Politique

Jeux olympiques et paralympiques - JOP : propagande, validisme et grand capital




Alors que les JO de Paris viennent de s’achever et que les Jeux paralympiques commencent, l’ensemble de l’évé­nement ressemble au fiasco que les organisations militantes ont dénoncé depuis des années. La cérémonie d’ouverture des JO, assumée à demi-mot par le gouvernement, qui a tout de même présenté ses excuses aux réactionnaires outrées par l’usage de références classiques, a été un formidable outil de propagande en permettant de masquer les divers scandales qui émaillent les Jeux.

Les JO ont brillé par l’expulsion des SDF parisiennes, des étudiantes du Crous pour y loger les athlètes, l’interdiction pour les sportives françaises de concourir voilées (allant à l’encontre de l’avis du CIO sur la question) et le caca dans la Seine, pourtant soupçonné d’être à l’origine de l’hospitalisation d’athlètes. La présence de Nelson Montfort, dont on attend la retraite avec impatience, au commentaire de certaines épreuves, incarne quant à elle le travail immense de lutte contre le sexisme qu’il reste à effectuer dans les services sportifs des chaînes. La transmission des épreuves elle-même a été l’incarnation de la casse du service public, puisqu’une partie des retransmissions ont été vendues à Eurosport, chaîne privée pour laquelle il est nécessaire de payer un abonnement.

Un exercice de propagande

La cérémonie d’ouverture a été un sommet de communication libérale, réussissant à faire oublier les réalités politiques du pays en présentant une façade progressiste, voire révolutionnaire. On a ainsi eu la surprise d’apercevoir une statue dorée représentant Louise Michel surgir de la Seine. Accompagnée d’un bandeau rappelant sa solidarité avec le peuple kanak, sans qu’aucun lien ne soit fait avec la situation actuelle de l’archipel. On aurait aussi pu s’enthousiasmer devant la figure décapitée de Marie-Antoinette entonnant un « Ah ! ça ira », ou en voyant Aya Nakamura chanter devant l’Académie française … Mais ce serait oublier un peu vite l’élection de 126 députées RN moins de deux mois auparavant.

Pendant deux semaines, le service public de l’information était en boucle sur les divers exploits sportifs, faisant soudainement disparaître le contexte politique national et international. Silence aussi sur les fait politiques qui ont émaillé ces Jeux, heureusement documentés par la presse indépendante. Sur le terrain du travail d’abord, avec des professionnelles écartées des JO à cause de leurs activités militantes [1], et les conditions d’embauches et de travail déplorables des travailleureuses des JOP sur lesquels l’inspection du travail a ouvert une enquête [2]. Mais aussi sur la gestion ultra sécuritaire des ces Jeux est répressive avec la généralisation de la vidéosurveillance [3] et l’assignation à résidence arbitraire de dizaines de personnes [4] dont plusieurs mineures [5].

Le 8 octobre 2023, à l’occasion de la Journée paralympique, les collectifs Les Dévalideuses et Les Dégommeuses ont fait irruption sur la Place de la République à Paris, pour dénoncer le validisme de la France.
Les Dévalideuses

La volonté d’effacer tout signe de contestation s’est ressenti dans le contrôle policier omniprésent sur les sites et a été marqué par le placement en garde à vue de huit militantes du collectif Les Hijabeuses, une arrestation aux motifs clairement racistes et politiques [6]. La polémique transphobe et intersexophobe autour de la boxeuse Imane Khelif (voir notre article Boxe : La police du genre frappe à nouveau) a mis au jour l’absence de formation d’une grande partie de la scène médiatique et militante sur ces questions et a été un rappel de l’offensive transphobe portée par les fascistes et les conservateurs en France et à l’international.

Ceux qui se gavent

Et tout ça pour quel bénéfice ? Outre un prétexte pour durcir les politiques sécuritaires et un renforcement général de l’ambiance nationaliste déjà étouffante ? Déjà celui des grands groupes faisant parti des « partenaires premium », au premier rang desquels LVMH, omniprésent : de la cérémonie d’ouverture aux médailles, dessinées par Chaumet, joaillier du groupe, l’empire du luxe de Bernard Arnault aura maximisé sa présence tout au long de ces Jeux prétendument  « populaires ». Mais l’évènement a aussi été l’occasion pour d’autres de se remplir directement les poches : GL Events, entreprise dirigée par Olivier Ginon, un proche d’Emmanuel Macron, a réalisé plus de 70% des aménagements temporaires des JO pour un montant que les organisateurs refusent de communiquer.

De notre coté, il ne faut espérer que des miettes : si de multiple tribunes demandant une vraie politique de développement des pratiques sportive en France ont été publiées à la fin des JO, dans les faits la situation reste au point mort, alors que la situation des clubs amateurs est de plus en plus compliquée face à la suppression de subventions et des emplois aidés, les forçant à reposer sur les cotisations de leurs adhérentes, de plus en plus coûteuses.

Les Jeux Paralympiques, l’arbre qui cache le validisme

Les Jeux paralympiques qui on démarré le 28 août ne sont également pas exempts de problèmes systémiques et organisationnels. Systémiques puisqu’ils impliquent, tout d’abord, une classification des handicaps pour déterminer des catégories mais aussi parce que leur promotion est fondamentalement validiste, comme l’indique la chercheuse Charlotte Puiseux interrogée par Mediapart [7] : les représentations du handicap oscillent entre le misérabilisme et la minimisation ; il devient « une force », en particulier dans les représentations d’athlètes concourant avec des prothèses.

Ces rhétoriques obligent les athlètes à se couler dans une case afin de gagner en visibilité et ainsi espérer une chance de financement. Car les para-sports coûtent cher : outre la question de l’accès à des clubs pour pratiquer (et donc potentiellement des temps de trajets importants), se pose celle du financement de matériel adapté, mais aussi d’aménagements du temps de travail. Dans un pays où l’AAH (Allocation adulte handicapé, dont certaines athlètes vivent) se situe tout juste au dessus du seuil de pauvreté et où l’accès à un emploi avec une RQTH [8] relève du parcours du combattant, certaines se voient contraintes de renoncer à des soins ou des repas pour pouvoir pratiquer [9].

L’organisation des paralympiques permet par ailleurs à la ville de Paris de faire oublier les critiques récurrentes concernant l’absence d’accessibilité de son métro, ou, d’une façon générale, le manque d’application des lois concernant l’accès PMR d’un grand nombre de lieux publics. Des constats qui font grincer les dents lorsque Tony Estanguet, président du comité d’organisation des JOP de Paris, se met à parler de « révolution paralympique » dans son discours d’ouverture, saupoudrant tout du long une métaphore révolutionnaire, tout en précisant dés le début que ce sera une révolution « sans prise de la Bastille et sans Guillotine ». Une révolution de pacotille, désarmée et sans effet sur le monde, une imagerie de roman national vidée de tout sens et de toute ambition.

Face à ce vide, à nous d’inventer et de construire un sport véritablement populaire et émancipateur, et pourquoi pas, réellement révolutionnaire ?

Marco Pagot et N. Bartosek (UCL Alsace)

[1Militants écologistes ou pour la justice sociale, ils ont été écartés des JO, 8 août 2024, Mediapart.

[2Paris 2024 : le «  forfait jours  » ou la détresse des travailleurs en CDD pour les JOP, 25 août 2024, l’Humanité.

[3Vidéosurveillance boostée par les JO : Un pognon de dingue, une efficacité contestable, 8 août 2024, Blast.

[4À l’approche des JO, les assignations à résidence pleuvent et détruisent des vies, 17 juillet 2024, Mediapart.

[5Au moins sept adolescents figurent parmi les assignés à résidence de l’été, 15 août 2024, Mediapart.

[6Huit femmes du collectif des Hijabeuses ont été placées en garde à vue en marge des JO, 16 août 2024, Mediapart.

[7Séparer les Jeux paralympiques des olympiques, un statu quo qui interroge, 28 août 2024, Mediapart.

[8Reconnaissance de la qualité de travailleureuse handicapée

[9La précarité, un obstacle majeur pour les athlètes paralympiques, 26 août 2024, Mediapart.

 
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