Expo photo : « Les femmes et la marge »




Dans le cadre du festival Femmes au pluriel organisé par la communauté de communes du Val d’Ille (Ille-et-Vilaine), le photographe Yann Lévy nous propose une exposition intitulée Les femmes et la marge. A travers dix-huit tirages, l’exposition nous transporte de la Roumanie à Paris, en passant par la Palestine et Cuba, et nous invite à rencontrer des femmes d’horizons culturels et sociaux à priori sans points communs.

C’est aux limites de l’univers social que chacune se confronte, volontairement ou non, limite souvent voulue par l’être humain mâle, à celles qu’imposent l’arbitraire politique, la ségrégation sociale (culturelle ou non), et bien sûr le genre.

Si des photos de 2010 ouvrent l’exposition, des clichés plus anciens, dont certains sont visibles dans l’exposition « Marges » et l’ouvrage éponyme [1] , trouvent aussi leur place et prolongent ici la thématique de la marge sous un angle nouveau. Cette pluralité des sources laisse apparaître naturellement des contrastes forts. Sans jamais heurter, les portraits nous surprennent à chaque fois. L’aliénation, la domination et ce qu’elle voudrait effacer, l’humain, ne sont jamais là où nous les attendons, ni dans les configurations de pouvoir dont nous sommes coutumiers. Le rapport de forces est certes marqué, et ne fait pas l’objet d’une quelconque euphémisation, notamment la sexisation, la relégation sociale.

Mais dans le même temps, dans ces portraits, très aboutis visuellement, la dignité humaine semble remporter une victoire, touchante et modeste, mais qui en annonce d’autres plus décisives. Depuis le sourire d’une femme musulmane, voilée, dans une clinique de campagne en Palestine, jusqu’aux performeuses tatouées du cabaret burlesque Kisses cause trouble, qui s’expriment ouvertement dans la marge, en présentant un corps voulu « champ de bataille », les femmes que nous croisons ici laissent devant l’objectif s’exprimer leur humanité d’une manière qui se joue du dévoiement et de la réification qu’inflige la culture bourgeoise dominante. L’humain échappe à cette dernière et la défie. Quant au visage de cette petite fille, aperçue dans le couloir des locaux d’une association, en Roumanie, qui scolarise des enfants Rrom, c’est peu dire qu’il illumine de son sourire la salle de l’exposition.

Walter Benjamin voyait l’image comme une dialectique à l’arrêt, un instantané de la réalité sociale en mouvement. Le travail de Yann Levy répond à cette exigence : une perception aiguë des mécanismes sociaux à l’œuvre jusqu’au niveau de l’individu parcourt son travail comme un fil rouge. Mais ce qui rend ses photographies exceptionnelles, c’est qu’il associe cette constante acuité critique avec un regard d’une grande douceur envers l’humain. Cette qualité, rare, trouve une illustration brillante dans cette exposition

Seb B (AL Rennes)

[1Yann Levy, Marges, Paris, Libertalia, 2009.

 
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