Ier congrès de l’UCL (Fougères, 28-30 août 2021)

Contre le libre-échange, contre le protectionnisme : pour l’autonomie productive !




La relocalisation des capacités productives est un impératif social, démocratique et écologique, mais elle doit se faire sous le contrôle des travailleuses et des travailleurs, et de la population. Elle excède largement la fausse alternative libre-échange/protectionnisme, qui masque la question essentielle : dans l’intérêt des populations, qui doit décider les productions, qui doit les contrôler ?

Le capitalisme a encore connu une crise majeure en 2020. A la différence de celle de 2007, elle n’est pas due à des rouages internes au fonctionnement de l’économie mais au ralentissement brutal de celle-ci provoqué par la pandémie du Covid-19.

Pour autant, les réactions du capitalisme se ressemblent et nul doute que, dans les prochaines années, les conséquences de la crise et des politiques de « sauvetage » vont se faire durement sentir. Les vagues de licenciements et la montée du chômage laissent présager des luttes pour la « sauvegarde » et la préservation de l’emploi.

Les plans de relance destinés à « sauver l’économie » s’accumulent : 130 milliards d’euros en Allemagne début juin 2020, 750 milliards pour l’Union européenne fin juillet 2020, 100 milliards en France début septembre 2020. Des fonds publics gigantesques sont injectés dans les entreprises sous formes d’aides directes, de déductions fiscales ou de prêts sans aucune contrepartie en termes de maintien de l’emploi ni même de relocalisation. Même la crise sanitaire et ce qu’elle a révélé du manque d’autonomie productive du pays n’auront pas pu entamer le dogme capitaliste : la propriété privée est sacrée ; on ne peut ni contraindre ni déposséder les capitalistes ; on peut seulement les encourager à coups de subventions, et les protéger avec des barrières douanières.

La relocalisation des capacités productives est un impératif social, démocratique et écologique, mais elle doit se faire sous le contrôle des travailleuses et des travailleurs, et de la population. Elle excède largement la fausse alternative libre-échange/protectionnisme, qui masque la question essentielle : dans l’intérêt des populations, qui doit décider les productions, qui doit les contrôler ?

Le double discours des capitalistes

En dix ans, même si le libre-échange reste la norme pour les accords internationaux, le thème du protectionnisme économique n’a cessé de monter. Il n’est plus un tabou pour les classes dirigeantes, comme on l’a vu avec le début de guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine, ou avec le feuilleton du Brexit.

D’un autre côté, le 15 novembre 2020, 15 pays d’Asie ont signé le plus grand accord de libre-échange au monde, visant à réduire ou à supprimer les droits de douane sur un certain nombre de produits industriels et agricoles.

Ces évolutions marquent-elle une reconfiguration du processus de libre-échange ? Il ne nous appartient pas de le dire. Cela dépendra de la conjoncture, tant protectionnisme et libre-échange sont deux stratégies que les capitalistes manient alternativement, selon les secteurs économiques, les moments, les intérêts.

Les États occidentaux qui se sont évertués de toute leur puissance à propager l’idéologie libre-échangiste peuvent adopter une autre logique lorsque leur position dominante est contestée. La gouvernance néolibérale, toujours de rigueur, peut alors appeler à son secours les outils régulateurs des appareils étatiques. En somme, le capitalisme libéral dévoile les contradictions et les limites de son idéologie.

Deux fractions d’une même bourgeoisie peuvent d’ailleurs être en désaccord à ce sujet. La « concurrence déloyale », c’est toujours l’autre. Le capitaliste est volontiers ultralibéral pour autrui. Il réclame la suppression des barrières douanières sur les marchés qu’il veut pénétrer, et en même temps accepte volontiers qu’on lui livre des marchés captifs. Il ne faut pas y chercher de cohérence idéologique. Le seul dogme capitaliste, c’est celui de la propriété privée des moyens de production et de distribution. Tout le reste est adaptable aux circonstances.

Les pays puissants prennent ainsi des libertés avec les règles libre-échangistes qu’ils ont peu à peu imposées au monde. Les pays pauvres, dépendants, sous domination impérialiste ou tutelle directe, sont en revanche condamnés à rester des « marchés ouverts », au bénéfice des multinationales occidentales ou asiatiques.

Les deux faces d’une même monnaie

Dans la controverse qui oppose les protectionnistes aux libre-échangistes, bien des arguments de mauvaise foi sont invoqués, qui peuvent berner le mouvement social, sommé de choisir entre deux « camps » dont aucun n’est le sien. La mobilisation par alternance de ces deux discours garantit la reproduction mais aussi la radicalisation du capitalisme. Le protectionnisme, c’est aussi la dérégulation des normes sociales, au nom non plus de la compétitivité internationale, mais de « l’intérêt national ».

Le taux d’emploi, les conditions de vie des travailleuses et travailleurs ne sont garantis ni par le libre-échange, ni par le protectionnisme :

  • L’un comme l’autre sont fauteurs de guerre. Si les politiques protectionnistes peuvent entraîner des tensions impérialistes pour le contrôle de marchés captifs, le libre-échange peut être facteur de tensions géopolitiques pour le contrôle des ressources naturelles.
  • L’un comme l’autre sont fauteurs de misère. Les politiques protectionnistes peuvent entraîner une hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat des travailleuses et des travailleurs, au Nord comme au Sud. Mais le libre-échange organise, lui, un dumping social effréné, le chômage ouvrier et la ruine paysanne.
  • L’un comme l’autre organisent la concurrence entre travailleurs. Si le libre-échange, c’est la concurrence effrénée à l’échelon mondial, le protectionnisme, c’est la concurrence au sein d’un espace économique national ou continental.
  • L’un comme l’autre sont interclassistes. Tous deux tentent de faire croire que prolétariat doit se serrer la ceinture et s’entendre avec le patronat au nom de « l’intérêt national » ou de la compétitivité sur le marché mondial.
  • Ni l’un ni l’autre ne sont anti-étatistes. Qu’elles soient multinationales dans un cadre libre-échangiste, ou monopoles dans un cadre protectionniste, les grandes entreprises ont besoin de l’appareil diplomatique, militaire et policier d’une puissance dite publique pour défendre leurs intérêts.

Penser l’alternative

Face au sinistre sort que nous réservent libre-échange et protectionnisme, il nous est nécessaire de penser l’alternative, de proposer des stratégies d’action directe et de long terme pour se réapproprier l’économie dans un nouveau cadre ; celui d’une production indexée sur les besoins des populations.

Depuis le début des années 1990, les organisations environnementales, ouvrières et paysannes du Nord comme du Sud – et le mouvement communiste libertaire en leur sein – ont lutté et luttent contre le libre-échange et la dérégulation des normes sociales et environnementales entraînée par la dérégulation des marchés. Mais aujourd’hui, alors que les discours protectionnistes s’attaquent à la dérégulation des marchés sans remettre en cause le capitalisme, il faut continuer nos luttes et s’opposer fermement aux différentes formes que prend le capital.

Cependant, être audible auprès des travailleurs et des travailleuses menacés par les plans de licenciement et les délocalisations, et qui prêtent une oreille attentive aux politiciens bourgeois dès qu’ils invoquent le protectionnisme, reste une nécessité. Il est crucial que les mouvements sociaux affirment clairement, avec leur propre vocabulaire, que l’alternative au libre-échange, c’est l’autonomie productive.

L’autonomie productive…

L’internationale paysanne Via Campesina a indiqué cette voie dès 1996, en définissant le concept de « souveraineté alimentaire » : chaque région du monde doit être en mesure de se nourrir par elle-même, sans se placer sous la dépendance des multinationales de l’agrobusiness. Celle-ci s’oppose donc radicalement à l’agriculture d’exportation, aux semences appartenant à des entreprises privées, à l’accaparement des terres, aux monocultures, à l’impérialisme ; lui préférant des productions locales, sous le contrôle des paysans et de la population. Les échanges internationaux doivent être circonscrits aux produits dits exotiques. Rien de ce qui peut être produit localement ne saurait être importé de l’autre bout du monde. Les ultralibéraux ont accusé le concept de « souveraineté alimentaire » d’aggraver la faim dans le monde et d’être protectionniste. Il a au contraire été le ciment internationaliste des luttes paysannes du Sud comme du Nord.

En raison de la triple catastrophe sociale, écologique et démocratique à laquelle mène le libre-échange, nous disons que les mouvements sociaux du monde entier peuvent aujourd’hui converger dans la logique d’« autonomie productive » de chaque région du monde. Cette autonomie productive va dans l’intérêt des peuples menacés par le dumping social et les délocalisations, et dans l’intérêt des peuples que le libre-échange a condamnés à la dépendance économique.

Pour arriver à l’autonomie productive on peut l’expérimenter dès maintenant. Par exemple en s’investissant dans les magasins de producteurs et productrices, coopératives ouvrières, associations de distribution et de services.

Aujourd’hui l’extrême droite tente un ravalement de façade écologiste en promouvant le localisme, en cultivant les sentiments particularistes des franges petite-bourgeoises et rurales de la population. Le développement de l’autonomie productive lutte également contre ce localisme réactionnaire. Loin d’aller à rebours du développement de l’interdépendance entre les peuples, il vise plutôt à stimuler ces solidarités et à leur fournir un cadre qui ne soit ni libéral, ni réactionnaire, mais authentiquement internationaliste.

La relocalisation des productions est une nécessité. Cela ne signifie pas une fantasmagorique « autarcie », mais des circuits d’échange courts, et la limitation des échanges longs à ce qui ne peut être produit localement. Enfin cette notion d’autonomie productive fait écho à la notion d’autogestion par les travailleuses et travailleurs, et à celle de planification démocratique.

Un triple enjeu stratégique

La notion d’autonomie productive implique un triple enjeu stratégique.

Dans un premier temps elle suppose une action directe contre le capital, visant à réduire la production aux stricts besoins des populations locales, et donc de rompre avec le productivisme. Cette réduction en entraîne mécaniquement une deuxième, celle du temps de travail, et donc une troisième : celle des profits. C’est pourquoi l’autonomie productive de chaque région du monde entrave les intérêts des capitalistes. Elle ne peut advenir que contre eux, sous la pression des peuples et sous le contrôle des travailleuses et des travailleurs.

Si cette autonomie ne saurait-être une stratégie suffisante face au capital, et se doit d’être pensée dans sa complémentarité avec les autres fronts de luttes et stratégies d’émancipation des mouvements sociaux, elle présente un intérêt de long terme. Elle est une étape essentielle dans le long processus vers le socialisme. L’autonomie productive, brisant l’opposition travail/capital par des pratiques de socialisation et de démocratie directe, va dans le sens de l’auto-organisation des travailleuses et travailleurs, et d’une démocratie authentique.

Ce n’est que dans ce cadre que l’on pourra rompre avec l’économie de marché, avec le productivisme, et faire vivre le socialisme.

L’autonomie productive que nous défendons ne relève ni du protectionnisme ni du libre-échange. Elle préfigure une réorganisation fédéraliste de l’économie sous le contrôle des travailleuses et travailleurs, seule à même de circonscrire les flux à leur stricte nécessité, en équilibrant la gestion des ressources et les besoins particuliers des populations.

La notion d’autonomie productive est aussi une occasion de s’interroger sur les modes de production que l’on souhaite : doit-on conserver un système industriel ou réduire drastiquement les interdépendances entre les lieux de productions ; cette réduction d’interdépendances est-elle faisable dans tous les secteurs industriels ?

Cette alternative porte un militantisme internationaliste défendant l’égalité sociale, écologique et démocratique à l’échelle planétaire.

 
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