Vigilance et initiatives syndicales antifascistes : Les collectifs syndicaux antifascistes s’enracinent
Ces derniers mois, l’association Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (Visa) a annoncé la création de plusieurs antennes locales. Après la création de Visa Seine-Saint-Denis en décembre, cinq Visa se sont constitués dans des zones rurales, le plus souvent regroupant CGT, FSU et Solidaires. Quelle est la dynamique de création de ces antennes locales et quel espoir pouvons-nous placer dans la lutte syndicale contre l’extrême droite, à l’aune des élections municipales de 2026 ?
Depuis 1996, Visa est une association unitaire antifasciste strictement syndicale qui lutte contre l’extrême droite, notamment contre le FN/RN, auprès des travailleurs et des travailleuses. Elle recense les expressions syndicales antifascistes, réalise un travail de veille sur les mandats syndicaux (afin que les militants et militantes d’extrême droite ne s’en emparent pas), produit des argumentaires et assure des formations unitaires. Elle regroupe des syndicats, unions interprofessionnelles ou fédérations de la CGT, de Solidaires, de la FSU, de la CFDT, des CNT, de FO, de l’UNSA et d’organisations de jeunesse.
Visa est issue de la commission syndicalisme de Ras l’front [1] qui publiait le bulletin Information syndicale antifasciste. L’association s’en est autonomisée après une lutte contre l’implantation de syndicats Front national pilotés par le FN et notamment Bruno Mégret, dans la police, le pénitentiaire, les transports, etc. Ces syndicats, qui défendaient le principe anticonstitutionnel de « priorité nationale », ont pu être interdits grâce à une mobilisation intersyndicale. C’est de cette lutte que vient l’objectif de veille de Visa sur les mandats syndicaux. Dernièrement, Visa a alerté sur la présence d’un cadre de Reconquête !, Joost Fernandez, dans le bureau du syndicat Action & Démocratie, syndicat de l’éducation affilié à la CFE-CGC [2].
L’association a d’abord une structuration nationale, contrairement à Ras l’front basé sur des comités locaux constitués après « l’appel des 250 ». Récemment, l’association s’est transformée avec l’augmentation des adhésions de structures syndicales notamment locales [3]. C’est après une offensive de l’extrême droite aux municipales de 2014 et en 2017 que les premiers Visa locaux se créent : Visa 13 autour du 7e secteur de Marseille emporté par Stéphane Ravier, Visa 34 après la prise de la mairie de Béziers par Robert Ménard et Visa 66 autour de l’élection à Perpignan de Louis Alliot.
Cette première dynamique lance, autour des élections présidentielles de 2022, la création d’une vague d’antennes locales, dans des départements acquis à la cause antifasciste : Finistère, Ariège, Calvados, Savoie, Isère, Ille-et-Vilaine, Loire Atlantique, Tarn, Seine-Maritime et Rhône. Ces créations se sont parfois accompagnées d’arrivées de syndicats plus étrangers à Visa tels que l’UNSA [4].
Des structures à géométrie variables
Cette nouvelle vague, qui touche davantage les zones rurales (en Haute Savoie, en Vendée, dans le Maine-et-Loire, dans la Vienne et dans l’Ain), est sans doute une réaction aux élections législatives de juin-juillet 2024 qui ont vu l’élection de députées fascistes en nombre. Elle survient également après un 52e congrès de la CGT abordant l’association – sans que la Confédération ne la rejoigne pour autant – et une montée en flèche des adhésions du côté des unions locales et départementales (UD). La CGT est maintenant le plus gros pôle d’adhésions à Visa, dépassant Solidaires longtemps en tête.
Les Visa locaux n’ont pas de structures en propre. La charte qui les régit dans l’association précise qu’ils regroupent les structures syndicales adhérentes à Visa sur un territoire donné. Suivant les localités, les fonctionnements divergent. Ainsi, en Ille-et-Vilaine, Visa 35 s’est doté d’une charte regroupant les structures adhérentes puis élisant une équipe d’animation ; dans le Calvados, c’est un fonctionnement souple où les syndicats mandatent des camarades pour une équipe d’animation permanente. Les fonctionnements ne sont pas les mêmes suivant que les structures de bases composant le Visa local soient des UD ou des syndicats de base. Un fonctionnement au consensus est censé éviter que des organisations pèsent plus que d’autres.
La multiplication de ces structures locales, accompagnant une « crise de croissance » de l’organisation, a donné lieu à des questionnements sur la structuration même de Visa. En effet, là où l’activité de Visa avait longtemps été nationale, ces structures locales constituent maintenant une base de militants et militantes bien plus grande, désireuse de participer à la lutte antifasciste. Ce fut l’objet d’États généraux de Visa en 2024 ayant formulé plusieurs propositions entérinées à l’assemblée générale annuelle suivante : création d’un collège de Visa locaux consultatif au conseil d’administration de Visa, création de groupes de travail fonctionnels ou thématiques pour faire participer les syndicalistes aux travaux de l’association, organisation de rencontres annuelles de Visa locaux (dont la première est prévue en décembre 2025).
Un Visa local, pour quoi faire ?
L’activité de Visa était initialement basée sur la production d’argumentaires destinés à outiller les syndicalistes pour argumenter au travail contre la montée du FN/RN. Dans cette optique, les premiers Visa locaux étaient les relais des informations autour des mairies brunes, mais ont aussi servi de chevilles ouvrières pour organiser des mobilisations, notamment à Perpignan contre le congrès du RN en 2021.
De plus en plus, les Visa locaux développent une activité propre, par exemple dans le Finistère ou en Loire Atlantique où ils organisent des contre-rassemblements. Mais leur existence permet surtout d’organiser des formations unitaires locales régulières et de constituer une équipe de personnes ressources que les militantes et militants de base identifient plus facilement. Toutefois, la création d’une structure locale ne fait pas tout. Trop souvent, les Visa locaux créés par des regroupements d’UD sans grand intérêt des syndicats de base ont du mal à s’incarner réellement dans les pratiques de membres des organisations adhérentes. Il est important que les Visa locaux aient la volonté d’être à l’animation locale de l’association. C’est ainsi qu’ils pourront donner l’appui aux syndicalistes dans les entreprises et les administrations.
Si Visa ne bloquera pas la montée du fascisme à elle seule, elle est la matrice d’une politisation de la vie syndicale et du militantisme dans le monde du travail, de manière unitaire. Alors que l’extrême droite reste postée devant les portes du pouvoir et qu’elle lorgne sur les mairies de France, les Visa locaux peuvent être des appuis intéressants s’ils ne sont pas créés pour se substituer au militantisme de base.
Judi (UCL Caen)






