Lire : Bolopion, « Guantanamo, le bagne du bout du monde »




Imposée à Cuba en 1901 par les États-Unis, réactivée pendant la guerre froide et dans les années 1990, unique camp au monde où furent parqués des sidéens, la base navale de Guantanamo revient dans l’actualité infâmante. Depuis le 11 janvier 2002 elle abrite de la curiosité des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme ou des manifestants éventuels, des centaines de prétendus « assassins sanguinaires ».

Philippe Bolopion, correspondant français à New York pour Radio France international, France Culture et Le Journal du dimanche, a pu, au début de 2004, visiter sous étroit contrôle, ce bagne exotique. Frustré par les restrictions imposées, il a voulu savoir qui étaient ces détenus, le traitement qu’ils subissaient, leur statut juridique. Présentés comme les pires terroristes d’Al Qaïda, ces 800 hommes – dont 3 enfants et des adolescents – de quarante nationalités, ont été raflés en Afghanistan, au Pakistan, en Bosnie et aux Philippines. Maltraités psychologiquement et physiquement, coupés de leur pays, de leur famille, retenus sans motif, privés d’avocat et de procès, ils ignorent la durée et l’issue de leur captivité. Dans des cages métalliques de 1,80 sur 2,40 mètres, croupissent jeunes Afghans misérables, petites gens dénoncées par des voisins jaloux ou cupides, malades mentaux indésirables – jusqu’à un vieil homme amené là par son fils pour toucher la prime. Victimes du besoin « de faire payer n’importe quoi à n’importe qui", les Américains les présentent comme des combattants tout en leur refusant le statut de prisonniers de guerre sans non plus les reconnaître comme des civils.

Pour sauver quelque peu les apparences, des commissions militaires d’exception ont tenté d’organiser le jugement de quelques prisonniers. L’armée, à la fois « procureur, juge, jury, cour d’appel et bourreau", y donna l’aperçu d’une telle parodie de justice qu’elle provoqua même l’indignation des avocats militaires commis à la défense. Le lieutenant Swift déclara à la presse : « Je suis d’accord avec le président. Al Qaïda ne peut pas altérer l’Amérique, nous seuls pouvons altérer l’Amérique. J’ai rencontré l’ennemi, et c’est nous."

Mais il ne suffisait pas aux faucons de Washington de balayer le droit international et de s’asseoir sur la convention de Genève. Au nom de la lutte contre le terrorisme, depuis 2002 Bush s’est investi des pouvoirs d’un président en guerre ayant pour champ de bataille la planète. Par le décret du 13 novembre 2001, il autorise ses services à abattre ou à arrêter qui il veut n’importe où dans le monde, à le retenir incarcéré indéfiniment à l’endroit de son choix, en le traitant à sa guise sans qu’aucun tribunal ne puisse intervenir. De nouveaux pouvoirs sont accordés à la CIA : ouvertures de centres de détentions clandestins à l’étranger, emploi de « techniques d’interrogation extrêmes", expédition de simples suspects dans des geôles de dictatures, telle la Syrie, « pour qu’ils leur fassent cracher leurs tripes", dixit un officiel américain.

Au Pakistan, dans l’océan Indien, le désert de Jordanie, à bord de bateaux de guerre navigant dans les eaux internationales, 9.000 « détenus fantômes" et une trentaine de grosses prises se trouvent hors de la protection de toute forme de justice. Ces méthodes abandonnées au XVIIe siècle par les pays européens, exhumées par Bush au nom de la liberté et de la démocratie, ne se sont pas constituées en marge des lois. La vitrine exécrable de Guantanamo détourne l’attention du monde de ce « goulag américain" conçu par les juristes de la CIA et de l’armée, approuvé par le bureau de conseil juridique du ministère de la justice et cautionné par le président et ses conseillers.

HF

  • Philippe Bolopion, Guantanamo, le bagne du bout du monde, La Découverte, 2004, 234 p., 18 euros.
 
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