Quand la Guerre froide déterminait (presque) tout

En 1953, cela fait cinq ans qu’un rideau de fer sépare, d’un côté, la CGT prosoviétique et, de l’autre, les syndicats dits « libres » (en fait pro-américains) : CGT-FO, CFTC et la petite FNSA.
La CGT, contrôlée par le PCF, est ¬parfois surnommée « CGT-K » (pour Kominform [1]). Après avoir été antigrèves en 1945-1947, quand le PCF siégeait au gouvernement, la CGT est passée à l’affrontement systématique, lançant des « grèves Molotov » parfois jusqu’au-boutistes, boycotts et manifestations violentes con¬tre les guerres d’Indochine et de Corée, subissant la répression étatique. Hégémonique avec ses 2,2 millions de membres, elle ne cesse d’appeler à « l’unité d’action » pour satelliser FO et la CFTC.
La CFTC, avec 340 000 membres, adjure ses syndicats de refuser tout contact avec la CGT. Fondée sur la doctrine sociale de l’Église catholique, elle cherche la conciliation avec le patronat, et est liée aux démocrates-chrétiens du MRP, qui en 1953 siège au gouvernement. La CFTC doit cependant composer avec une tendance laïque minoritaire qui prône la lutte de classe : c’est la tendance Reconstruction, qui finira par l’emporter en 1964, et transformera la CFTC en CFDT.
La CGT-FO, pro-américaine, est parfois surnommée « CGT-Wall Street ». Fondée en 1948, elle revendique 270 000 membres et a aggloméré trois pôles cimentés par leur rejet du stalinisme : les syndicats réformistes groupés autour du journal Force ouvrière, qui ont quitté la CGT fin 1947 ; plusieurs syndicats autonomes (PTT, cheminots), mi-corporatistes, mi-combatifs, qui avaient rompu avec la CGT, alors antigrèves, en 1946 ; des anarcho-syndicalistes issus de l’effondrement de la CNT en 1949-1950 [2].
La FNSA, Fédération nationale des syndicats autonomes, est une petite organisation fondée en 1949 par des syndicats apolitiques (surtout PTT, SNCF et métaux), qui n’ont pas voulu choisir en¬tre la CGT et la CGT-FO.
La FEN, Fédération de l’Éducation nationale, est, elle aussi, autonome. Du fait des vacances scolaires, elle ne joue aucun rôle en août 1953.
Les minorités révolutionnaires :
Parmi elles on peut citer notamment la Fédération anarchiste, avec son hebdomadaire Le Libertaire, qui vient de clarifier son orientation communiste libertaire [3] et se rebaptisera FCL en décembre 1953. Selon les secteurs professionnels, ses militant·es sont acfifs dans la CGT, FO, la FEN, parfois la CNT. Pas très éloigné, il y a le ¬groupe Socialisme ou Barbarie, ¬éditeur de la revue éponyme, plutôt conseilliste. La revue La Révolution prolétarienne , dépositaire de la tradition syndicaliste révolutionnaire, est très liée à la gauche de la CGT-FO. La CNT est marginalisée, et son mensuel Le Combat syndicaliste commente de l’extérieur les grèves d’août 1953.
La mouvance trotskiste, elle, est divisée en deux : le PCI de Frank, qui édite La Vérité des travailleurs, et le PCI de Lambert, qui édite La Vérité. Leur objectif est que les grèves débouchent sur un gouvernement de gauche : « PS-PCF » pour le premier, « PS-PCF-FO-CGT » pour le second...