Les Classiques de la subversion : Rosa Luxemburg, « Le Socialisme en France »




Les éditions Agone poursuivent leur réédition Smolny des œuvres complètes de Rosa Luxemburg. Le troisième volume porte sur Le Socialisme en France. Cet ouvrage est une collection d’articles écrits par Rosa Luxembourg sur le mouvement ouvrier français, entre l’affaire Dreyfus et la guerre de 1914 contre l’Allemagne.

Ces articles couvrent principalement les débats qui opposent les différents courants du mouvement socialiste français avant son unification dans la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) en 1905. D’un côté, il y a les « durs », Jules Guesde et Edouard Vaillant, qui se tiennent à l’époque à une version dure du marxisme. De l’autre, il y a les ministérialistes ou réformistes, dont le chef de file est Jean Jaurès.

Le premier thème de débat est celui du ministérialisme, c’est-à-dire de l’opportunité pour le mouvement ouvrier de participer à un gouvernement bourgeois et impérialiste. C’est ce que fait Alexandre Millerand en 1898, soutenu par Jean Jaurès. Luxembourg critique vertement ce qu’elle estime être une compromission. Au passage, elle tord le cou du « réformisme honnête » de Jean Jaurès : celui-ci aurait été un réformiste sincère voulant changer les choses, trahi ensuite par des successeurs peu scrupuleux.
L’examen de ce texte nous montre le contraire : Jaurès a toujours soutenu les options les plus à droite du mouvement socialiste. Il n’hésite pas à soutenir les multiples gouvernements qui mènent des politiques anti-ouvrières et qui remettent en cause certains droits des travailleurs, tout en soutenant le colonialisme.

L’argument en faveur de toutes ces compromissions est la défense de la République face aux menaces que seraient les ennemis de Dreyfus et l’Église. À un siècle d’écart, nous retrouvons les chantages du « vote utile ». Pour défendre la République face à ses ennemis (FN), il faudrait abandonner toutes ses idées et faire « barrage ». Ce livre nous apprend que cette singerie social-démocrate n’est pas neuve mais bien vieille comme le Parti socialiste (appelé SFIO à l’époque).

Cet ouvrage a l’avantage de nous montrer que la corruption des socialistes français ne date pas d’hier, et que dès le début, le ver était dans le fruit. Ces pages nous semblent d’une frappante actualité lorsqu’on voit les compromissions du PS, mais aussi du Front de gauche.

Nous pourrons tout de même faire deux reproches aux visions de Rosa Luxembourg. Tout d’abord, elle ne parle que très peu des syndicalistes révolutionnaires, les accusant d’être anarchisants, alors que c’est le courant le plus intéressant de l’époque. Elle soutient aussi systématiquement Jules Guesde, qui pourtant se compromettra pendant la Première Guerre mondiale en devenant ministre de l’Union sacrée.
Quoi qu’il arrive, une lecture salutaire !

Matthijs (AL Montpellier)

• Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, Agone ; Smolny, 2013, 302p, 22 euros

 
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