IIe congrès de l’UCL (Angers, 3-5 novembre 2023)

Pour une contre-offensive trans




Depuis plusieurs années, une offensive réactionnaire de grande envergure cible la population trans, en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni, où elle a des effets catastrophiques. Il s’agit dans ces pays, et aussi de plus en plus en France, d’une priorité stratégique pour l’extrême-droite, qui s’en sert comme d’un tremplin pour le contrôle des corps et la fascisation de la société. Nous devons y faire face en conséquence.

Cette motion réaffirme notre soutien aux luttes trans et en dresse les contours idéologiques, revendicatifs et stratégiques.

Elle clarifie notre analyse de la transidentité (ou transitude) : sur des bases matérialistes, ouvertes, en écartant les modèles réductionnistes et les stratégies mal avisées. Elle établit nos points d’accord et de désaccord avec les analyses queers, ceci dans le but de permettre une compréhension commune et donc un travail unitaire.

Enfin elle établit l’action de l’UCL sur ces sujets. D’abord au sein de nos milieux, où nous devons : former aux luttes trans et les pousser en interne aux contre-pouvoirs ; inciter à une prise de position des organisations de gauche même réformistes ; et agir à long terme et stratégiquement dans les cadres unitaires. Ensuite plus largement au sein de la société, où nous devons travailler de pair avec les organisations spécifiques pour informer, revendiquer et soutenir, y compris au-delà des frontières.

Une offensive réactionnaire à visée exterminatrice et fasciste

Aux États-Unis, on assiste depuis plusieurs années à une offensive de grande envergure pour faire reculer les droits des personnes trans ainsi que leur perception par le public. Portée par un groupe organisé de fondamentalistes chrétiens nationalistes et soutenue par le parti Républicain [1], cette offensive fait adopter depuis trois ans des lois de plus en plus réactionnaires et violentes dans de nombreux états, forçant les personnes trans et leur famille à fuir – devenant des réfugiées dans leur propre pays – ou à se voir priver d’accès à des soins indispensables, aux démarches de changement d’état civil, au sport, voire tout bonnement à l’espace public [2].

Les promoteurs de cette offensive ne se gênent désormais plus pour révéler leurs vraies intentions. Trump annonce ainsi vouloir empêcher tout soin et toute reconnaissance aux personnes trans si réélu, tandis qu’un appel à « l’éradication du transgenrisme » reçoit une ovation à un forum conservateur [3], un an après la recommandation d’un candidat Républicain à passer les personnes trans devant un peloton d’exécution [4].

Dans un contexte de fascisation du parti Républicain, cette offensive a des conséquences catastrophiques au-delà même des principales personnes visées : elle légitime et habitue la population au contrôle des corps, en profitant d’un sujet sur lequel elle est peu informée. Elle se combine aux attaques contre le droit à l’avortement ou la communauté LGBTI dans son entièreté. Il s’agit d’une même dynamique, organisée par les mêmes groupes politique, en faveur d’un régime fasciste et théocratique.

Cette offensive n’est pas restreinte aux États-Unis : les fondamentalistes s’attellent à créer un réseau international pour y exporter leur travail. La Russie a ainsi récemment voté une des lois les plus répressives jamais observées, interdisant toute forme de transition médicale et administrative, et retirant aux personnes trans le droit de se marier ou d’avoir des enfants.

Moins radicalement mais depuis plus longtemps, le Royaume-Uni est lui aussi touché : des tabloïds, des personnalités publiques (comme J. K. Rowling), des grands médias (y compris The Guardian ou la BBC) et des politiques font tout pour attiser la haine transphobe dans le pays, si bien que les argumentaires réactionnaires et pseudo-féministes servent de cadre au « débat » de société engendré. Cette campagne porte morbidement ses fruits, par exemple avec le meurtre de Brianna Ghey en février 2023.

Côté législatif, l’avancée des droits est bloquée, le gouvernement conservateur allant jusqu’à faire annuler une loi du parlement écossais (poussée par le parti indépendantiste SNP), une première depuis son rétablissement en 1998.

Le Labour est divisé, et son chef Keir Starmer a décidé de supplanter la branche écossaise du parti travailliste pour minimiser les droits des personnes trans, en reprenant des arguments transphobes. Nous avons affaire ici à un véritable arc d’extrême-droite international, chaque parti et organisation s’inspirant les uns les autres, et reprenant et partageant le travail réalisé par chacune, d’une manière de plus en plus organisée.

En France aussi, un mouvement transphobe s’organise et s’élargit à grande vitesse, réunissant médias, personnalités, partis et organisations politiques, militantes « techno-critiques », associations soi-disant féministes, groupes de parents plus ou moins noyautés, etc. Les paniques morales transphobes font la une [5], des figures de la transphobie et opposantes à l’interdiction des thérapies de conversion visant les personnes trans sont reçues au ministère [6] et encensées par des députés LREM [7], et les argumentaires transphobes font leur chemin y compris dans les milieux de gauche.

La situation s’est récemment accélérée avec des offensives parlementaires menées par les Républicains et le Rassemblement national, et menace de devenir aussi critique que dans les pays pré-cités si nous n’arrivons pas à y faire face.

Partout où cette offensive prend de l’ampleur, elle s’accompagne d’une explosion de la violence [8], du harcèlement en ligne [9] jusqu’aux attaques terroristes [10], qui s’étend plus largement à la population LGBTI. Une violence qui touche déjà d’ordinaire les personnes trans de manière disproportionnée, notamment les femmes [11].

Les luttes trans sont aujourd’hui un impératif. Il revient à la gauche, au sens large, de clarifier ses positions, de soutenir activement les personnes trans, et de repousser l’offensive réactionnaire partout dans le monde. Des millions de vies sont en jeu. Pour cela, une position seulement défensive ne suffira pas : il nous faut contrer frontalement la transphobie, faire évoluer la société, conquérir des droits qui font encore cruellement défaut. D’un point de vue communiste libertaire, il s’agit de faire reculer le patriarcat, d’unifier notre classe, de préparer un futur inclusif pour les personnes trans comme pour toutes les minorités.

Nos ennemis font de plus en plus de la transphobie une priorité idéologique et tactique. Nous devons nous adapter en conséquence. Nous avons besoin d’une véritable contre-offensive.

La place de l’UCL dans le mouvement trans

Rappel de nos positions

Nous « considérons la transphobie […] comme [une] manifestation du patriarcat. […] Nous combattons ces oppressions en reconnaissant la jonction et les spécificités des luttes LGBTI. » (Manifeste de l’UCL)

Au Ier congrès de l’UCL, à Fougères, nous avons détaillé et affiné nos positions féministes [12]. Sur le plan théorique, nous avons réaffirmé le caractère indissociable des luttes LGBTI et de l’antipatriarcat, et avons adopté une grille d’analyse intégrant en particulier le féminisme matérialiste, le féminisme intersectionnel et le féminisme lutte de classe.

Nous appelions à un travail pour se saisir collectivement de ces outils. En réponse à cet appel et à une nécessité de clarifier nos positions au sein du mouvement trans, le présent texte propose une analyse matérialiste plus détaillée des luttes trans.

Sur le plan pratique, le congrès de Fougères appelait à rejoindre, renforcer, soutenir voire créer des organisations LGBTI, à soutenir le travail et les systèmes d’entraide de nos camarades, à pousser l’avancée des luttes LGBTI au sein des contre-pouvoirs et notamment des syndicats, et à mettre l’accent sur la formation en notre sein.

Ce texte s’inscrit dans la continuité du travail réalisé en interne depuis 2021, notamment à travers nos décisions en Coordination Fédérale et notre validation des formations antipatriarcat et LGBTI internes.

Un mouvement trans divisé

Le mouvement militant trans, comme plus largement le mouvement LGBTI, est traversé de différences idéologiques et stratégiques. On distingue en particulier deux grilles d’analyse majeures, qui se subdivisent en une variété de positions : les modèles queers, et les modèles matérialistes.

Entre ces deux grands axes, le dialogue est très compliqué. Cela s’explique par des différences de bases théoriques, de vocabulaire et de stratégies, sources de confusion et de malentendus ; par des pratiques délétères, telles des exagérations, caricatures, logiques de camps et solidifications de conflits interpersonnels ; ainsi que par leur histoire et leurs filiations.

Sur ce dernier point en particulier, un élément de tension majeure vient du fait qu’une partie du féminisme transphobe (dénommé TERF, pour « féministes radicales excluant les personnes trans » [13]) se revendique du matérialisme. Même chose pour un ensemble de positions décriées au sein du mouvement trans, qu’on peut regrouper sous le terme de transmédicalisme.

Il nous revient donc de préciser de quel matérialisme nous nous revendiquons exactement.

Pour une analyse matérialiste non dogmatique

Le matérialisme est pour nous un outil d’analyse du réel, permettant de percevoir et d’analyser des systèmes d’exploitation et d’oppression au sein de la société. Cela implique que notre analyse doit évoluer en fonction des faits et de notre compréhension de ceux-ci. Nous devons prendre garde à ne pas essentialiser nos modèles, c’est-à-dire à les plaquer sur la réalité alors qu’ils ne paraîtraient plus adaptés ; nous devons au contraire partir de la réalité pour les élaborer.

La prise en compte des vécus trans a mené à une fracture au sein du féminisme matérialiste. Une partie du mouvement, aujourd’hui dénommé TERF, a tenté de justifier, par une analyse matérialiste, des positions transphobes et l’exclusion des femmes trans du milieu féministe. Nous affirmons que ce mouvement, qui a largement pivoté sur la transphobie comme unique axe de lutte, a au contraire essentialisé son analyse plutôt que de la mettre à jour, et est entré en contradiction avec des principes de base du matérialisme comme du féminisme de lutte.

En particulier, ce mouvement prône une origine biologique, et non sociale, de l’oppression des femmes, et insiste sur le caractère indépassable de la « socialisation primaire », c’est-à-dire des comportements inculqués dans la jeune enfance.

Au contraire, l’analyse actuelle de l’Union communiste libertaire est de considérer deux classes de sexe, « hommes » et « femmes », auxquelles est assigné chaque individu par un mécanisme social, imposé par la société. Cette assignation est censée être fixe ; en réalité elle n’a pas lieu qu’une seule fois à la naissance mais tout au long de la vie, à chaque interaction sociale, sur la base de marqueurs de genre (des éléments de l’apparence et du comportement de l’individu, de l’état civil, etc.).

Les classes de sexe permettent l’exploitation de la classe des femmes par celle des hommes, et la société patriarcale impose pour ce faire leur binarité et leur rigidité.

Les personnes trans sont opprimées spécifiquement par le patriarcat car elles contreviennent à ces principes. Le processus même de mobilité de classe – devenir des transfuges de classe de sexe – est un affront à la binarité du système, affront répété par les personnes qui refusent leur assignation à l’une des deux seules classes considérées légitimes. La transphobie est l’oppression punissant ces affronts.

Les femmes trans en particulier voient leur position sociale se dégrader dès les premières démarches de transition, et sont soumises à la transmisogynie, par intersection de la misogynie et de la transphobie.
Les hommes trans sont eux soumis à des logiques d’infantilisation, afin d’un côté de leur refuser ou compliquer l’entrée dans la classe des hommes, et de l’autre côté de servir d’étendard aux « féministes » transphobes en niant leur autonomie pour les dépeindre en femmes victimes malgré eux, reprenant là encore des poncifs misogynes.

Les luttes trans font donc partie intégrante des luttes antipatriarcales, et les femmes trans font partie intégrante des luttes féministes.

Nous rejetons les positions essentialisantes. Nous analysons que la place de chaque individu dans le système d’oppression patriarcal ne dépend pas de sa biologie ou de sa socialisation passée, mais de sa position sociale présente. Nous respectons et aidons les personnes trans dans leur transition en les considérant de leur genre souhaité, peu importe leur conformité aux attentes patriarcales. Notre lutte vise à abolir ce système et ses classes de sexe, et nous agissons en cohérence avec cet objectif.

Une partie du mouvement trans, se revendiquant lui aussi souvent du matérialisme, prône que la transidentité (ou transitude) est une affection mentale, pour laquelle la transition médicale est le remède. Cette tendance milite donc généralement pour le maintien de la psychiatrisation des parcours de transition. Cette position, dénommée transmédicalisme, est plus stratégique qu’idéologique : l’idée est de présenter la transidentité d’une manière qui la rendrait plus acceptable par le système patriarcal, et par là, en théorie, de protéger les personnes trans.

Si nous sommes sensibles aux craintes et aux stratégies individuelles des personnes trans pour obtenir l’accès aux soins, nous rejetons le transmédicalisme en tant que stratégie politique. Nous jugeons en effet qu’elle ne saurait nous protéger ni du backlash réactionnaire ni du patriarcat dans son ensemble, qu’elle ne permet pas de combattre. Elle jette en particulier sous le bus toutes les personnes trans qui ne peuvent se soumettre aux injonctions du système : les personnes non-binaires, homosexuelles, bisexuelles, neurodivergentes, etc. La dépsychiatrisation est pour nous une revendication centrale des luttes trans.

Enfin, nous rejetons les positions réductionnistes, qui ne prennent pas en compte les violences psychologiques en tant que conditions matérielles. Nous constatons en particulier que le placard est une situation très difficile, et que les démarches de transition sociale (coming-outs, modifications de l’apparence et du comportement) entraînent elles aussi un réel danger pour les personnes trans, de par toutes les formes de violence que la société transphobe déchaîne en réponse. Cela se traduit par des taux de dépression et de suicide stratosphériques [14].

Pour un travail unitaire apaisé

La majorité du mouvement trans adopte des grilles d’analyse issues des théories queers. Nous avons des points d’accord mais aussi des désaccords politiques avec celles-ci, qu’il convient de clarifier pour permettre le travail commun. Mais une source de tensions courante provient aussi d’une simple différence de priorités. Quoi qu’il en soit, nous affirmons que ce qui nous unit, la conquête de droits et la fin du patriarcat, sera toujours plus fort et important que ce qui nous divise.

Les organisations trans placent une grande partie de leur énergie sur les besoins urgents et vitaux des personnes trans, à travers l’entraide et l’accompagnement – notamment pour l’accès aux soins et aux démarches administratives – ainsi qu’au soutien moral et à la création d’espaces de sociabilité, qui font cruellement défaut aux personnes trans, souvent victimes de rejet et d’isolement. Il s’agit d’un travail titanesque, qu’il nous revient de saluer et de soutenir.

Cette priorité, tout à fait logique, mise sur les besoins immédiats de la communauté trans, peut justifier un accent porté sur les individualités. Quelqu’un qui s’est vu rejetée et reniée son humanité a besoin d’entendre qu’iel est légitime. Nous rejoignons le souhait de créer une société dans laquelle tout individu peut s’épanouir sans crainte.

En tant qu’organisation politique, l’Union communiste libertaire n’a pas vocation à se substituer aux espaces d’entraide, qu’elle doit soutenir de l’extérieur. Notre objectif est de pousser la société à évoluer vers l’acceptation et l’intégration des personnes trans, jusqu’à l’élimination du système d’oppression patriarcal, combiné aux luttes féministes et LGBI. Sur ce champ d’action, nous considérons que les logiques individualisantes sont préjudiciables : nous avons besoin de créer du collectif, sur la base d’expériences partagées.

Nous souhaitons donc regrouper tout ce que cela signifie de transitionner (ou de vouloir transitionner) dans notre société patriarcale, posant ainsi le socle de nos critiques, craintes et revendications communes. Cela implique de faire vivre des contre-pouvoirs larges et démocratiques. Nous ne mettons donc pas l’accent sur des figures individuelles ou des groupes affinitaires, même si nous saluons leur travail et pouvons collaborer avec elles et eux.

Cette position n’est pas antinomique à la reconnaissance de la diversité des parcours de transition. Les avancées politiques bénéficieront à toutes, tous et toustes, peu importe les démarches effectivement entreprises par chaque individu. Ce n’est pas notre rôle de juger la « légitimité » de telle ou telle identité. Notre analyse se base sur les conditions matérielles d’existence : nous nous battons pour toutes les personnes dont les conditions matérielles sont affectées par la transphobie, comme par les autres systèmes d’oppression.

Cela signifie pour nous une démarche ouverte sur l’extérieur, qui se confronte à la société, et qui ne soit ni trop intellectualisée et abstraite ni dépourvue d’analyse théorique.

Une autre source de tension courante entre stratégies queers et matérialistes est l’utilisation du vocabulaire. Les stratégies queers, qui incluent la redéfinition des termes liés au genre dans une visée émancipatrice et de « déstabilisation » du genre, proposent que les termes d’identité et d’orientation sexuelle soient appropriés au niveau individuel : que chacune choisisse les étiquettes qui lui correspondent afin de se comprendre ou se trouver soi-même.

A l’UCL, notre approche prend une position de départ différente et aboutit donc à une utilisation du vocabulaire adaptée à notre grille d’analyse. Sans remettre en cause le principe d’autodétermination, nous partons de la transition comme d’un fait social, puis nous étudions les logiques d’oppression que cela engendre. Notre vocabulaire désigne donc les personnes touchées structurellement par ces oppressions, par exemple de par un parcours ou une volonté de parcours de transition (incluant les volets médicaux et administratifs mais aussi sociaux).

Ces différences d’utilisation du vocabulaire, liées à des analyses et stratégies différentes, ne constituent pas à notre avis une source pertinente d’opposition à elles seules : nous devons donc expliciter nos termes lorsque nécessaire sans s’attarder sur des guerres de dictionnaires.

Par ailleurs, nous exprimons nos réserves face à certains discours radicaux, que nous craignons d’être inaudibles par la société actuelle. Sans jamais renier nos ambitions révolutionnaires, nous préférons user de stratégie et mener une bataille de long terme, en gagnant notre légitimité auprès de notre classe et en faisant progresser la société au rythme qui nous semble atteignable.

Nous avons mis en avant ici notre démarche et nos désaccords afin de clarifier notre positionnement, non pas pour tracer une ligne avec les autres orientations politiques, mais au contraire pour permettre le travail commun avec elles en connaissance de cause. Nous devons éviter de transformer ces désaccords en conflits : par l’échange, par la recherche du consensus, par la diversité des actions. Plus que jamais, nous avons besoin d’être unies. Outre les différences de pratiques et de stratégies, notre objectif est le même. Le principe du travail unitaire fait partie des impératifs de notre organisation et devra toujours guider notre action.

Identifier nos ennemis et y opposer les revendications de la communauté trans

Nous dressons ici un panorama rapide des mouvances transphobes français et de leurs argumentaires. Nous devons apprendre à les réfuter, et à leur opposer la situation réelle de la population trans. Nous faisons nôtres la plupart des revendications des militantes et militants trans, que nous détaillons de manière non exhaustive dans la seconde sous-partie.

Une opposition issue de tous les courants politiques

Les acteurs propageant la transphobie en France (comme ailleurs) se réclament de tous les courants politiques.

On trouve bien sûr les partis de droite et d’extrême-droite. Ainsi Zemmour crée des groupes de « parents vigilants » qui lancent des campagnes de pression contre des établissements scolaires [15] , dans la droite ligne de la stratégie de l’extrême-droite américaine. Les Républicains aussi font leur cette stratégie contre le « wokisme », et lancent dans ce cadre une offensive médiatique [16] et parlementaire [17] très directe et violente, contre une prétendue idéologie transgenre qui menacerait les enfants.

Du côté du Rassemblement national, la ligne de Marine Le Pen, qui était stratégiquement muette ou instrumentaliste sur les droits des femmes et des personnes homosexuelles [18] – tout en dissimulant leurs réelles positions réactionnaires – laisse la place elle aussi à une ligne intégrant plus franchement la guerre culturelle poussée outre-Atlantique. Leur groupe à l’Assemblée nationale lance lui aussi une offensive législative, ciblant l’accès des personnes trans [19] au sport.

Il s’agit d’une stratégie plus fine et progressive que celle de LR, mais avec la même finalité d’oppression totale des personnes trans. Outre les partis, des groupements réactionnaires se constituent spécialement sur le sujet, le plus important d’entre eux étant l’Observatoire de la Petite Sirène, proche des milieux de La Manif Pour Tous et des Républicains, qui a son influence au ministère de l’éducation nationale et qui a tenté de porter ses arguments au sein même de la DILCRAH [20].

Les arguments de ce camp politique reprennent les poncifs habituels : « protection » des enfants voire de la civilisation, affront à l’ordre naturel ou biblique, et les sempiternels discours complotistes et antisémites. Comme développé en partie I, la lutte contre la transphobie est aujourd’hui un impératif antifasciste.

Mais dans cette lutte contre les droits des personnes trans, l’extrême-droite a du soutien. Le féminisme libéral « universaliste », tout en prétendant respecter les personnes trans, opposent leurs droits à ceux des femmes [21]. S’indignant du vocabulaire incluant les hommes trans aux questions de santé reproductive, et dénonçant le soi-disant avantage des femmes trans dans le sport, c’est à nouveau le registre de la menace planant sur la société qui est invoqué.

Moins subtilement, la question des espaces en non-mixité femmes (notamment les toilettes publiques) est invoquée pour dépeindre les femmes trans en agresseuses, reprenant le poncif classique des LGBTI comme pervers sexuels. Sur ce point et tant d’autres, ce féminisme libéral est rejoint par la frange transphobe du féminisme radical, de plus en plus poreuse avec lui, et qui insiste comme dit précédemment sur la primauté de la biologie ou de la « socialisation primaire » comme source des oppressions patriarcales.

En miroir des femmes trans agresseuses, les TERFs considèrent les hommes trans comme des lesbiennes victimes des « transactivistes », peu importe leur orientation sexuelle réelle et sur une logique d’infantilisation misogyne.

Les milieux écologistes ne sont pas épargnés. Outre les gourous naturopathes [22], on trouve des tendances transphobes du côté des mouvances techno-critiques et primitivistes, comme Pièces et main-d’œuvre (PMO) [23] et Deep Green Resistance (DGR) [24], souvent plus proches de l’écofascisme que de l’écologie de lutte. Ces groupes dépeignent les transitions de genre comme contre-nature et issues d’une idéologie transhumaniste.

Toutes ces composantes se lient et se soutiennent, au-delà des appartenances politiques affichées : la transphobie devient le dénominateur commun rassemblant des courants qui devraient pourtant s’opposer. Ainsi des figures connues sur les réseaux sociaux pour leur activisme transphobe frénétique se déclarent féministes mais répondent présentes aux invitations de médias d’extrême-droite pro-Poutine [25].

PMO cite des membres de l’Observatoire de la petite sirène (OPS), tandis que des émissions libertaires font la part belle au féminisme libéral transphobe [26]. Une ex-militante de DGR véhicule les argumentaires transphobes sur son blog et est invitée dans des podcasts pseudo-féministes tout aussi obnubilés par la question, et se faisant le relai d’Ypomoni, un collectif proche de l’OPS promouvant les thérapies de conversion et faisant pression dans les médias comme sur les médecins [27].

Ce mélange des genres démontre la réelle base commune derrière la transphobie : une idéologie réactionnaire et confusionniste.

De nombreux droits à conquérir

Face à la désinformation transphobe, nous agissons pour une meilleure information au sujet de la transidentité au sein de la société, incluant une meilleure identification et condamnation de la transphobie et des violences qu’elle engendre. Nous luttons contre les discriminations et la précarisation de la population trans.

Nous militons pour l’accès aux soins des personnes trans. Cela passe par l’arrêt des discriminations et des violences médicales, mais aussi par une meilleure formation des médecins quant à la prise en charge des personnes trans et la prescription et le suivi de leurs traitements. Nous sommes pour la dépsychiatrisation réelle et effective des parcours de transition, que ce soit au sein des pratiques médicales ou pour leur remboursement.

Nous appelons à une réelle politique de santé publique, mettant fin aux pratiques des équipes pluridisciplinaires de l’ex-SoFECT (extrêmement psychiatrisées, rigides et patriarcales), répondant correctement aux besoins des mineurs comme des adultes, et permettant la mise à disposition de traitements adaptés. Enfin, nous revendiquons une sécurité sociale renforcée, contrôlée par notre classe, au fait des besoins de la population trans, et prenant en charge la totalité des frais de santé sans nécessiter de mutuelle ni de reconnaissance d’affection longue durée (ALD). Nous combattons les logiques capitalistes à l’œuvre dans le système de santé, qui créent une médecine à plusieurs vitesses en fonction des moyens des patientes.

Nous demandons la simplification des procédures de changement d’état civil, pour qu’elles reposent sur une seule attestation sur l’honneur. Nous sommes pour la suppression du marqueur de sexe, symbole archaïque du contrôle de l’État sur les corps et les familles, qui expose à la discrimination. A minima, nous demandons la déjudiciarisation de la procédure de modification de ce marqueur. Afin de protéger les personnes trans du fichage et des discriminations, les changements d’état civil devraient être entièrement rétroactifs.

Nous sommes pour l’accès des personnes trans à la procréation médicalement assistée (PMA), quel que soit leur état civil, orientation sexuelle ou situation de couple. Nous demandons une reconnaissance automatique des liens de parenté.

Nous appelons à que soit garanti l’accès des personnes trans aux espaces dédiés à leur genre. Cela inclut les clubs et compétitions sportives, les sanitaires, les refuges contre les violences, etc. Nous rappelons que les contraintes mises sur le corps des femmes, y compris, soi-disant, au nom de leur propre sécurité, font courir dangers et discriminations non seulement aux femmes trans mais aussi aux femmes cis, en particulier LBTI [28] et racisées [29].

Stratégie pour une contre-offensive trans

Faire progresser les lignes dans nos milieux

Il est indispensable que la gauche, au sens large, et les contre-pouvoirs prennent position clairement en faveur des luttes trans. Comme on le constate à l’international, une gauche divisée, hésitante ou peu formée offre un boulevard aux pires discours, jusqu’à la persécution de la population trans.

Cela passe en premier lieu par une meilleure compréhension des réalités trans au sein des contre-pouvoirs. Les adhérents et adhérentes de l’Union communiste libertaire doivent être motrices dans les initiatives de formation et d’information au sein des contre-pouvoirs qu’iels investissent. Iels seront aidées en cela par les formations internes et par le matériel conçu par la commission antipatriarcat.

L’avancée de ces causes dans les syndicats revêt une importance particulière. De la même manière que pour les luttes féministes, antiracistes ou antivalidistes, les syndicats doivent être en mesure d’accompagner les personnes trans, victimes de fortes discriminations à l’emploi et sur les lieux de travail, et par là de s’imposer comme un outil pertinent à investir pour celles-ci. En tant que lieux d’organisation des prolétaires, ils ont le potentiel d’unir notre classe par la convergence des luttes, incluant donc les luttes trans ; un potentiel que nous devons chercher à réaliser.

Au-delà de nos contre-pouvoirs, nous devons travailler à faire progresser les luttes trans dans l’ensemble de la gauche, et à y faire reculer la transphobie. Cela inclut les partis réformistes disposant d’une large audience dans la population, dont nous ne devons pas sous-estimer le rôle. Il convient de les inviter à nos initiatives sur ce sujet et d’ouvrir un dialogue avec eux aux échelles locales et fédérales, sur la même logique et pour les mêmes raisons que concernant l’antifascisme.

Dans les cadres inter-orgas, notamment féministes, nous faisons de la mise en minorité des positions transphobes l’une de nos priorités. Pour ce faire, nous devons nous doter d’une stratégie de long terme, qui ne relève ni de positions de posture inefficaces ni d’une passivité désemparée.

L’UCL est attentive aux situations où la question des luttes trans semblent provoquer une gêne, ou sont mises de côté car jugées à part du mouvement féministe. Nous devons dialoguer avec, convaincre et accompagner les organisations qui seraient frileuses sur ces questions par manque de formation ou par crainte du conflit. Nous devons gagner en légitimité et en soutiens au sein de ces cadres si l’on souhaite pousser notre vision d’un antipatriarcat clair et unifié.

Lorsque cela est acquis, nous devons être force de proposition pour que les questions trans soient prises en compte et que les oppositions soient mises explicitement en minorité. Les organisations transphobes doivent être conduites hors de nos espaces.

Lorsque nous ne sommes pas présentes dans un cadre unitaire féministe large et ayant une audience importante, nous tâchons de le rejoindre tant que l’essentiel de ses positions publiques est aligné avec les nôtres, y compris si des organisations réticentes aux luttes trans y sont représentées. L’idée est qu’il sera plus efficace, à notre échelle, d’y mener une lutte interne au côté des organisations soutenant les causes trans plutôt que de les boycotter.

De même, le choix de signer ou non des communiqués venant de cadres où l’on est à ce moment absentes doit prendre en compte les perspectives possibles de s’y investir et d’y faire bouger les lignes dans le sens des luttes trans. En cas de signature de textes ne prenant pas en compte les perspectives trans alors que cela serait pertinent, nous ajoutons un encart sur le sujet dans notre propre communication.

En revanche, lorsqu’un cadre unitaire nous semble contrôlé ou bloqué par des organisations transphobes, nous impulsons la création d’un cadre concurrent. Cette décision doit se reposer avant tout sur un critère d’efficacité. Elle ne peut se faire sans alliées et implique de travailler au long terme à la construction de la légitimité de ce nouveau cadre.

Soutenir les luttes trans, au quotidien et à long terme

L’Union communiste libertaire vient en appui aux associations, organisations et contre-pouvoirs trans. Nous proposons notre aide à leurs initiatives, dans le cadre de nos positions politiques. Nous participons lorsque souhaité à la formation de leurs militantes et à leur défense collective. Nous travaillons avec eux sur des communiqués et événements, les mettons en lien avec nos réseaux et contre-pouvoirs, les convions à nos espaces ouverts. Nous associons les organisations trans aux cadres communs de lutte contre le fascisme et l’extrême-droite.

Nous usons de nos outils de communication pour former et informer la société le plus largement possible. Nous développons les perspectives des luttes trans dans nos productions à chaque fois que cela est pertinent.
Nous investissons chaque année la marche de l’ExisTransInter : par exemple par une production de matériel politique, par la tenue de réunions publiques autant que possible en lien avec les organisations trans, par du soutien logistique et/ou financier.

Nous encourageons l’essaimage de cette manifestation dans nos localités.
Nous soutenons la population trans au-delà de nos frontières, particulièrement dans les pays où elle le plus en position de danger et de précarité, et dans ceux où elle est directement attaquée par les offensives réactionnaires. Nous réalisons ce soutien à travers nos réseaux internationalistes, que nous devons développer à travers cet axe, et aussi de manière directe lorsque pertinent : soutien aux réfugiées, actions devant les ambassades, etc.

Sans prendre la place des organisations spécifiques et dans l’esprit d’auto-détermination des luttes, nous encourageons la création de contre-pouvoirs et de cadres unitaires autour des luttes trans et de la défense contre les mouvances transphobes.

En somme, l’Union communiste libertaire met ses forces au service des luttes trans, en conjonction avec ses autres combats. Elle dénonce les argumentaires transphobes portés dans la sphère publique, y compris quand leurs promoteurs se réclament de la gauche ou du féminisme. Elle est attentive aux attaques réactionnaires : lorsque les ennemis de notre camp social font de la transphobie leur priorité stratégique, nous redoublons de moyens pour les contrer sur ce champ, de la même manière que pour les autres axes politiques.
Nous rejoignons pleinement l’effort pour une véritable contre-offensive trans.

[6Matthias Lecourbe, « Des militantes TERFs reçues par Schiappa : renforçons la lutte contre la transphobie », Révolution Permanente, 6 décembre 2021.

[11Sophie Boutboul, Anne-Laure Pineau, et Rouguyata Sall, « Féminicides politiques : l’acharnement à tuer les femmes trans », Mediapart.fr, 31 mars 2023.

[12Union communiste libertaire, « Motion de la commission antipatriarcat » (Ier Congrès de l’UCL, Fougères, 29 août 2021).

[13Trans Exclusionary Radical Feminists

[14Penelope Strauss et al., « Trans Pathways : The Mental Health Experiences and Care Pathways of Trans Young People » (Telethon Kids Institute, Perth, Australia, 2017).

[15Robin Korda et Ariane Riou, « “Parents vigilants”  : comment Éric Zemmour veut embraser l’école », Le Parisien, 15 décembre 2022.

[18Clément Parrot, « Le Front national est-il vraiment devenu “gay friendly”  ? », FranceTVinfo, 12 mars 2017.

[20Rozenn Le Carboulec, « Mineurs trans : des groupuscules conservateurs passent à l’offensive », Mediapart.fr, 17 mai 2022.

[21Chiennes de garde et Zéromacho, « Le Manifeste du Front féministe », 8 mars 2022.

[23Collectif Stop Masculinisme, « Le coming-out masculiniste de Pièces et main d’œuvre », Indymedia Grenoble, 31 janvier 2015.

[25Pauline Bock, « Fausse journaliste : le “piège” du film Omerta sur les trans », Arrêt sur images, 16 novembre 2022.

[26« Jamila et Caroline Granier, Remue Méninges Féministe », Remue Méninges Féministe (Radio Libertaire 89.4, 15 novembre 2022).

[27Collectif d’action et de recherche sur la transphobie et l’extrême droite (CARTE), « Transphobie  : de la confusion au risque fasciste », février 2023.

 
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