Entretien

Manu Georget (CGT-Philips Dreux) : « On peut produire sans patron »




En octobre 2009, la direction du site Philips de Dreux annonce un plan social et la fermeture de l’usine. En janvier 2010, l’autogestion est votée lors d’une AG et la production est relancée. En février, les travailleurs portent plainte contre la direction qui se voit obligée de maintenir la production. Pourtant en avril, le plan social est voté et l’usine ferme. Retour sur ces événements avec Manu Georget, délégué syndical CGT du site.

Alors que vous aviez le dessus lors de la lutte pour le maintien de la production, l’usine a fermé, que s’est-il passé ?

Le 12 février, la direction a décidé arbitrairement de fermer le site sans aucun avis et sans même présenter son argumentaire économique aux élus du comité central de l’entreprise (CCE). L’organisation CGT du site et l’union locale FO ont entamé une procédure judiciaire qui a imposé la réouverture et le maintien de la production. Suite à ça, il y a eu, entre la direction et des syndicats jaunes, un accord qui a débouché sur le projet de fermeture.

Pourtant l’argumentaire économique de la direction ne tenait pas la route ?

Le cabinet d’experts-comptables Syncea, sollicité par le CCE et l’ordonnance de justice démontraient que Philips n’avait pas de problèmes économiques, se dégageait de l’outil industriel en Europe occidentale pour faire du négoce et envoyait tout en Europe de l’Est. L’avis du CCE a été donné par FO, la CFTC, la CGC et la CFDT. Seul la CGT a refusé la consultation considérant qu’on n’avait pas les éléments suffisant concernant l’argumentaire économique.

C’était déjà à cause de FO que le contrôle ouvrier en janvier avait pris fin ?

Ils ont toujours pourri la lutte, sur notre site en tout cas c’est une tradition. Pendant l’autogestion, la direction de Philips a déclaré illégal le contrôle ouvrier et a menacé des salarié-e-s de faute grave. Nous avons voulu mettre en place un droit de retrait pour protéger toutes et tous les salariés avec une inspection du travail par le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Et là, encore une trahison du syndicat FO comme il y en a eu tous au long du processus depuis 2008, qui a donné l’aval à la direction pour le retrait du CHSCT et pour imposer des heures supplémentaires à un salarié pour vider les entrepôts.

Cette idée d’autogestion, comment est-elle venue ?

L’idée, elle germe depuis longtemps au sein du syndicat CGT de la boîte. Lors de la Fête des travailleurs en lutte, le 14 novembre, à Champhol, on a fait un débat : « Quelle alternative politique contre cette casse industrielle ? » et on a commencé à mettre en avant l’idée de l’autogestion. On a fait prendre conscience aux salarié-e-s qu’il y avait une alternative de lutte plus violente que de casser les préfectures comme Continental ou de mettre des bouteilles de gaz comme New Fabris. Plus violente, parce que là on s’attaque directement au profit.

Lors d’une AG le 5 janvier, plein de propositions étaient lancées et l’idée d’autogestion est apparue : seulement 5 personnes étaient contre. Même les cadres et certains du management team étaient d’accord.

Pour toi quel est bilan
de ce contrôle ouvrier ?

Quand on a mis en place l’autogestion sur le site, en une heure tous les circuits d’approvisionnement avaient été ramenés vers Dreux. En une journée nous avions assez de composants pour fabriquer 5 000 appareils permettant de redistribuer en un mois de travail plus de 20 000 euros à chaque salarié du contrôle ouvrier. On a montré que c’est nos compétences qui font la valeur ajouté du travail. Nous, on peut produire sans patron, on est capable de maintenir un outil industriel et un salaire.

En somme, l’idée c’est
de se battre pour le maintien de l’emploi et pas pour
les indemnités ?

En exigeant un vrai argumentaire économique avant de s’intéresser aux indemnités comme l’ont fait FO et la CFDT, on aurait pu maintenir l’emploi. Notre lutte était légitime parce qu’elle était pour le maintien de l’emploi. Si on lutte pour les indemnités, on est perdant et déjà convaincu qu’il n’y a pas d’autres alternatives, qu’on ne peut pas envisager de changer de société et d’instaurer l’autogestion. Pourtant on est plus nombreux qu’eux donc on doit être plus fort qu’eux. Il faut arriver à mettre en commun la base revendicative du maintien de l’emploi. Se battre pour les indemnités, c’est reconnaître qu’on n’est déjà plus des travailleurs.

Propos recueillis
par François (AL Paris Nord-Est)

 
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