Antifascisme

Législatives allemandes : Le spectre du nazisme fait son retour




Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) s’est solidement installé en Allemagne ces dernières semaines, à la faveur d’une alliance historique avec le parti chrétien-démocrate (CDU) autour d’un texte de loi visant à durcir la législation anti-immigration. L’AfD a ainsi pu arriver deuxième lors des législatives du 23 février dernier. Pour ce jeune parti (à peine une dizaine d’années), l’ascension est fulgurante. Une situation d’autant plus précoccupante que le parti ne joue même pas la carte de la dédiabolisation, multipliant les références et les actes indiquant clairement son orientation fasciste.

Le signal fort des dernières législatives allemandes, c’est cette alliance inédite depuis la seconde guerre mondiale entre CDU et AfD. Depuis la chute du nazisme, l’Allemagne et ses institutions s’employaient à mettre à distance de façon beaucoup plus stricte qu’en ­France les partis liés à l’héritage nazi. Malgré une importante mobilisation dans les rues, le parti fasciste réalise un score très important et la forte participation (82,5%) donne une certaine légitimité au scrutin. Pourtant, l’AfD fait l’objet d’un rejet massif de la population. 75% des personnes interrogées par Infratest Dimap pensent que l’AfD « ne s’est pas assez éloigné des positions d’extrême droite ». Un résultat qui rappelle que le décalage entre les positions publiques et le vote est une réalité.

La fin du cordon sanitaire

Habituellement cantonné à son territoire traditionnel de l’ex-RDA, l’AfD a étendu ses résultats à d’autres régions, bénéficiant d’un vote ouvrier important ainsi que d’une forte progression chez les jeunes lui permettant de doubler son dernier score (tendance que l’on observe aussi en France avec le RN). Sous prétexte de défense des classes populaires, l’AfD avance un discours raciste et xénophobe qui séduit une certaine partie de la population. La politique allemande anti-palestinienne a sans doute aussi contribué à la montée de l’islamophobie et au succès de l’AfD. Si l’on doit résumer, l’électeur type de l’AfD est un homme de 35-44 ans vivant en milieu plutôt rural (et à l’Est) [1]. La cible parfaite du discours « anti-wokiste » utilisé tant à droite qu’à l’extrême droite.

Ce sont des dizaines de millions de personnes qui ont plébiscité la droite radicale et l’extrême droite dans le pays le plus peuplé et le plus riche d’Europe. Le leader de la CDU, Friedrich Mertz, qui a permis le rapprochement avec l’AfD, est un ultra-libéral ­sorti de la banque HSBC. À l’image de Macron, il laisse volontiers la place à des personnalités très conservatrices sur les questions sociétales. La solution capitaliste ultraraciste apparaît malheureusement comme la seule alternative à la politique actuelle.

Le milliardaire et homme politique américain Elon Musk, qui a participé à un meeting de l’AfD fin 2024, y a déclaré : « Les enfants ne devraient pas être coupables des péchés de leurs parents, et encore moins de leurs arrière-grands-parents » pour défendre la fin du devoir de mémoire de la Shoah en Allemagne, prôné par l’AfD. Un discours à contre-courant des efforts fournis par ­l’Allemagne pour éduquer sa population dans la doctrine « Nie Wieder » [2]. « Il est bon d’être fier de la culture allemande, des valeurs allemandes et de ne pas les perdre dans une sorte de multiculturalisme qui dilue tout », a-t-il aussi déclaré en affichant son soutien. Rien d’étonnant devant ses actes depuis son entrée au gouvernement Trump.

Une réunion secrète s’est tenue à Potsdam en novembre 2023 entre cadres de l’AfD, en présence de membres de la CDU ainsi que de millionnaires et patrons allemands mécènes de l’extrême-droite [3]. Il y a été évoqué un grand plan de déportation de près de 2 millions de personnes d’origines étrangères, principalement turques, kurdes, libanaises ou syriennes (des citoyennes et citoyens « non assimilées », expression qui rappelle celle de Retailleau, empruntée à l’extrême droite « françaises de papier »). Elles seraient déplacées de force dans un État en Afrique du nord, accompagnées des allemandes et allemands qui leur seraient venues en aide ces dernières années (membres d’association, journalistes, etc.). Ce n’est pas sans rappeler le projet de déportation des juifs à Madagascar, envisagé un temps par les autorités nazies avant que ne soit choisie leur extermination.

Une extrême droite au service du capital

Quelques années plus tôt, Christian Lüth, cadre de l’AfD, avait appelé à « gazer » les réfugiées. Ses propos sont glaçants : « Plus la situation de l’Allemagne est mauvaise, mieux c’est pour l’AfD. […] Bien sûr, ça craint, pour nos enfants aussi. […] Mais cela nous permettra probablement de continuer », a-t-il dit avant de dérouler la suite de son projet : « Nous pouvons ensuite tous les abattre. Ce n’est pas du tout un problème. Ou les gazer, ou ce que vous voulez. Je m’en fiche ! ».

Tout comme le RN en France, ce parti embauche comme parlementaires des militants néo­nazis, masculinistes, violents. Nombreux sont ses élus à avoir tenu des propos euphémisants ou soutenant ouvertement le nazisme. Parmi eux, l’eurodéputé Maximilian Krah. Peu avant les élections européennes en juin 2024, il avait fait scandale en estimant qu’un SS n’était « pas automatiquement un criminel » dans un entretien avec le quotidien italien La Repubblica. Ou encore Matthias Helferich, qui se présente comme « le visage sympathique du national docialisme ».

Alice Weidel, cheffe du parti AfD, réélue au Bundestag lors des élections législatives allemandes de 2025.
Peter Nedergaard

La politique institutionnelle ne permet plus de faire barrage, ni en Allemagne où la participation massive aux élections n’a pas permis d’éviter une forte poussée des nationalistes, ni en France ou un élan d’espoir a été balayé d’un revers de la main. Les idées d’extrême droite ont conquis les sommets de l’État. 

Seule alternative : les luttes antifascistes

Plus que jamais, les luttes antifascistes doivent être menées par la population, localement d’abord et plus largement ensuite. Dans les familles, dans les collectifs locaux, dans les institutions, il faut revenir à un discours tranché : appeler à nouveau un chat un chat, un nazi un nazi et mettre face à leurs responsabilités celles et ceux qui ont choisi l’extrême droite simplement « parce qu’on n’a jamais essayé » ou parce qu’ils et elles n’ont pas trouvé d’autres moyens de protestation.

Il faut porter une parole haut et fort auprès des jeunes et des moins jeunes qui se laissent séduire par des discours simplistes et populistes. Les mobilisations antifascistes dans les pays où existe une tradition de classe importante ne sont pas suffisamment accompagnées de luttes syndicales mobilisatrices qui tissent le contour d’une alternative. Ne laissons aucune place à l’extrême droite et à la banalisation de ses idées dans le débat public et continuons la lutte par tous les moyens contre le capitalisme et le fascisme dans lequel elle se complaît.

Ed. Wanted (UCL Grenoble)

[2En français, «  Plus jamais  ». Référence à l’expression «  Nie wieder Krieg  !  », «  Jamais plus la guerre  !  », apparue après la Première guerre mondiale.

[3D’après un article d’investigation du média indépendant allemand Correctiv.

 
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