère le voile, au même titre que les talons-aiguilles par exemple, comme un marqueur de la domination patriarcale. Pourtant, on a du mal à voir quelle émancipation féministe on vise, quand les filles qui seraient forcées de porter le voile sont exclues de cours, ou encore quelle émancipation il peut y avoir en renvoyant les femmes en nikab entre leurs quatre murs. Les mouvements religieux musulmans les plus conservateurs, comme l’UOIF, n’ont jamais appelé à se mobiliser contre cette loi, pas plus que contre celles qui ont suivi, et ont plutôt tendanciellement participé à dissuader les musulmans de se mobiliser.

Ces lois et le mépris qu’elles expriment n’ont fait que favoriser le repli sur soi communautaire, et soumettre les prolétaires hommes et femmes musulmans, précarisé-e-s par ces lois, encore davantage aux élites et patronat communautaires. Les mobilisations contre l’islamophobie ont eu le mérite d’offrir une alternative mobilisatrice non passive, progressiste et pluraliste, contrecarrant ce repli sur soi. Ces mobilisations sont toujours d’actualité. Aujourd’hui, la solidarité antiraciste exige la construction d’un rapport de force unissant toutes les victimes du racisme, sans en laisser certaines sur le bord de la route.

Nicolas Pasadena (commission antiraciste)

 
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