Nécrologie : Jean Raguénès, le curé rouge de Lip




Jean Raguénès est décédé le 31 janvier 2013. Il avait été dans les années 1970 l’un des animateurs de la lutte exemplaire des ouvrières et ouvriers de Lip, reprenant le contrôle de la production de leur usine menacée de fermeture.

Avec la mort de Jean Raguénès à 80 ans, le 31 janvier dernier, c’est l’une des figures truculentes de l’aventure de Lip qui a disparu. De Lip, ce grand conflit ouvrier qui marqua les années 1973-1974, on connaît surtout Charles Piaget, le militant CFDT intègre. Raguénès était un personnage des plus insolite : frère dominicain, il s’était mêlé aux événements de Mai 68 à la Sorbonne, avant de devenir prêtre ouvrier.

En 1971, en toute discrétion, il s’était donc établi à l’usine horlogère Lip, près de Besançon. Pour mémoire, la démarche des prêtres ouvriers, très mal vus de leur hiérarchie, était moins de « christianiser la classe ouvrière » que de « prolétariser l’Église ». Cette démarche allait être celle de Raguénès dans les années suivantes, et pour le reste de sa vie.

Quand éclata le conflit de 1973 contre la fermeture de Lip, il devint l’un des principaux animateurs du comité d’action qui allait impulser cette forme de lutte aussi originale qu’emblématique : la séquestration du « trésor de guerre » – le stock de montres de l’usine – et la reprise de la production en autogestion. Leur slogan « On fabrique, on vend, on se paie ! » s’était répandu comme une traînée de poudre et avait suscité un énorme soutien populaire. Acheter une montre Lip était devenu un acte militant, et la distribution clandestine battait son plein.

Cette forme de contestation a durablement marqué l’imaginaire. Ne s’y trompant pas, le pouvoir giscardien a tout fait à l’époque pour couler Lip et enterrer cette lutte porteuse d’utopie. Le modèle n’a hélas plus guère été repris en France depuis cette époque.

Une lutte créative

Certes, il ne faut pas mythifier Lip. Dans la mesure où ce combat n’était pas mené dans un contexte révolutionnaire susceptible de déboucher sur le socialisme, la perspective de la lutte des Lip était soit de trouver un repreneur, soit de passer en coopérative.

D’autre part, il serait absurde de faire croire que chaque entreprise menacée de fermeture ou de délocalisation pourrait faire l’objet d’une réquisition/autogestion. Mais dans certains cas, de certaines productions faciles à écouler, avec un large soutien de la population, ce peut être pour les travailleuses et les travailleurs un moyen de lutte exceptionnel. Si nous voulons que dans les mobilisations à venir les travailleuses et les travailleurs aillent plus loin et s’en prennent directement au droit de propriété des classes possédantes, il ne faut pas avoir peur de faire preuve d’imagination et d’audace.

Dans le très beau film que Christian Rouaud a consacré à Lip en 2007, Les Lip, l’imagination au pouvoir, Jean Raguénès déclarait : « Je ne connais pas d’autre exemple, au niveau des luttes ouvrières, ou même des luttes tout court, où on ait fait preuve d’autant d’imagination. On a toujours su trouver le truc, non seulement qui fait rire, mais qui permet aussi de “défataliser” l’événement, s’il est un peu trop lourd. »

En 1994, ce curé rouge s’était installé en Amazonie, au Brésil, où il soutenait le combat des paysans sans terre.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

 
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