Quartiers populaires 2/2 : La jeunesse, porteuse d’espoirs... et du reste




Construire l’autonomie populaire dans les quartiers ? Jean-Marc, qui travaille dans le quartier populaire de la Reynerie, à Toulouse, militant associatif, syndicaliste et communiste libertaire, voit du potentiel dans une fraction de la jeunesse des quartiers.

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Dans les quartiers populaires, il n’y a pas « les jeunes », mais « des jeunes ». La jeunesse scolarisée reste plutôt discrète. Volontaire, elle croit dans ses chances et suit un cursus scolaire plus ou moins réussi sans faire de vagues. Elle ne s’identifie à la frange la plus exclue qu’au travers du sentiment d’injustice et la côtoie ponctuellement. La frange la plus exclue crée ses propres normes souvent incompréhensibles de l’extérieur, rejetant la société par une violence souvent gratuite et entrant dans une économie de survie, faite de petits trafics.

Pourtant, le fait que l’ensemble des « jeunes » soit invectivé par les « bien-pensants » en fait un groupe social distinct, qui n’est que rarement pris en compte en tant qu’« habitant », alors qu’il représente 30 et 40 % voire plus, de la population dans ces quartiers. Le « jeune » est stigmatisé, accusé de tous les maux : c’est le « bon à rien » qui tient les murs, l’« Arabe », le « délinquant », etc.

Prolétariat semi-intellectuel

Les jeunes scolarisés sont les futurs « travailleuses et travailleurs semi-intellectuels ». Ce concept, formé au sein du mouvement ouvrier juif londonien par les anarchistes au XIXe siècle, désignait cette catégorie de filles et fils du peuple, éduqués, qui mettaient leurs compétences au service du mouvement ouvrier. L’une des grandes différences avec les « travailleuses et travailleurs semi-intellectuels » contemporains, issus de l’immigration postcoloniale, est qu’aujourd’hui la plupart quittent le quartier dès que possible, avec ou sans travail. Leur implication manque cruellement pour donner sens aux révoltes qui surgissent. La structuration de la dynamique revendicative laisse alors place à des révoltes urbaines sans avenir, qui s’éteignent aussi vite qu’elles sont apparues, provoquant parfois des exactions contre-productives et laissant démunies toutes les parties concernées après les affrontements. Peu de ces « travailleurs semi-intellectuels » ont choisi de rester dans les quartiers, comme le fait l’association Bouge qui bouge à Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne).

Sous-prolétariat

Composante minoritaire de cette jeunesse, celle « qui tient les murs » attire toutes les attentions médiatiques, institutionnelles ou les calculs politiciens. C’est une « classe dangereuse » dont la marginalité sociale est présentée comme quasi génétique.

Qu’en est-il réellement ?

Ces exclu-e-s du système scolaire n’ont d’avenir que dans des petits boulots déqualifiés, mal payés et se raréfiant avec la réduction des industries. Conscients de cette « a-normalité sociale », l’argent devient le seul symbole de l’intégration et peu importe comment il est acquis. L’économie informelle reproduit le pire du capitalisme sauvage. Les exploité-e-s en bas de chaîne (petits voleurs, petits trafiquants, consommateurs de drogues, prostitué-e-s...) n’ont aucune possibilité de se défendre collectivement. Toute expression oppositionnelle y est physiquement éliminée. Il y a la maîtrise intermédiaire (proxénètes, dealers…) et les gros bonnets qui blanchissent l’argent.

Par dépit de ne pouvoir accéder à la « normalité », au droit de couler des jours paisibles et embourgeoisés, ces jeunes en bas de l’échelle s’en prennent à tout ce qui n’est pas de leur clan.

Évidemment tout cela ne va pas vraiment dans le sens d’une transformation de la société. Ces jeunes peuvent ressentir un sentiment de classe en se considérant comme la couche la plus marginalisée de notre société, cependant ils et elles n’ont pas de conscience de classe dans le sens où ils et elles ne s’identifient pas à un ensemble prolétarien. Ils n’envisagent donc pas une démarche commune avec d’autres secteurs en difficulté. Cette situation s’est révélée à l’extrême, lors des mouvements contre la loi Fillon, où les plus exclus ont agressé les manifestations lycéennes.

Théorie du lumpenproletariat

Les jeunes marginalisé-e-s ne laissent personne indifférent. Certaines habitantes et habitants les rejettent, d’autres les comprennent et se solidarisent avec leurs révoltes. On entend des discours extrêmes qui varient en fonction de la douleur ressentie. Certaines personnes peuvent, à la fois, demander plus de répression parce qu’elles subissent les rodéos nocturnes et, dans la minute qui suit, fustiger la police car l’un de leurs proches est victime d’exactions des forces de « l’ordre ».

Les pouvoirs publics, incapables de juguler les effets de ghettoïsation, dispensent avec parcimonie quelques deniers aux associations et services sociaux afin de réguler à minima des débordements dont les bâtiments publics sont souvent victimes.

La place des militantes et des militants est très inconfortable car ces jeunes ne discernent généralement pas qui veut les aider de qui veut les enfoncer. Ainsi les travailleuses et les travailleurs sociaux, enseignants, associatifs peuvent être perçus comme de sales « fromages », grassement payés sur leur dos par l’État, mais aussi bien comme de gentils démocrates qui par moment servent leurs intérêts. Quelques-uns, devenus eux-mêmes travailleurs sociaux ou associatifs, sont régulièrement vus comme des « collabos » s’ils sont issus de l’immigration. Même les associations antiracistes ou antifascistes ont à peine plus de considération.

Les militantes et les militants de la « gauche sociale » [1] sont donc très partagé-e-s sur la question des jeunes exclus. Certains y voient des « sauvageons » [2] qu’il faut distinguer des couches populaires. D’autres les considèrent comme la composante la plus visible des « classes dangereuses » qu’il ne faut pas abandonner.

Sur cette question, il serait utile de réactualiser comme grille de lecture la thématique du lumpenproletariat (« sous-prolétariat » en français) afin de s’interroger sur une potentielle conscience de classe. Certes, Marx méprisait le sous-prolétariat qu’il ne jugeait capable que d’être acheté par la bourgeoisie pour trahir le prolétariat. Mais Bakounine n’était pas plus clairvoyant quand, à l’instar de certains radicaux contemporains qui continuent d’en entretenir le mythe, il y voyait la fraction la plus révoltée et donc la plus révolutionnaire du prolétariat. Ce qu’il faut retenir de cette théorie aujourd’hui, c’est que le sous-prolétariat, n’ayant rien à perdre, ira là où il pense pouvoir gagner le plus : du côté du plus fort du moment, que ce soit des forces progressistes ou réactionnaires.

Quel lien ?

Quelle va être la place des travailleuses et des travailleurs semi-intellectuels dans le cas d’un éventuel retour dans leurs quartiers, suite aux discriminations à l’emploi ? Vont-ils redonner sens à la démarche revendicative ? Un lien peut-il s’établir de manière positive avec le militantisme traditionnel de la « gauche sociale » ? Toutes et tous ces militants, ont des capacités d’analyse et de réflexion liées à leur vécu.

Alors, lorsque l’État qui est la représentation suprême du père, abandonne ses enfants, que le mouvement associatif institutionnel est sclérosé, ne faudrait-il pas revenir aux vers du poète Shmerge Kgerzinski qui, il y a plus de cent ans, nous montrait la voie : lorsque les jeunes des quartiers populaires lancent des pierres, ne faudrait-il pas les aider à construire les barricades ?

Jean-Marc (AL Toulouse)

[1Lire le premier volet de cet article dans Alternative libertaire du mois dernier.

[2Le terme de « sauvageon » avait fait grand bruit quand le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, l’avait employé en 1998.

 
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