Lire : Damasio, « Les Furtifs »




Alain Damasio n’avait pas sorti de roman depuis La Horde du contrevent, en 2006, succès à la fois critique et public. Après s’être engagé en faveur de la ZAD de Notre-Dame des Landes ou pour l’amnistie des Gilets jaunes, et avoir participé au colloque « Tout le monde déteste le travail », il revient avec un nouveau roman de SF, Les Furtifs, encore plus ouvertement politique.

Dans un futur proche où l’humain est toujours plus asservi et fliqué par des objets connectés, une nouvelle espèce animale fait son apparition, les furtifs, capables d’échapper aux regards humains notamment en métabolisant leur environnement naturel. Lorca est membre d’une unité militaire de traque des furtifs, où il s’est engagé dans l’espoir de mieux comprendre la disparition de sa fille, qu’il pense liée aux furtifs. Le rapport et la compréhension des furtifs par Lorca et ses amis vont progressivement évoluer, pour finir en mouvement de révolte écologiste face à la société de contrôle.

Ce qui est saisissant dans ce roman, c’est la vision actualisée de la SF qui y est développée. Ici, pas de vaisseaux spatiaux ou de lasers, mais des villes « libérées », c’est-à-dire rachetées par des entreprises et où la circulation est strictement contrôlée en fonction des revenus. Les objets connectés, collectant des données pour optimiser et cibler des publicités, des réalités virtuelles ou des intelligences artificielles, sont omniprésents. Les résistanqui émergent reposent sur des réappropriations de gratte-ciels ou de zones naturelles, où l’on apprend à vivre autrement, via le don-contre-don, des AG préparées en sous-groupes. Les affrontements avec les milices privées sont perdues d’avance sur le plan militaire, mais se gagnent sur le plan symbolique. Il s’agit là d’un vrai roman d’anticipation politique, nourri par l’expérience des derniers mouvements sociaux et des dernières évolutions technologiques.

On pourra cependant reprocher une vision assez idyllique de la lutte : la désorganisation est presque une force, d’ailleurs pas besoin d’organisation puisque les liens affinitaires suffisent, et tous les conflits internes se règlent par la discussion et la solidarité. De même, sur le plan narratif, il y a les gentils d’un côté, les méchants de l’autre, et strictement aucun entre-deux. Enfin, la question du travail en est complètement absente : c’est une aliénation, un point c’est tout.

Le roman reste cependant très agréable à lire. On espère ne pas attendre 13 ans avant le prochain.

Grégoire (UCL Orléans)

  • Alain Damasio, Les Furtifs, La Volte, 2019, 704 pages, 25 euros
 
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