politique

Paris, 29 novembre : un autre récit des événements




C’est l’envers du décor de la Cop21. Les images de la répression de la place de la République, le 29 novembre à Paris, ont fait le tour du monde. Après l’indignation initiale contre les « casseurs », le vent a tourné, les preuves sont tombées, et une partie de l’opinion a bien compris de quel côté était la violence. Il était temps qu’Alternative libertaire publie un récit collectif des événements. Le voici.

La matinée avait débuté, place de la République, par des distributions de tracts, des chants et des discussions pour dénoncer la mascarade de la Cop 21. Plusieurs milliers de personnes convergeaient vers cette place dans une ambiance festive, bigarrée mais déterminée : écologistes, politiques, associatifs, syndicalistes.... Malgré l’interdiction, nous étions des centaines, bientôt des milliers à reprendre la parole dans la rue.

Ici des clowns, là des associations écolos, une foule de curieux et, au milieu de tout cela, un meeting de rue improvisé sous les drapeaux rouge et noir, qui a commencé à agréger quelques centaines de personnes.

Intrigués, des journalistes venus du monde entier, sont venus recueillir notre parole : un reporter de Là-bas si j’y suis, une télévision indienne, une radio espagnole, une web-TV marseillaise... Le Washington Post a probablement découvert les mots « socialisation » et « autogestion ».

Vers 13h30, alors que l’afflux se poursuivait sur la place de la République, on a senti que l’ambiance se réchauffait. De bouche en bouche, un slogan commençait à être repris en chœur : « Si on ne marche pas, ça ne marchera pas ». Il fallait défiler, à l’instar de ce qu’il s’est passé dans de nombreuses villes du monde.

Entre-temps la police avait commencé à boucler tous les accès à la place.

Une manifestation d’un millier de personnes environ a donc entamé un tour de la place de la République, puis un deuxième tour, tandis que les CRS se mettaient en tenue de combat.

Reportage photo : Benjamin/AL Paris nord-est, E. B.-C.

Tentative d’échappée

Avenue de la République, un passage semblait ouvert pour laisser passer le cortège. Celui-ci s’est engagé dans l’avenue de manière massive, résolue mais non agressive. Les slogans fusaient : contre l’état d’urgence, contre le saccage des libertés publiques. Mais au bout de 50 mètres : blocage. Des hordes de CRS, des camions blindés qui se garent en travers de la route. Les coups de matraque et de bombes lacrymogènes refoulent les plus téméraires.

Moment intense où, sur l’avenue, le cri « Liberté ! » jaillit à l’unisson de centaines de poitrines. Plus que jamais l’interdiction de manifester apparaît pour ce qu’elle est : une esbroufe ; une iniquité ; un scandale.

Ne pouvant avancer, on revient progressivement sur ses pas. Retour à la case départ : place de la République, dont les issues sont verrouillées par la police, dont les bouches de métro sont bientôt condamnées. Plus d’issue.

La foule reprend sa marche autour de la place. Au deux tiers du parcours, des heurts éclatent, la police distribue les grenades lacrymogènes, assourdissantes, les coups de tonfa. Les militantes et les militants des différentes organisations politiques tentent de maintenir un cortège uni et de limiter les mouvements de panique.

Mais le fait est là : la foule est prise au piège. L’immense majorité ignore la signification des fusées rouges qui montent dans le ciel — l’ordre de dispersion intimé par les forces de l’ordre. Une dispersion de toute façon impossible, toutes les issues étant bouclées.

Le mémorial saccagé à coups de bottes

Un homme est blessé par des éclats de grenades, un autre manque de s’évanouir du fait des gaz. Bien vite, la présence de policiers déguisés en manifestants est signalée. Dans ce moment d’extrême confusion, alors que la place est noyée par les gaz, des gens ont répliqué en jetant vers la police ce qui leur passait par la main, y compris des bougies du mémorial.

En réalité, le saccage est surtout dû à la police, et les images de robocops piétinant fleurs et bougies pour disperser un sit-in pacifique ont rapidement fait le tour du net.

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Taranis News

Vers 14h30, la police parvient à isoler et encercler un groupe de 300 personnes dans lequel sont présents des militantes et des militants d’AL, du NPA, de la FA, de la CGA ou de Solidaires.

Plus loin une seconde nasse emprisonne un groupe plus nombreux encore.
Ce sont au total entre 800 et 1000 personnes qui vont être retenues sur la place pendant plusieurs heures. Certains venaient tout juste d’arriver. Il faut noter qu’au même moment, un rassemblement spontané à Barbès est violemment dispersé et que de nombreuses personnes y sont là aussi arrêtées.

Le but de la manœuvre ? Enregistrer les identités des personnes présentes et intimider les militant.e.s politiques et syndicaux.

La semaine précédente, la police avait déjà annoncé avoir transmis au procureur l’identité de 58 personnes suspectées d’avoir manifesté en soutien aux migrant.e.s malgré l’interdiction. Cela avait abouti à des convocations et des gardes à vue.

Pris dans la nasse

Place de la République, le refus de se plier à cette injonction liberticide est collectif.

Spontanément, des lignes se forment. On se serre les coudes, sur deux ou trois rangs, face aux pandores, sans cesser de scander : « État d’urgence, état policier, on nous enlèvera pas le droit de manifester ! » Dans le dos des policiers, une foule s’assemble et nous applaudit.

Voilà les paniers à salade qui arrivent, dont un autocar.

La pression policière augmente, l’étreinte se resserre, les manifestantes et les manifestants sont comprimés par un mur de boucliers. Le dispositif le plus commun : un robocop arc-bouté derrière son bouclier ; derrière lui un second avec un tonfa ; derrière encore, un troisième avec une gazeuse.

Sporadiquement, une ou un manifestant est saisi et arraché des bras de ses camarades, et traîné par la police vers l’arrière, souvent avec violence. Direction le panier à salade. Au total, plus de 300 personnes seront interpellées. La majeure partie seront placées en garde à vue. Les autres seront relâchées, sans doute parce que la capacité de détention dans les commissariats arrivait à saturation.

Dans les cellules : université révolutionnaire

Le gros des personnes interpellées est dirigé vers le commissariat de Paris 18e, qui dispose de vastes cellules de 20 places. Les hommes sont séparés des femmes, tout le monde est fouillé au corps, et les cellules sont prestement remplies. Pour faire face à cet afflux inhabituel, il a fallu réquisitionner des policiers qui, à leur domicile, pensaient jouir du repos dominical... raté.

Un clair-obscur sinistre, des bancs en béton... la garde à vue, ce n’est jamais très drôle. Mais quand on se retrouve aussi nombreux, entre « politiques », la solidarité rend tout cela plus que surmontable. Dès le panier à salade, ça chantait à tue-tête, tout le répertoire révolutionnaire, ça envoyait des vannes à la chaîne, ça inventait des slogans pour tourner la situation en dérision.

Au commissariat, l’atmosphère est plus contrastée. Dans une cellule, l’ambiance est plutôt studieuse –- on s’informe sur nos droits, on analyse la situation, on organise les tours de paroles pour que chacun puisse s’exprimer –- dans une autre, la chorale continue, plus rigolarde et déchaînée que jamais.

Dans la soirée, les gens sont sortis par petits groupes et répartis dans différents commissariats de la région parisienne, dans des cellules plus exiguës. On fait l’expérience de l’arbitraire et de la bureaucratie. Selon les comicos, les personnels sont corrects et s’en tiennent à leur rôle de fonctionnaire de police ; d’autres au contraire flirtent avec le sadisme et des cas d’humiliations punitives nous ont été signalés.

Après une nuit sans sommeil sur le béton froid, avec parfois une couverture pas plus épaisse qu’un drap, la grande majorité des gardés à vue seront libérés le 30 novembre, vers 15h30. Toutes et tous restent sous la menace de poursuites judiciaires.

Face à la Cop21, malgré l’état d’urgence from Alternative libertaire on Vimeo.

Les pompiers pyromanes cherchent à se défausser

Leur tort ? Celui d’avoir exprimé leurs opinions dans la rue. Celui d’avoir dénoncé l’instrumentalisation de l’état d’urgence par le gouvernement. Celui d’avoir refusé l’interdiction de manifester, dénoncée à juste titre par de très nombreuses organisations associatives, syndicales et politiques.

Faut-il rappeler les nombreuses assignations à résidence ou les perquisitions pour montrer l’utilisation qui est faite de cet état d’urgence ? Faut-il rappeler que d’un côté le gouvernement empêche l’expression de rue mais que de l’autre il laisse se dérouler les matches de football, les marchés de noël et autres rassemblements mercantiles ? Les mesures de sécurité ne concerneraient-elles que les contestataires ?

Pour justifier cette répression, une intense campagne de mensonges se déverse dans les médias de la part de politiciens de tous bords.

C’est avec des trémolos dans la voix que François Hollande a condamné les « incidents » de la place de la République. Ses ministres, suivis par un ensemble de politiciens allant du Front national à Europe-Ecologie-Les Verts, ont surenchéri pour dénoncer les « débordements » et réclamer des sanctions. Rien d’étonnant puisque seulement 6 parlementaires sur 925 avaient voté contre ce qui préparait cette curée : la prolongation de trois mois de l’état d’urgence.

Ce sont donc ceux qui fricotent avec l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie, ceux qui éteignent les libertés publiques, ceux qui entraînent la population dans la guerre, qui se permettent de donner des leçons ?

Nous ne nous laisserons pas sermonner par ces pompiers pyromanes et ces menteurs. La responsabilité de ce qu’il s’est passé ce dimanche à Paris incombe aux autorités publiques et à la police.

Alternative libertaire, le 1er décembre 2015

 
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