Pleins feux

Objectif plein emploi : Mise en concurrence généralisée des salarié∙es




L’Objectif plein emploi du gouvernement veut mettre en concurrence les salariées et saturer les secteurs qui connaissent des pénuries de main-d’œuvre. Le véritable objectif du gouvernement est de créer une pression sur le marché du travail qui empêche toute négociation sur les conditions de travail et les rémunérations.

En septembre, le ministre du Travail Olivier Dussopt annonçait la mise en place d’un programme intitulé Objectif plein emploi composé de huit grands chantiers : la création de France Travail, la réforme du RSA, le contrat engagement jeune, la réforme de l’assurance chômage, l’apprentissage, la formation professionnelle, la réforme des retraites et la qualité du travail et de l’emploi. La plupart de ces chantiers sont intimement liés  : l’objectif du gouvernement est de saturer le marché du travail, en commençant par les métiers dits en tension, c’est-à-dire les secteurs qui subissent des pénuries de main-d’œuvre du fait de conditions de travail déplorables. L’objectif est bien évidemment d’éviter toutes négociations en faveur des salariées. Le projet de réforme des retraites ne sera présenté que le 10 janvier, mais on a bien compris que l’objectif du gouvernement est d’allonger la durée du travail.

Concernant l’apprentissage et la formation, l’objectif du gouvernement en réformant les lycées professionnels est de maintenir une pression sur les salaires par une entrée sur le marché du travail la plus rapide possible, quitte à ne plus former correctement les jeunes. Les ministères de l’Éducation nationale et du Travail veulent calibrer les filières des lycées vers les secteurs en tension, c’est-à-dire orienter dès 15 ans les jeunes des milieux populaires vers les métiers les plus pénibles et les moins valorisés. Cette réforme, c’est aussi promouvoir l’apprentissage aux dépens d’une formation complète, former sur poste dès 16 ans, augmenter les durées des stages en entreprise durant lesquelles les jeunes travaillent gratuitement : tout est bon pour subordonner la formation des jeunes aux seuls besoins des entreprises locales et les mettre en concurrence avec les autres salariées.

Faire bosser les jeunes gratos

Les réformes de l’assurance chômage poursuivent les mêmes buts  : mettre les salariées en concurrence pour faire baisser le coût du travail. Si les chiffres du chômage subissent de légères évolutions en fonction des catégories que l’on prend en compte, le nombre de chômeurs et chômeuses et précaires inscrites à Pôle emploi depuis 2009 toutes catégories confondues reste toujours supérieur à 6 millions, c’est-à-dire 20 % de la population active. On est loin des 7 % annoncés par le gouvernement qui ne prend évidemment en compte qu’une partie des inscrits (la catégorie A). Mais sur ces 20 %, le nombre de chômeurs et chômeuses indemnisées s’effondre  ! En 2009, on les évaluait à 51 %. Ils sont 36,4 % en avril 2022. C’est la conséquence de la réforme de l’assurance chômage entrée en application en 2021 dont les mesures principales sont l’allongement de quatre à six mois de la période de travail nécessaire pour ouvrir des droits, la baisse des allocations mensuelles avec la prise en compte de l’intensité du travail, et le plafonnement des allocations en cas de cumul avec un emploi.

Pour justifier ces mesures, les deux arguments utilisés par le gouvernement sont toujours les mêmes  : réduire la dette de ­l’Unédic et favoriser le retour à l’emploi. La réforme a en effet permis d’économiser plus d’un milliard sur le dos des chômeurs et chômeuses en 2021. Mais on saurait effacer la dette bien plus aisément en augmentant les cotisations patronales, dont la part n’a cessé de baisser depuis les années 1970… Chaque point supplémentaire rapporterait plus de 5 milliards dans les caisses. Concernant l’argument selon lequel modifier les règles d’indemnisation favoriserait le retour à l’emploi, il continue de faire peser l’unique responsabilité du chômage sur le dos des chômeurs et chômeuses. En s’attaquant aux règles du cumul, le gouvernement prétend en finir avec les temps partiels et les contrats courts. Mais empêcher d’associer emplois précaires et allocations chômage ne poussera pas pour autant les employeurs à modifier leurs pratiques consistant précisément à ne proposer que des emplois précaires  ! Le gouvernement espère-t-il vraiment lutter contre la précarité en intimant aux précaires de ne plus l’être ? Alors même qu’il démantèle le droit du travail et institutionnalise la précarisation des emplois…

N’importe quel job, n’importe quelles conditions

Et voilà que le gouvernement annonce déjà une prochaine réforme pour 2023 qui prévoit notamment de faire évoluer les durées de l’indemnisation du chômage en fonction de l’état du marché du travail. Mais la logique est évidemment pernicieuse. La démarche est bien de continuer à mettre la pression sur les chômeurs et chômeuses pour leur imposer n’importe quel travail à n’importe quelles conditions, au plus grand bénéfice des employeurs.

Dernière pierre à l’édifice  : France Travail, qui devrait plus ressembler à un label commun des institutions existantes qu’à une refonte dans un établissement unique. Mais là aussi, le propos est limpide  : la mission ne sera plus d’accompagner les demandeurs et demandeuses d’emploi dans leur projet professionnel, mais d’organiser un système de contrainte et de sanction avec l’augmentation des services de contrôle et l’orientation des usagers et usagères vers des prestataires privés. Pour ­l’anecdote, la contractualisation à Pôle emploi passe par ce que l’on appelle les « Droits et devoirs » ; un des chantiers de la préfiguration future de France Travail était intitulé en septembre 2022 « Obligations et devoirs » ; en novembre 2022, ce chantier a été renommé « Obligations et sanctions »… Tout un programme.

France Travail, c’est aussi le projet libéral d’un organisme social arraché à la gestion collective pour être subordonné à l’État et mis au service du patronat. En 2019, le gouvernement avait mis un terme aux concertations entre syndicats et patronat pour réformer l’assurance chômage par décret. Puis l’État a remplacé les cotisations sociales salariales par l’impôt (la CSG).

Contre le chômage, réduire le temps de travail

En septembre, le gouvernement invitait patronat et syndicats à engager les négociations en vue d’une future convention… avant de décréter dans la loi sur les mesures d’urgence adoptées en novembre que seul l’État pourrait modifier les règles en 2023…
Si le gouvernement souhaitait vraiment lutter contre le chômage, il commencerait par réduire le temps de travail. Une nouvelle réduction à 32 heures saurait générer entre deux et quatre millions d’emplois  ! Et pour refonder un véritable service public de l’emploi, plutôt que d’étatiser l’assurance chômage, il faudrait au contraire l’intégrer à la sécurité sociale, ce qui était le projet originel du Conseil national de la résistance.
Mais force est de constater que depuis les années 2000, les conventions et réformes successives de l’assurance chômage et de Pôle emploi peinent à mobiliser. Le problème est pourtant essentiel, et avec la précarisation endémique de la société, il est urgent que le mouvement social se saisisse du problème avant que l’État ait enfin pu tout saccager.

Franz Müller (UCL Paris nord-est)

 
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