Pleins feux

Opération Wuambushu à Mayotte : le jusqu’au boutisme de l’inconséquence néocoloniale




L’Opération Wuambushu en cours à Mayotte autorise le passage d’un cap dans la répression des migrantes. L’île, où la situation sociale et sanitaire est explosive et la xénophobie exacerbée, paie le prix de quarante ans d’inférence aux Comores. Exiger des réparations pour le néocolonialisme devra faire partie de la solution.

Wuambushu, (qui signifie Reconquête, le clin d’œil assumé est terrifiant), est le nom de l’opération initiée par Gérald Darmanin et organisée par le commissaire Laurent Simonon (poursuivit dans l’affaire Benalla), qui a débutée le 23 avril. L’État français prévoit d’expulser 10 000 personnes en deux mois et de créer deux centres provisoires de rétention. Avec cette opération les limites sont repoussées par l’État : sont mobilisées une unité du RAID, gendarmes, drones, blindés et la violente compagnie de CRS 8  !

Près du village de Tsoundzou, les policiers ont effectué douze tirs à balles réelles « vers le sol et pour faire fuir » [1]. Le Vice-président du Conseil départemental de Mayotte a qualifié les jeunes immigrées Comoriennes de « terroristes » et affirme qu’il « [faudra] peut-être en tuer », une déshumanisation terrifiante qui a même quelque peu indigné la classe politique. Avec des surenchères du RN évoquant leurs succès éléctoraux à Mayotte, cette opération militaro-policière est un laboratoire qui préfigure la généralisation de ce type de répression consistant à expulser des milliers de personnes et raser des bidonvilles. Ces pratiques se heurtent pourtant encore à quelques gardes-fous juridiques de protection des droits, mais pour combien de temps  ?

La situation sociale sur l’île est en effet particulièrement grave : 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, la LDH et un collectif de 170 personnels soignantes mahoraises ont alerté sur les risques de violation des droits humains, de crise sanitaire et d’accroissement des tensions. En 2016 déjà, des collectifs citoyens « décasaient » violemment leurs voisines comoriennes. Les titres de séjours délivrés à Mayotte ne sont pas valables sur d’autres territoires français et le droit du sol y est restreint. Il n’y a pas d’aide médicale d’État et depuis le 13 avril, les centres maternels et infantiles du département sont interdits aux sans-papiers, priées de se rendre au CHU, surchargé.

Histoire coloniale aux Comores

Mayotte a été achetée par la France au Sultan malgache Andriantsoly en 1841, avant de s’emparer de la totalité des Comores à la fin du XIXe siècle. Après l’indépendance de 1974, les élites loyalistes de l’île initient un référendum fantoche  [2] en 1976, durant lequel les mahorais choisissent de rester français. Depuis lors, l’ONU considère que la France occupe illégalement Mayotte et exige sa rétrocession aux Comores.

Ces dernières, quant à elles, ont subi plusieurs coups d’État durant les vingt années qui ont suivi leur indépendance, fomentés par la France via le mercenaire Bob Denard, surnommé « le sultan blanc ».

Des rassemblements essaiment partout en France contre le néocolonialisme de l’Etat. Ici, à Grenoble.
AFA Grenoble

L’instabilité politique provoquée par la France a empêché tout développement économique, conduisant comme ailleurs les populations à immigrer vers Mayotte au péril de leur vie sur des embarcations de fortune (les fameux kwassa-kwassa). Nombre de Comoriennes et de mahoraises, au delà de partager les mêmes langue, culture et religion, ont des liens familiaux depuis toujours. Les liens entre les îles n’ont jamais été coupés et expliquent les arrivées sur Mayotte dès lors désignées comme des migrations.

Les intérêts français à Mayotte sont liés à la mer : la France, via toutes ses outre-mers possède le deuxième plus grand domaine maritime mondial. Il s’agit de zones de pêches, d’hydrocarbures et d’influence, la France ayant voix au chapitre concernant l’Océan Indien au sein de plusieurs instances internationales. Territoire géostratégique, c’est l’armée qui poussera au maintien de la présence sur l’île où la base militaire permet à la France d’intervenir dans le canal du Mozambique où est présente la multinationale Total.

Une xénophobie néolibérale

Mayotte condense sur un territoire minuscule les problèmes d’un monde où les normes occidentales de l’État-nation et ses frontières ont été imposées. Le capitalisme néolibéral mondialisé a statutairement et juridiquement divisé les travailleurs et travailleuses et répandu la xénophobie au sein de peuples anciennement colonisés qui ont été arbitrairement séparés. Violences et pogroms au nom de frontières arbitraires et de petits nationalismes exacerbés où « le pauvre tue le pauvre », pour paraphraser Frantz Fanon.

Cette xénophobie entre néo-colonisées a pour base matérielle la division multi-statutaire des travailleurs et travailleuses dans les ex-métropoles coloniales comme dans les ex-colonies : les populations « clandestinisées » par le droit et les frontières, exploitées dans certains secteurs spécifiques (agricole, bâtiment, nettoyage, etc.), les populations « nationalisées » issues de la colonisation ou de l’esclavage, discriminées à leur tour pour optimiser la précarité (services, industrie, etc.). L’accompagnement idéologique-raciste et juridique-xénophobe perpétue la division coloniale du travail. Il ne s’agit pas d’autre chose à Mayotte : les élites mahoraises qui réclament l’opération Wuambushu sont les mêmes qui exploitent ces mêmes migrantes comoriennes et se satisfont que la rancœur populaire ne s’abatte pas sur eux, et la République de se complaire d’arbitrer de façon paternaliste au secours des loyaux…

Égalité des droits et réparations

Du point de vue mahorais, le choix majoritaire en 2009 de la départementalisation exige de la France un rapport d’égalité avec la métropole sur des questions comme l’accès à l’eau, ou l’alignement du Smic et des prestations sociales, égalité que la France rechigne à offrir. Pire elle suggère, pour stopper l’immigration, de la réduire encore davantage. La population mahoraise se retrouve ainsi devant une contradiction : au nom de la « lutte contre l’immigration illégale », elle pourrait perdre ses miettes d’égalité avec la métropole  ! Et l’État français ne propose rien de plus à la population que la stérilisation des femmes pour endiguer la croissance démographique de l’île  [3].

Mayotte ne doit pas sortir des radars du mouvement social français  ! Plusieurs manifestations d’opposition à l’opération ont eu lieu à l’appel de plusieurs syndicats et associations, notamment à Marseille où est fortement présente la communauté Comorienne. Bien que minoritaire, des mahoraises aussi s’opposent à l’opération. Si nous devons exiger l’égalité des droits et la décolonisation de Mayotte à moyen ou long terme, une autre revendication latente s’impose : les réparations. Pour les Comores comme pour Mayotte.

Les précarités économiques dans ces îles ne sont pas des accidents, elles sont la conséquence d’une politique impériale qui perdure. Les réparations, qui sont aussi une mesure de partage des richesses, offriraient une réponse politique offensive pour des syndicats bien embêtés et déroutés lorsque ses sections mahoraises ont parfois pris des positions xénophobes. Enfin, exigeons de rompre avec la mise en compétition des peuples, la fin de l’hégémonie de l’État nation et de ses frontières militarisées !

Nicolas Pasadena (Commission antiraciste de l’UCL)

[2En 1976, c’est avec le recours clientéliste au parti populaire mahorais, l’intimidation par d’anciens OAS et la déportation des indépendantistes vers les autres îles que se déroule la « consultation ». Voir « Comores : L’État français passible de crime contre l’humanité », Alternative libertaire, n° 159, février 2007

 
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