Lire : Skirda, « Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917 »




« Un peuple sans mémoire n’a pas d’avenir, a pu dire Georges Orwell avec tant d’autres, et encore moins de présent valable pourrait-on ajouter », annonce l’historien Alexandre Skirda en introduction de son ouvrage consacré aux anarchistes russes pendant la révolution de 1917.

Le mouvement anarchiste russe connaît son apogée en 1917 avec l’existence de 255 formations dans 180 localités différentes. Les anarcho-syndicalistes, dont le nombre est évalué à 5 000 adhérentes et adhérents en Ukraine s’inspirent des méthodes de la CGT française : action directe, sabotage, grève générale, etc.

La révolution de 1917 va voir le nombre d’anarchistes s’accroître encore : la fédération anarchiste de Moscou compte 60 groupes affiliés tandis que la fédération anarchiste-communiste de Petrograd atteindra le nombre de 18 000 membres en octobre. A cette époque le mouvement s’organise en partie autour de la figure de Kropotkine, qui revient d’exil en juin 1917. Ce militant mythique se voit alors proposer le poste de ministre de l’Education par le gouvernement Kerensky. Il refuse. Après Octobre, sa critique du régime bolchevik est sans appel. En 1920, quelques mois avant de mourir, il écrit dans sa Lettre au travailleurs d’Europe occidentale : « Je dois vous avouer franchement que, à mon avis, cette tentative d’édifier une république communiste sur la base d’un communisme d’Etat fortement centralisé, sous la loi de la dictature d’un parti, est en train d’aboutir à un fiasco. Nous apprenons à connaître en Russie, comment le communisme ne doit pas être introduit. »

Pour concurrencer la Garde rouge bolchevik, les anarchistes mettent en place une Garde noire qui compte rapidement 2 000 membres, répartis en une cinquantaine de détachements, avec un état-major commun. Lorsque celle-ci demande des armes au « gouvernement », Lénine et son entourage vont décider qu’il est temps de les réprimer.
En effet, leur influence augmentant au fur à mesure que la « dictature du prolétariat » montre son vrai visage – celui de la dictature d’une avant-garde mettant en place un capitalisme d’Etat. Le pouvoir se décide alors à les liquider.

Prenant prétexte d’une occupation d’immeubles organisée par la Garde noire pour s’opposer aux nationalisations et à la fin de l’autogestion ouvrière, la Tcheka attaque et déloge les « anarcho-bandits » dans la nuit du 12 au 13 avril 1918 : de source officielle, l’attaque fait 30 morts et dans la foulée, 600 anarchistes sont arrêtés. La période qui suit verra la plupart des anarchistes « liquidés » ou réintégrés s’ils acceptent de se taire – c’est le cas de Kropotkine refusant de critiquer ouvertement les bolcheviks par peur d’alimenter la réaction – ou de participer au pouvoir. Ces derniers, que l’auteur appelle les « anarcho-bolcheviks » seront nombreux et contribueront à mettre fin au mouvement anarchiste en Russie.

Anciens chefs de la Makhnovchtchina qui mena la guerre contre les armées rouge et blanche en Ukrainees, les anarchistes Piotr Archinov et Nestor Makhno, une fois en exil en France, tenteront de tirer le bilan de l’échec du mouvement anarchiste russe dans la revue Diélo Trouda.

Pour eux, cet échec fut causé moins par la répression léniniste que par un manque de cohérence dans les idées et une absence de cohésion dans la pratique. Ce bilan prendra par la suite la forme d’un « projet » pour l’anarchisme connu sous le nom de Plate-forme des communistes libertaires qui fera date dans le mouvement anarchiste puisque ses répercussions se ressentent encore aujourd’hui.

Un ouvrage intéressant donc, composé pour moitié de documents d’époque.

Mathieu (AL Paris-Sud)

 Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917, éd. de Paris-Max Chaleil, 2000, 350 pages,
13,50 euros

 
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