Lire : Félix Boggio Ewanjé-Epée et Stella Magliani-Belkacem « Les féministes blanches et l’empire »




La question de la prise en compte, ou plutôt de la non prise en compte de l’oppression raciste au sein des mouvements de lutte (féminisme, syndicalisme...) n’est pas une fausse question. Mais la synthèse faite par ce livre est à la fois caricaturale et erronée : les féministes blanches utilisent l’empire et le racisme pour faire passer leurs revendications propres tandis que les féministes non blanches luttent contre l’empire et le racisme.

La thèse des auteur-es est simple : la grande majorité des féministes occidentales (le féminisme hégémonique) se sont ralliées au système raciste par opportunisme, pour faire avancer leurs revendications. Ce ralliement s’est fait à l’occasion de la loi sur le voile, ou seul le courant minoritaire intitulé « une école pour tout-e-s » a dénoncé ce détournement du féminisme à des fins racistes. Mais ce n’était pas la première fois. De plus, ce féminisme est depuis toujours aveugle à l’oppression des femmes non blanches et aux spécificités des formes de luttes locales. Comme il est aveugle au racisme en son sein. Leur argumentation s’attache aussi à montrer que les luttes féministes et LGBT occidentales ne sont pas applicables aux pays ex-colonisés ou dominés. Ils s’appuient sur une histoire du féminisme réécrite pour soutenir cette thèse. Pour les auteurs, les militantes du droit de vote des femmes ont utilisé le colonialisme pour avoir un droit à la parole et faire valoir leurs revendications. Elles se sont positionnées comme seules pouvant assurer une mission civilisatrice au sein de la sphère privée indigène.

Pour eux, depuis les années 70, le féminisme utilise l’analogie entre sexes et races pour affirmer l’absence de bases biologiques de ces catégories et démontrer qu’il ne s’agit que de constructions sociales. Cette analogie a été utilisée pour que l’oppression patriarcale soit prise en compte au même titre que l’oppression raciste. Mais cette argumentation n’a laissé aucune place à l’oppression spécifique des femmes non blanches. L’axe principal de lutte était alors la famille, inapplicable aux non blanches dont les familles avaient été détruites par le colonialisme et les luttes anti-coloniales.

Les luttes de féministes non blanches, en particulier de la coordination des femmes noires, n’ont pas été soutenues et ont même été occultées. Les féministes blanches se focalisaient sur la polygamie et les mutilations génitales. Une vision mélangeant exotisme et néocolonialisme qui ne s’intéresse pas aux luttes politiques anti-colonialistes. Tandis que les féministes noires luttaient contre le mauvais sort fait aux femmes des DOM : politique anti-nataliste, migration encouragée et formations à des métiers de domestiques.

En un mot, pour les auteurs du livre, le féminisme occidental ne tient pas compte des spécificités locales, de la diversité des formes de luttes des femmes.

Josette Trat, militante féministe et coordinatrice des Cahiers du féminisme, a fait une réponse détaillée sur les inexactitudes de cette argumentation historique, montrant que les suffragettes n’étaient pas majoritairement colonialistes, bien au contraire et que les féministes occidentales ont été solidaires des luttes des femmes racisées. On peut lire cette réponse sur le site de la revue en ligne Contretemps.
On ne peut qu’être d’accord avec les auteurs pour constater que la défense de l’égalité hommes-femmes est utilisée à des fins racistes. On peut aussi constater que l’institutionnalisation du féminisme majoritaire, que le lobbying pour des lois et des mesures émoussent la radicalité et limitent les luttes.

Mais il n’y a pas collusion entre les féministes et le pouvoir raciste. Les féministes n’utilisent pas le racisme pour faire passer leurs propres revendications.

À la fin de l’ouvrage, il est rapidement fait mention de la lutte abolitionniste en matière de prostitution, qualifiée de putophobie, et rapprochée du racisme. Une sorte de convergence des luttes sans fondement mais tout à fait dans l’air du temps ?

Il y a également un chapitre sur l’homophobie. Où il est justement fait remarquer que l’homophobie est aujourd’hui racialisée comme le sexisme, qui n’existerait quasiment qu’en banlieue si on en croit le discours dominant.

Une théorie étrange et peu argumentée est répétée : les pratiques homo érotiques des pays arabes ne sont pas de l’homosexualité (qui est une identité) et la répression de ces pratiques n’est pas de l’homophobie. Là encore, le seul argument est qu’ailleurs, les sexualités ce n’est pas pareil et que les formes d’érotisation ont des trajectoires complexes.

Christine (AL Orne)

Félix Boggio Ewanjé-Epée et Stella Magliani-Belkacem, Les féministes blanches et l’empire, La Fabrique éditions, 2012, 110 p.,
12 euros.

 
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