Lire : Chollet, « Sorcières : la puissance invaincue des femmes »




Mona Chollet s’était déjà intéressée à l’injonction faite aux femmes d’être belles, dans Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation domestique, en 2012. Puis à celle qui nous enjoint à nous désintéresser de nos espaces domestiques, pourtant cocons de protection, rêves ou résistances dans Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique (2015).

Autant dire que la célèbre journaliste du Monde diplomatique aime à battre en brèche les préjugés et enquêter sur ce que notre société impose ou rejette. C’est dans ce même élan qu’elle s’intéresse aux sorcières, dans l’ouvrage au titre galvanisant, Sorcières : La puissance invaincue des femmes. Sorcières de tous les pays, lisez-le ! Dans cet essai humble et fouillé, nous constatons d’abord comment l’image des sorcières a refait surface récemment : ne sont-ce pas des sorcières, dont la chanteuse Lana Del Rey, qui ont jeté un sort à D. Trump dès son élection ? Ne sont-ce pas des sorcières parisiennes et toulousaines qui ont battu le pavé des manifestations contre la loi travail ? Cette actua lité n’est pas anodine : les sorcières sont à la page. Mais que restet-il de leur histoire ? Mona Chollet retrace pour nous les terrifiantes chasses aux sorcières qui n’ont pas tant ensanglanté le Moyen Âge, comme le veut le préjugé entourant cette période, que la Renaissance (L’homme de Vitruve de Léonard de Vinci… était bien un homme, exit les femmes au centre de la connaissance !). Les sorcières sont des femmes indépendantes, sans enfant, souvent âgées et proches de la nature puisque guérisseuses. La grande force de l’ouvrage de Mona Chollet réside dans sa volonté de reprendre ces caractéristiques et d’en analyser la perception dans la société contemporaine. Celles qui échappent à la tutelle d’un mari ou d’un homme, qui revendiquent le fait de n’être pas mère, d’afficher leur vieillesse sont les héritières des sorcières d’autrefois mais surtout, elles continuent d’être perçues de manière sceptique, voire violente. À grand renfort d’exemples issus de la culture populaire et médiatique, l’autrice nous montre la permanence idéologique de ce féminicide dans nos représentations mentales collectives. Ce va-et-vient entre études savantes et exemples contemporains rendent la lecture du livre aisée et frappante : nous ne sommes en rien sorties de la misogynie qui frappait d’opprobre les sorcières. Heureusement, des résistances s’organisent et les célibataires, veuves, infertiles voulues et vieilles dames revendiquent leur puissance.

Les sorcières comme femmes indépendantes

Un chapitre interroge très intelligemment le rapport des sorcières à la nature, à travers leur position de guérisseuses, sages femmes et bien sûr… avorteuses. Encore une fois, la science, avec son lot de dogmatisme, est venue ravir aux femmes un savoir qu’elles se transmettaient. Les doctes médecins et autres « soigneurs » pédants et maltraitants ont fait de l’accouchement et des avortements ce que nous savons : des moments douloureux où violences psychologiques et physiques ravissent notre indépendance, nos choix et notre liberté. Par ici le « débat » sur les violences obstétricales et les entraves à l’avortement…

Avec beaucoup d’autodérision, l’autrice rend compte de ses recherches et de ses questionnements sur une question passionnante et actuelle. Les titres des chapitres sont souvent poétiques ou effrontés, bref toujours puissants. Sorcières en devenir, sorcières non révélées, sorcières assumées, sortons du bois !

Doriane (AL Var)

  • Mona Chollet, Sorcières : La puissance invaincue des femmes, Zones, 2018, 240 pages, 18 euros.
 
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