Question énergétique : L’écologie sociale contre le capitalisme mortifère




Comment, sous les feux de la crise climatique qui monte, intégrer la question énergétique, à la fois dans nos pratiques militantes quotidiennes et dans un projet de société actualisé ?

La révolution industrielle, qui s’est développée à partir du XIXe siècle et a profondément transformé la planète a été rendue possible par l’exploitation forcenée des énergies fossiles. D’abord le charbon, puis et de plus en plus par le pétrole. Aujourd’hui, la perspective de l’épuisement des ressources et l’enclenchement du dérèglement climatique vont rendre inéluctable une mutation des sociétés humaines … Elles ne pourront subsister qu’en devenant sobres en énergie.

Les révolutionnaires ne peuvent pas se contenter de renvoyer cette question au lendemain de la révolution. Nous sommes confrontés dès aujourd’hui à deux défis, en réalité profondément imbriqués l’un dans l’autre : d’une part contribuer au développement d’éléments d’une transition vers une société écologique et d’autre part définir les grandes mutations sociales qui permettront à une société sobre en énergie de répondre aux besoins de ses membres : l’actualisation de notre projet de société est un élément clé de notre combat pour anticiper les changements vers une société écologique.

Est-ce à dire qu’au sein de la société capitaliste il est possible de construire à grande échelle cette mutation  ? Nous ne le pensons pas. Mais cela ne signifie pas non plus qu’il n’y a rien à faire aujourd’hui, ou que le développement de telles alternatives puisse s’opérer sans un lien fort avec les luttes sociales et écologiques …

L’héritage capitaliste

Avant toute chose nous devons connaître l’état des lieux aujourd’hui. Penchons-nous, pour simplifier la question, sur la situation en France. Les émissions de CO2 y atteignaient 5,04 tonnes par habitant en 2011 (64e rang mondial), quand la moyenne mondiale se situait à 4,50 tonnes  [1]
. Évidemment ce classement ne suffit pas pour évaluer l’importance des changements nécessaires dans l’utilisation énergétique. Rappelons que l’empreinte écologique  [2] française, qui est pour moitié due aux émissions de CO2  [3] , est estimé aujourd’hui en moyenne à 5 hectares par personne, alors que la planète ne dispose que de 1,8 hectare par habitant  [4].

En 2012, l’énergie consommée (mesurée au niveau de l’utilisateur final) en France se répartit entre les ménages (29,8 % de la consommation finale totale), le secteur tertiaire (14,7 %), le secteur des transports (31,9 %), l’industrie (20,8 %) et le secteur agricole (2,9 %). Tous secteurs confondus, les produits pétroliers sont la première forme d’énergie consommée représentant 41,8 %. Viennent ensuite l’électricité (24,4 %), le gaz (20,8 %), les énergies renouvelables thermiques – bois, agrocarburants, biogaz et déchets – (9,7 %) et le charbon (3,4 %) [5] . L’électricité provient pour 75,8 % du nucléaire, pour 14,6 % de sources d’énergie renouvelables (surtout production hydroélectrique : 11,2 %) et pour 9,6 % de centrales thermiques fossiles. Ainsi les énergies fossiles représentent 68 % de la consommation énergétique, le nucléaire 19 % et les énergies renouvelables seulement 13 %.

Ce bref bilan permet de se faire une idée de l’ampleur des mutations nécessaires pour que l’économie française cesse de détruire la planète. La loi «  Grenelle 1 » fixe comme objectif de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Ce qui correspond à l’objectif fixé lors du protocole de Kyoto de contenir le réchauffement climatique à un niveau d’élévation de 2 degrés au delà desquels
le dérèglement climatique «  entraînera une multiplication des événements climatiques extrêmes, une montée du niveau des océans, une avancée des déserts, etc., avec la cohorte de drames humains et l’explosion des coûts que ces phénomènes vont engendrer  »  [6].

Qu’en est-il aujourd’hui  ? En 2010, au niveau mondial, ont été relâchées 50,1 gigatonnes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère, soit 20 % de plus qu’en 2000. Certes la France peut se targuer d’un bilan plus positif. «  En 2012, les émissions de la France au périmètre du protocole de Kyoto s’élevaient à 490 Mt éq. CO2, soit une diminution de 12 % par rapport au niveau de référence (...). Cette évolution à la baisse s’explique par l’ensemble des mesures d’atténuation, notamment l’amélioration des procédés industriels, l’isolation renforcée des bâtiments, le recours aux énergies renouvelables, etc.  » [7] Sans doute faudrait-il ajouter pour expliquer ce bilan, l’impact du ralentissement économique dû à la crise et surtout le processus de désindustrialisation qui déporte les pollutions vers les pays du Sud.

Objectifs ambitieux

Quand un pays se targue d’être vertueux en affichant une baisse de 12 % en 22 ans, alors qu’il est nécessaire de parvenir à une baisse de 75 % d’ici 2050, et que cette baisse est en réalité principalement un déplacement de la pollution dans d’autres pays, il apparaît que c’est l’ensemble du système économique et social actuel qui est incapable de résoudre la crise climatique. Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de solution capitaliste à la crise écologique, ne serait-ce que parce que sans «  croissance du PIB  », le système capitaliste ne peut survivre. Aussi, les améliorations dans les économies d’énergie ou dans les énergies renouvelables compensent à peine la croissance des dépenses d’énergie dues à l’augmentation du PIB...

L’énergie dans une société écologique

La société écologique que nous appelons de nos vœux ne sera pas une société qui abandonnera la technologie, ni au sein de laquelle les hommes et les femmes devront vivre sous un régime de restriction. Prenons l’exemple de l’habitat qui accapare aujourd’hui le tiers de l’énergie consommée en France. Aujourd’hui, nous savons construire des habitations à «  énergie positive  », c’est à dire qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment. Évidemment cela implique un niveau technologique important.

De plus, la société écologique, en rupture avec le capitalisme sera nécessairement une société égalitaire. La société génèrera un mode de vie beaucoup plus collectif, où de nombreux biens et services – machines à laver, ordinateurs, moyens vidéo, automobiles … – seront mis en commun au sein d’îlots de plusieurs habitations. Cela permettra de diminuer de façon drastique les productions nécessaires au bien-être et de produire des biens plus coûteux, mais moins nombreux
et surtout débarrassés de l’obsolescence programmée  [8] chère aux capitalistes. L’exemple de l’agriculture où l’essentiel des consommations énergétiques sont liées à la production des intrants de l’agro-industrie, montre qu’il sera possible, par la mise en œuvre de changements techniques – dans cet exemple l’agriculture biologique – de réduire fortement les dépenses énergétiques liées à la production...
De plus, de nombreux secteurs économiques qui dans la réalité ne correspondent pas à des besoins des hommes et des femmes, mais à générer des profits, seront abandonnés ou pratiquement abandonnés : la publicité, les emballages, la production de tous ces gadgets inutiles qui pullulent au sein des sociétés de consommation. Il n’y aura plus cette course au changement incessant des matériels imposée à coup de campagne publicitaire. Sans parler de toutes les fonctions de répression, d’encadrement et de mise au pas de la population qui ne visent qu’à permettre la survie des sociétés inégalitaires.

La transition énergétique

La question des transports, qui eux aussi consomment le tiers de l’énergie en France se traduira par un bouleversement fondamental. D’abord en ce qui concerne le transport des marchandises qui sera réduit à la portion congrue par la mise en œuvre d’une autonomie productive de chaque région. Ensuite le transport quotidien des personnes, lui aussi sera réorganisé, d’une part par le recentrage de l’économie sur le local et d’autre part par la mise en place systématique de transports collectifs gratuits. La question des moyens affectés aux transports de loisir sera gérée collectivement au sein des structures d’autogestion de la population en respectant l’équilibre entre les souhaits exprimés par les personnes et la protection de l’environnement.

Pour conclure sur ce point, une société écologique privilégiera la fourniture à ses membres de services de santé, d’éducation, de logement bénéficiant de l’eau courant, d’énergie et de moyens de communication, d’accès à la culture... La vie collective y sera plus riche, permettant une plus grande solidarité collective, une meilleure prise en charge des personnes en situation de faiblesse et mettant fin à ces grandes solitudes des cités modernes. Cette société sera sobre en énergie, seule façon, en mettant fin à l’exploitation des énergies fossiles, de diminuer suffisamment les rejets de gaz à effet de serre.
Dès aujourd’hui, au-delà du combat idéologique, il est possible d’obtenir des avancées vers une société sobre en énergie. Les moyens pour cela sont multiformes, à l’image du caractère global de la question énergétique.

Il est possible de populariser les expérimentations de moyens d’économie d’énergie et de mise en œuvre d’énergies renouvelables, éolien, petit hydroélectrique, solaire, biomasse … et d’entraîner dans ces actions une proportion significative de la population. Ces expérimentations peuvent prendre le chemin d’un habitat communautaire permettant de collectiviser de nombreux matériels et de construire dès aujourd’hui des relations humaines sans domination.

Méthodes alternatives

Il est aussi possible de travailler, que ce soit dans l’agriculture ou l’artisanat avec des méthodes alternatives, d’employer des matériaux écologiques, de construire des
installation de méthanisation des déchets végétaux. Favoriser la consommation en «  circuit court  » relève de la même logique. Toutes ces formes d’expérimentations permettent déjà de réduire les émissions de gaz de serre de façon mesurable et surtout de favoriser le développement des technologies sobres en énergie. Mais évidemment, croire en une généralisation progressive de ces logiques, sans remettre en cause l’organisation capitaliste de la société relèverait de l’imposture.

Un des obstacles majeur qui freine la progression de ces logiques est la dépendance massive de la population à l’idéologie capitaliste, ce «  besoin de consommer  » qui enferme dans la soumission à l’ordre capitaliste. Ce n’est pas par une propagande pour la «  simplicité volontaire  » qu’il sera possible de détacher des pans entiers de la population de cette dépendance. La transition énergétique ne pourra se construire qu’en lien avec l’émergence d’une contre-société, capable d’organiser les exclus avec celles et ceux qui rejettent la vie que le capitalisme cherche à nous imposer et de construire une vie plus enviable. Mais une telle contre-société, liant toutes les expérimentations pour une sobriété énergétique et pour un autre mode de vie, risque d’isoler cette frange de la population et de stériliser cette perspective.

Aussi est-il fondamental que cette contre-société se construise en lien avec le reste des classes sociales dominées ; de multiplier les passerelles entre celles et ceux qui se veulent en rupture avec la société de consommation et la grande masse du prolétariat qui s’y inscrit. Cette convergence ne peut s’opérer qu’au sein des luttes sociales et écologiques. Les militantes et les militants révolutionnaires qui agissent tant au sein des luttes sociales que des luttes écologiques ont sur ce sujet une responsabilité importante.
Construire la convergence entre les luttes sociales et écologique relève aujourd’hui d’une
gageure, tant les logiques sont dissociées. Comment faire prendre en compte les aspirations qui s’expriment dans les luttes sociales concernant l’emploi, les salaires, les conditions de travail, le droit à la retraite, dans le cadre des combats contre la destruction de la nature, comment faire prendre en compte la nécessité de lutter contre les rejets de gaz à effet de serre par le mouvement social alors que trop souvent ces combats sont vécus comme contradictoires  ?

C’est sans doute un des enjeux fondamentaux d’aujourd’hui pour les révolutionnaires. Si nous ne nous donnons pas les moyens de dépasser cette contradiction, le combat pour une société écologique sera perdu  ! Pourtant des pistes existent qu’il faut travailler. Et en premier lieu, multiplier les ponts militants au travers d’un projet de transformation sociale commun et les actions communes en valorisant à chaque fois les convergences possibles entre les deux combats. Et rappelons que les principaux émetteurs de gaz à effet de serre dans les sociétés inégalitaires se trouvent dans la bourgeoisie, et que le combat pour le partage des richesses est un préalable à une société sobre en énergie.

Jacques Dubart (AL Agen)

[1Site internet de « The World Bank » : data.worldbank.org. Voir la partie «  CO2 emissions (metric tons per capita)  »

[2Cette notion est une estimation des ressources produites par la terre par unité de surface utile disponible. Évidemment l’humanité ne pourra pas durablement, comme elle le fait aujourd’hui, consommer davantage que la terre ne produit.

[3Source : ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer

[4Rapport 2012 sur l’état de la planète publié par le WWF en collaboration avec la Société zoologique de Londres et le Global Footprint Network

[5Repères - Chiffres clés de l’énergie, Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie,

[8Ensemble des techniques visant à réduire la durée de vie d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement

 
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