Ier congrès de l’UCL (Fougères, 28-30 août 2021)

La lutte antiraciste est une lutte politique et sociale




Faire reculer le racisme dans la société, c’est d’abord faire reculer les discriminations et les dominations qui font système. Pour quel but final, avec quelles méthodes, quels partenaires, quelles revendications communes ? À la pratique de solidarité et d’action au long cours sur ce terrain, il faut adosser une visée stratégique.


Précision : ce texte n’aborde pas les questions du colonialisme et de l’impérialisme français, abordées ailleurs par l’UCL, et se concentre sur la situation hexagonale.


En France, en ce début de XXIe siècle, les discriminations à l’embauche ou au logement sur la base d’une physionomie, d’un patronyme ou d’un domicile sont toujours de mise. Le contrôle au faciès fait toujours partie du quotidien, mais aussi les violences quotidiennes pouvant aller jusqu’au meurtre. Plusieurs enquêtes récentes permettent d’en mesurer l’ampleur.

La réalité des discriminations racistes en France

  • Sur le marché du travail : pour un même emploi, une ou un travailleur de profil européen a quatre fois plus de chances d’avoir accès à un entretien d’embauche qu’une ou un travailleur de profil non européen (Insee, 2014) ; 52,9 % des personnes non blanches se sentent victimes de discrimination dans le monde professionnel (enquête « Accès aux droits » vol. 3, Défenseur des droits/OIT, 2017) ;
  • Sur le marché du logement : les personnes ayant un nom à consonance arabe ou africaine ont respectivement 27 % et 31 % de chances en moins d’obtenir un premier rendez-vous avec un bailleur privé (Téo 1, cité par le Défenseur des droits). Globalement, les personnes non blanches ont 5 fois plus de chance d’être victimes de discrimination au logement (enquête Accès aux droits vol. 5, Défenseur des droits, 2017) ;
  • En matière de logement social : à situation égale, dans le parc social, les candidates de profil européen ont près de 50 % de chances d’obtenir satisfaction au bout d’un an, contre 15% pour les autres (Insee, 2014) ;
  • Le contrôle au faciès ne faiblit pas : les personnes perçues comme noires ou arabes subissent en moyenne trois fois plus de contrôles policiers que les personnes blanches. C’est jusqu’à 20 fois plus pour les hommes jeunes perçus comme noirs ou arabes. Les contrôles sont également plus violents : 3 fois plus d’insultes et de violences rapportées par des hommes racisés, par rapport à la moyenne (enquête « Accès aux droits » vol.1, Défenseur des droits, 2017) ;
  • 50 % des immigrées et/ou de leurs enfants se déclarent victimes de discrimination contre 10 % du reste de la population (enquête Trajectoires et origines (Téo 1), Ined, 2016) ;
  • Toutes les minorités ne subissent pas le racisme de la même façon, bien qu’il y ait une base commune d’exclusion du corps national.
  • Le racisme ordinaire reste très présent en France. Il est pratiqué aussi bien par des membres des classes aisées que par des membres des classes populaires

Force est donc de constater que si les statistiques ethniques sont prohibées par la législation française, il existe déjà des outils de mesure des discriminations racistes. Cependant un outil de ce type manque actuellement pour évaluer les inégalités au sein des entreprises (métiers, salaires, évolutions de carrière), alors qu’il existe par exemple pour les inégalités femmes-hommes. Une réflexion sur le sujet serait légitime, à condition qu’elle évite deux écueils : fournir au patronat un prétexte de fichage des salariées ; assigner les salariées à des catégories figées.

Les fondements

En France, le racisme a deux sources principales, déjà identifiées dans le Manifeste de l’UCL :

  • le double héritage de l’esclavagisme et du colonialisme, qui non seulement marque encore les imaginaires, mais a des conséquences en termes de discriminations et d’inégalités aujourd’hui que ce soit pour les personnes issues de l’immigration postcoloniales ou dans les territoires encore colonisés par la France (Antilles, Kanaky…) ;
  • la volonté des fractions conservatrices et réactionnaires des classes dirigeantes (qu’elles soient politiques, économiques, médiatiques, intellectuelles et religieuses) de faire de la population blanche et de culture chrétienne la seule légitime pour former le « corps national » français. Là encore cela se traduira par des inégalités et des discriminations pour les personnes ne correspondant pas à ces critères.

La récurrence des crimes

Enfin, le nombre important d’attentats racistes ces dernières années doit alerter : on peut citer en France les attentats antisémites de l’école Ozar Hatorah (2012) et de l’Hyper Cacher (2015), mais aussi à Bruxelles l’attentat du musée juif de Belgique (2014), en Allemagne l’attentat de Halle-sur-Saale (2019), ou celui de Pittsburgh aux États-Unis (2018). Mais aussi les attentats envers des mosquées qui se sont multipliés ces dernières années, ou encore les projets avérés d’attentats d’extrême-droite qui ont été mis au jour.

Il est important de noter que les attentats racistes commis dans d’autres pays portent souvent la marque de théories racistes françaises (théorie du « grand remplacement » de Renaud Camus...), comme ce fut le cas lors des attentats islamophobes de Christchurch et d’El Paso en 2019.

Finalités du combat antiraciste

Le système de domination raciste est historiquement et socialement construit. Il peut donc disparaître.

La visée finale du combat communiste libertaire en la matière, c’est une société débarrassée de tous les processus de domination et de hiérarchisation raciale, qu’ils soient explicites à travers la colonisation, les lois racistes ou le mythe du corps national, ou plus implicites à travers les processus de domination, d’exclusion et de discrimination à tous les niveaux de l’organisation sociale.

Contre les discriminations religieuses, l’UCL revendique une laïcité qui garantisse la liberté de culte et la liberté de conscience, et non la laïcité sélective de l’extrême droite, dévoyée pour opprimer la minorité musulmane.

La stratégie d’action

La stratégie de l’UCL consiste à saper la conception discriminante du « corps national » français, en en détachant, progressivement, la population majoritaire qui peut s’y identifier. Il s’agit de la gagner à la solidarité avec les minorités en lutte contre les discriminations, par les luttes collectives à travers les différentes composantes du mouvement social.

Il est trois terrains d’intervention principaux pour cela :

  • Dans le mouvement syndical

C’est le mouvement syndical qui, numériquement, organise le plus de travailleuses et de travailleurs racisées.

Il le fait sur une base de classe, mais souvent également en intégrant des thématiques qui leur sont spécifiques : contre le retrait abusif de leur badge à des salariés musulmans des Aéroports de Paris, le soutien aux droits des personnels antillais, guyanais et réunionnais (AGR) dans les services publics, le soutien aux « chibanis » en lutte pour leurs droits à la retraite à la SNCF, l’aide à la régularisation des sans-papiers dans tous les secteurs…

Cette articulation des revendications générales et des revendications spécifiques correspond à une démarche intersectionnelle de fait, même si elle n’est pas formulée ainsi.

Le syndicalisme de lutte est donc un espace primordial pour agir ensemble, et il faut y pousser à s’emparer davantage de la question des discriminations racistes au travail. Le Forum syndical antiraciste de mai 2019 a été un moment positif en ce sens.

Pour que le syndicalisme soit davantage à l’image du prolétariat, il faut également, en son sein, continuer à promouvoir les travailleuses et travailleurs racisées aux tâches de coordination et de représentation. Il faut aussi y admettre des espaces de discussion dédiés, en non-mixité à condition que la demande vienne des intéressées.

  • En soutenant les luttes et les contre-pouvoirs antiracistes

Les luttes antiracistes sont riches d’organisations politiques ou de contre-pouvoirs, qui vont des collectifs de sans-papiers aux organisations afro-féministes en passant par les comités vérité et justice. En plus de réaliser un véritable travail de fond et d’organisation de terrain, ces organisations ont également le mérite de donner une plus grande visibilité aux questions antiracistes, en obligeant toute la société à se positionner. L’UCL apporte sa solidarité et surtout son soutien, humain et matériel, aux luttes antiracistes et à la construction de contre-pouvoirs antiracistes pérennes. Notamment, mais de façon non exhaustive :

  • les luttes contre le caractère systémique des violences policières, pouvant aller jusqu’au meurtre, contre les minorités racisées, notamment noire, arabe et rrom ;
  • les luttes des sans-papiers notamment pour leur régularisation ;
  • les luttes contre les inégalités racistes dans les institutions (par exemple médicales, scolaires…).

L’UCL pourra également participer à questionner les représentations culturelles des minorités dans la société.

  • Au sein de l’UCL

Au sein de l’UCL, notre objectif doit être de permettre au maximum l’inclusivité des personnes racisé.es et, à l’inverse, de sanctionner les comportements racistes dans l’organisation .

Afin de permettre l’inclusivité de l’organisation aux personnes racisé.es (ou perçues comme telles) nous rappelons notre défense absolue des outils de non-mixité et la possibilité de mise en place de tels outils si les personnes concernées en expriment le besoin

Des enquêtes, des analyses et des réflexions doivent être menées pour questionner la sociologie de l’organisation et afin de trouver des pistes d’amélioration afin que l’UCL soit plus accessible, inclusive et représentative des personnes victimes de l’oppression raciste.

Le travail de réseau, d’alliance, de liens en général avec les organisations et collectifs composé.es de personnes vivant directement le racisme et s’organisant pour s’en émanciper est aussi essentiel afin de participer à décloisonner la sociologie de l’organisation et l’ouvrir à plus de mixité.

Un antiracisme matérialiste

Comme l’indique sa stratégie d’action, l’Union communiste libertaire ne pratique pas un antiracisme moral ni libéral : être individuellement vertueux (« travailler sur soi », « déconstruire son regard », etc.) c’est bien ; agir collectivement pour l’égalité réelle, c’est mieux.

L’antiracisme de l’UCL est un antiracisme matérialiste, qui marche sur deux jambes. D’une part, il rappelle que le racisme est un instrument de division des classes populaires, pour solidariser le « corps national » autour de l’État et de la classe dirigeante ; c’est pourquoi le combat antiraciste, vital pour la cohésion du prolétariat, a une dimension de classe.

D’autre part, il pointe que le racisme est un système qui a son autonomie propre ; il ne disparaîtra pas « naturellement » avec le capitalisme et les classes sociales ; son abolition requiert donc un combat spécifique et politique.

L’expression publique de l’UCL

Divers, le prolétariat subit des offensives cherchant à le fracturer. Ce qu’attisent les courants racistes, antisémites et islamophobes tout comme les fondamentalismes religieux. Ils peuvent compter sur un racisme d’État de plus en plus décomplexé. Et c’est bien là que réside le plus grand danger de division.

Face à cela, une campagne idéologique d’ampleur tente depuis plusieurs années de renvoyer dos à dos les promoteurs des discriminations raciales et les courants antiracistes, dans le but évident de disqualifier ces derniers. L’UCL dénonce et combat cet amalgame qui met sur le même plan celles et ceux qui luttent pour l’égalité et ceux qui renforcent les dominations.

Le vocabulaire du combat antiraciste a certes été bouleversé. De nouveaux usages sont apparus. Pour l’UCL, l’essentiel est de mettre en lumière et en avant la lutte contre les discriminations réellement existantes.

  • Il faut réaffirmer qu’être « racisée » n’est pas un état donné une fois pour toute : on tomberait dans l’essentialisation. C’est un processus discriminatoire lié à la construction d’un « “corps national” autour d’une identité définie comme “blanche et chrétienne” » comme le dit notre Manifeste ;
  • Si dans son expression publique l’UCL utilise le mot « race », c’est avec des guillemets et en précisant qu’il s’agit d’une construction sociale, car une bonne partie de la population comprend le mot race au premier degré (comme réellement existante, biologiquement ou culturellement) ;
  • Aujourd’hui les mots de « privilège blanc » sont utilisés dans le débat public : les motivations de celles et ceux qui les emploient peuvent diverger de notre conception du combat antiraciste. Mais on ne peut écarter que par cette expression ce sont les effets matériels du racisme qui sont visés et dont la spécificité est trop souvent niée.

Nous ne pouvons que saluer les mobilisations de masse qui les dénoncent. Car plus que les mots, ce sont bien ces faits que l’UCL estime nécessaire de mettre au premier plan et de combattre, et ce à partir de l’ancrage de classe qui est le sien. Et c’est bien cela que nous privilégions dans notre expression.

Périmètre d’alliance

Pour mener cette politique, l’UCL agira aux côtés des associations qui partagent l’ambition d’un antiracisme de classe et politique (collectifs de sans-papiers, FUIQP, ATMF, FTCR, ACTIT, Acort, Comité Adama, JJR), mais aussi des structures syndicales, politiques et associatives engagées dans la lutte antiraciste : CGT, Solidaires, CNT, CNT-SO, FSU… ; Fasti, Gisti, Resf, Mrap, LDH…

Des revendications structurantes

Avec son expression propre, l’UCL fait siennes ces revendications du mouvement antiraciste.

Économiques :

  • régularisation de toutes et tous les sans-papiers (« des papiers pour tous ou plus de papiers du tout ) ;
  • liberté de circulation et d’installation (contre le mythe de l’invasion et du grand remplacement).

Politiques :

  • droit de vote pour les étrangères et les étrangers résidant en France (faisant prévaloir la citoyenneté sur la nationalité) ;
  • abolition de la double peine (prison + expulsion du territoire) pour les étrangères et étrangers condamnées ;
  • abolition de la rétention administrative pour les étranger-es, fermeture des CRA
  • abolition des contrôles d’identité (et d’ici là des contrôles au faciès), désarmement de la police, suppression de la BAC
  • autodétermination des territoires colonisés par la France
  • fin de la Françafrique ;

Culturelles :

  • restitution aux pays d’origine du patrimoine volé durant la période coloniale ;
  • insertion dans l’espace public (noms de rues, statuaire…) de figures révolutionnaires, anticolonialistes et émancipatrices, en lieu et place de figures réactionnaires, militaristes et colonialistes ;
  • reconnaissance du travail forcé dans les colonies françaises comme crime contre l’humanité et droit aux réparations.
 
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