Serbie : Une réussite des luttes horizontales

Depuis un an, la Serbie connaît une vague de protestations contre le régime autoritaire du président Aleksandar Vučić. Après les étudiants et étudiantes, les travailleurs et travailleuses se sont emparées du mouvement. Un mouvement horizontal que les partis politiques traditionnels n’ont pas réussi à récupérer et qui a de quoi donner des idées à celles et ceux qui luttent, ici et ailleurs. Un article que vous pouvez retrouver en anglais sur le site de notre organisation sœur britannique, Anarchistcommunism.org.
Le 1er novembre 2024, l’auvent d’une gare ferroviaire s’est effondré dans la ville de Novi Sad, dans le nord de la Serbie. Cet accident a coûté la vie à seize personnes, dont deux enfants. En Serbie, cet événement a été largement considéré comme un signe de la corruption du régime autoritaire de droite dirigé par le président Aleksandar Vučić. L’auvent s’est effondré après qu’un entrepreneur chinois sous-traitant a été chargé de rénover la gare. Beaucoup pensent que des fonctionnaires et des bureaucrates ont détourné des fonds destinés à la rénovation.
Cela a déclenché contre la corruption un mouvement de protestation qui se poursuit encore aujourd’hui. Le 22 novembre, les étudiants et étudiantes de cette faculté d’art dramatique se sont jointes au mouvement, bloquant une rue pour une manifestation silencieuse qui a duré 15 minutes. Mais des hooligans d’un club de football à la solde de Vučić les ont attaqué. Les étudiants et étudiantes ne se sont pas laissées intimider et se sont mises en grève trois jours plus tard.
Un président « progressiste » devenu fasciste
Vučić a commencé sa carrière comme ultra-nationaliste et a désormais adopté des positions populistes. Son Parti progressiste serbe (SNS) est issu d’une scission en 2008 du Parti radical serbe (SRS), un parti fasciste. Il est truffé de nationalistes et entretient des liens avec divers groupes fascistes. Vučić a lui-même été ministre de l’Information sous la présidence de Slobodan Milošević.
Des manifestations rassemblant jusqu’à 500 000 personnes ont eu lieu contre le régime, la plus importante s’étant déroulée à Belgrade le 14 mars dernier. Il s’agit de la plus grande manifestation de l’histoire de la Serbie. En réponse, Vučić a de plus en plus recours à la police et à des gangs fascistes de hooligans pour attaquer le mouvement. En août, des manifestants et manifestantes dans les villes de Vrbas et Backa ont été attaquées par ces hooligans, avec la complicité de la police. Cela s’est poursuivi lors des manifestations du lendemain. À Novi Sad, des voyous masqués ont attaqué les participantes et participants avec des bouteilles, des matraques, des feux d’artifice et des fusées éclairantes. Des combats de rue s’en sont suivi et un bureau du SNS a été incendié.
Vučić a également renforcé les effectifs de l’unité de sécurité, la JZO, qui est passée de 300 à 1 300 personnes. Cette unité lui est directement subordonnée et agit pour intimider les protestataires. Il a menacé ces dernières et derniers de mort et les a comparées à des fascistes et à des nazis, affirmant qu’ils et elles étaient payées par l’Allemagne ou la Grande-Bretagne.
Bien que diverses formations de gauche serbes ont tenté de maintenir les manifestations apolitiques, essayant de les empêcher de prendre une tournure anticapitaliste, le mouvement reste organisé de manière fédérative et horizontale. Comme l’a déclaré un étudiant, Veljko Radic, dans une interview accordée à Transnational Social Strike : « Ce qui rend ces manifestations si spéciales à mes yeux, c’est le fait que les étudiantes et étudiants sont organisées de manière horizontale. Chaque faculté dispose d’une assemblée plénière locale où chacune et chacun peut s’exprimer librement, puis il y a une brève discussion et un vote. Le plus souvent, cela aboutit à un quasi-consensus. De plus, chaque faculté dispose de nombreux groupes de travail chargés de la stratégie, des dons, des médias, de la communication avec les autres facultés, de la sécurité, des activités pendant le blocage, etc. Chaque décision prise lors des assemblées plénières locales est transmise à une grande réunion de déléguées où chaque faculté dispose d’une ou un déléguée qui partage ce qui a été décidé lors de son assemblée plénière locale. C’est ainsi que sont prises les décisions concernant l’ensemble de l’université. De plus, toute forme de collaboration avec des partis politiques et des ONG est interdite. »
Une grève gagnante
Le gouvernement n’a fait aucune concession significative, malgré l’ampleur du mouvement. Une grève générale d’une journée, à laquelle ont participé des centaines de milliers de personnes, a paralysé toutes les grandes villes, les agricultrices et agriculteurs et leurs tracteurs se joignant aux blocages à Belgrade. Six jours après la grève, le Premier ministre, Milos Vucevic, leader du SNS, a démissionné. Mais cela n’a pas apaisé le mouvement.
Lors d’une manifestation massive, la police a utilisé un canon sonore émettant des bruits aigus pour provoquer une bousculade. Malgré tout, le mouvement reste fort. La « démocratie directe » horizontale employée par les étudiantes et étudiants s’est répandue parmi la classe ouvrière dans de nombreuses villes serbes. Comme l’a noté un anarchiste sous le pseudonyme de Random : « J’ai participé à une assemblée organisée pour plusieurs blocs [d’immeubles]. Les gens ont immédiatement accepté la démocratie directe. Presque toutes les personnes qui soutiennent cette manifestation voient également cette assemblée plénière, cette démocratie directe, cette façon de s’organiser, avec beaucoup d’admiration. Et cela représente un énorme potentiel pour le mouvement anarchiste. […] L’organisation anarchiste est l’une des principales raisons pour lesquelles ce mouvement connaît aujourd’hui un tel succès. »
Un phare dans la nuit
De même, les partis politiques traditionnels n’ont jusqu’à présent pas réussi à s’emparer du mouvement. Un autre anarchiste, Ilik, a déclaré : « Il s’agit désormais d’un mouvement social qui a d’abord commencé comme un mouvement étudiant, puis s’est développé. Les travailleuses et travailleurs ont commencé à apporter leur aide, les agricultrices et agriculteurs se sont jointes au mouvement, les gens ordinaires ont commencé à y participer et c’est maintenant un grand mouvement social sur lequel l’opposition n’a pas vraiment de pouvoir. Ils essaient bien sûr de l’utiliser, ils essaient d’être une solution pacifique, avec un gouvernement de transition ou des élections, qu’ils veulent gagner car ils sont la seule autre option politique. […] Mais ils ne sont pas populaires, et plus ils essaient de pousser pour des élections et un gouvernement de transition, tout ce qui peut les mettre au pouvoir, plus les gens s’organisent par eux et elles-mêmes. »
Reste à voir si le mouvement pourra résister à la répression. Quoi qu’il en soit, l’exemple de la Serbie doit être plus largement connu. Avec les mouvements en Indonésie, au Népal, en France, en Macédoine et ailleurs, nous assistons à l’émergence d’un phénomène d’organisation horizontale, qui n’a rien à voir avec le dogme léniniste et qui offre un aperçu d’une nouvelle société, de l’évolution de l’espèce humaine vers un niveau supérieur, celui du communisme anarchiste. En ces temps sombres, ce phénomène doit être diffusé et célébré. Ces mouvements héroïques sont des phares dans la nuit humaine.
Anarchist Communist Group







