politique

Attentats : Après le sang et les larmes, les solidarités




Les attentats de Paris, ont suscité une immense vague d’émotion et ont plongé la société dans la peur. Pour aller de l’avant, il est nécessaire de ne pas céder aux sirènes du militarisme et du sécuritaire mais plutôt de retisser des liens et de défendre les solidarités malgré la répression.

Les attentats du 13 novembre ont causé un immense choc dans la population et ont suscité chez nous tous une vague de sentiments mêlés : peur légitime d’être à nouveau frappés, incompréhension face à la haine, impression d’être démunis, colère viscérale et envie spontanée de revanche.

L’émotion est vive mais plus les jours passent et plus il semble nécessaire de se poser pour réfléchir et essayer de comprendre : derrière l’apparente évidence de l’affrontement du « bien » et du « mal », la situation est complexe et, surtout, les réponses sont loin d’être aussi claires qu’on voudrait nous le faire croire. Il n’est bien sûr pas question de trouver des excuses aux exaltés qui ont froidement assassiné 130 personnes mais nous ne pouvons pas pour autant nous contenter des solutions toutes faites qu’on nous propose.

Hommage au carrefour rues Bichat rue Alibert — Le Petit Cambodge, lieu d’une des fusillades meutrières le 13 novembre 2015
cc Jean-François Gornet

La première étape consiste alors à organiser le flux des informations et des images pour tâcher de saisir exactement la signification de ce qui s’est passé et d’en démêler les causes. Mais il faut aussi analyser les conséquences politiques de ces attentats et de se donner les moyens de prendre clairement position dans le tumulte des discours. Il faut enfin réfléchir aux réponses à apporter à toutes celles et tous ceux qui ne se satisfont pas de l’inaction et veulent agir pour faire progresser la solidarité face à la peur.

Un acte de propagande spectaculaire

À travers les attaques coordonnées du 13 novembre, c’est toute la stratégie de Daech qui s’exprime : en lançant plusieurs commandos frapper simultanément Paris et Saint-Denis, ­l’objectif premier de cette organisation politico-militaire d’inspiration salafiste était de réussir un acte de propagande spectaculaire, dont les effets auraient été décuplés si les attentats-suicides avaient touché en direct le public du Stade de France. Les djihadistes de Daech veulent ainsi montrer qu’ils peuvent frapper où ils veulent et quand ils veulent.

Au-delà de la démonstration de force à visée interne et à visée externe, les fusillades et les explosions sont destinées à attiser les conflits au sein de la société et à précipiter le ralliement de franges jusque-là réticentes de la population à une mobilisation va-t-en-guerre. L’effet secondaire recherché par les terroristes est d’accentuer en retour la stigmatisation dont est victime la minorité musulmane de la population et de précipiter la radicalisation d’une part croissante de musulmans déclassés et désespérés.

grafitti racistes sur une mosquée, à Besançon.

En choquant par leur violence, les militants de Daech espèrent fracturer la société et approfondir le divorce entre la minorité musulmane et le reste de la société pour grossir le vivier de recrutement pour le djihad.

Enfin, comme l’ont noté de nombreux commentateurs, ces attentats sont une réponse directe à l’intervention militaire de l’armée française contre Daech : l’organisation est attaquée par l’État français en Syrie donc riposte en utilisant les méthodes qui lui sont propres, à savoir l’usage d’une violence extrême contre la population civile et le recours au terrorisme dans une logique de guerre de partisans poussée à l’extrême, jusqu’au suicide.

Car, oui, la France « est en guerre » mais pas simplement depuis vendredi soir ni simplement depuis les attentats de janvier : les gouvernements successifs, sans jamais demander son avis à la population, ont depuis des années engagé l’armée française dans des interventions en Afrique ou au Proche-Orient, dont les objectifs ont toujours été de maintenir des équilibres géopolitiques ou de préserver des intérêts stratégiques.

À l’opération Chammal lancée en Syrie en septembre 2014 font ainsi écho l’opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne ou ­l’opération Sangaris en République centrafricaine.

Au total, ce sont plusieurs milliers de militaires français qui sont mobilisés sur des « opérations extérieures », qu’on appelle plus communément des guerres… Pointer ainsi la politique impérialiste de l’État français comme une cause des attentats du 13 novembre ne revient pas à déresponsabiliser les auteurs des attentats ni à relativiser l’horreur de leurs actes mais à mettre en lumière d’autres responsabilités indirectes.

L’interventionnisme militaire tous azimuts (ici au Sahel, en 2012) n’a pas enrayé l’expansion du djihadisme, au contraire.

Cette réflexion nous oblige également à ne pas nous contenter de la nécessaire critique des idéologies religieuses, dont la force pernicieuse est malheureusement capable de susciter une exaltation allant jusqu’au meurtre et au sacrifice de soi. Nous ne devons pas renoncer à mener cette critique mais nous devons également regarder en face le malaise social que cette situation traduit : les assassins téléguidés par Daech ne sont pas des soldats syriens ou irakiens envoyés en France en mission commandée, ce sont des Français qui ont grandi en France, s’y sont radicalisés et ont tourné leurs armes contre une population qu’ils connaissaient.

Au-delà des parcours individuels et des trajectoires personnelles, nous avons clairement affaire à un phénomène social : que des jeunes musulmans pas forcément pratiquants soient ainsi séduits par une forme extrême de djihad est révélateur de la relégation sociale qu’ils subissent et de l’absence d’autre mode d’affiliation valorisant que la société leur propose.

À cet égard, il faudrait également pointer le rôle de la prison comme espace de radicalisation et de réintégration dans un groupe criminel. En France comme en Irak, ce sont en effet les centres d’enfermement qui permettent aux djihadistes de renforcer leurs réseaux et la solution du tout répressif privilégiée actuellement par le gouvernement français est d’ores et déjà vouée à l’échec.

Hypocrite guerre contre le terrorisme

Dès le week-end suivant les attentats, le gouvernement était sur le pied de guerre pour annoncer, d’une part, la mise en œuvre d’une batterie de mesures sécuritaires et, d’autre part, une intensification des interventions militaires en Syrie.

Depuis lors, ce tournant militariste ne s’est pas démenti et la Russie, qui encore hier était infréquentable en raison de sa politique expansionniste et de ses relations douteuses avec Bachar Al-Assad, est devenue une alliée choyée par le gouvernement français. L’État islamique doit être combattu, cela ne fait aucun doute, mais les bombardements américains, russes ou français ne peuvent au mieux permettre que de désorganiser militairement Daech et de l’empêcher d’étendre son emprise sur la région.

Encore une fois, c’est la population civile qui risque par ailleurs de payer le plus lourd tribut dans cette guerre... Pilonner Daech n’apporte aucune solution à long terme et les peuples de Syrie ou ­d’Irak ne peuvent espérer aucune amélioration durable de leurs conditions de vie si la question de la reconstruction et de l’instauration d’un nouveau pouvoir politique n’est pas clairement posée.

Pire, ces « frappes » risquent fort d’aggraver la situation en nourrissant le ressentiment suscité par l’intervention de la coalition et en poussant encore plus de jeunes déboussolés dans les bras de l’État islamique.

Il n’y a aucune solution purement militaire au défi lancé par Daech et ce ne sont pas les bombardements de belligérants étrangers qui peuvent réellement résoudre le problème. Cela est d’autant plus vrai que la guerre déclarée au terrorisme est marquée par l’hypocrisie : tandis que l’État français assure tout faire, dans le cadre de la coalition, pour mettre en pièces Daech, il continue d’entretenir des relations commerciales et diplomatiques avec la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, qui figurent, de façon plus ou moins discrète, parmi les principaux soutiens économiques et idéologiques de l’État islamique.

combattantes YPG — première ligne face à Daesh. 40% des 65.000 YPG sont des femmes.

Dans le même temps, la France ne fait pas grand-chose pour soutenir celles et ceux qui luttent sur le terrain face à Daech, au premier rang desquels figurent les unités de protection kurdes du Rojava (les YPG), et maintient le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ainsi que les organisations qui en sont proches, sur la liste des organisations classées comme terroristes par l’Union européenne. La solution, pour éradiquer Daech, c’est non seulement de permettre aux unités combattantes locales de mettre en déroute les troupes djihadistes mais également de soutenir le projet de reconstruction socialiste et démocratique mis en œuvre au Kurdistan syrien.

Si le gouvernement français ignore ainsi les forces progressistes kurdes, c’est parce qu’il entend participer au grand jeu des puissances impérialistes dans la région et ne veut froisser ni la Turquie (qui, d’un côté, fait mine de combattre Daech mais, de l’autre, laisse passer en Syrie des apprentis djihadistes du monde entier), ni ­l’Iran (qui subventionne des milices chiites en Irak pour lutter contre l’État islamique), ni la Russie ou les États-Unis, qui combattent Daech pour défendre leurs intérêts régionaux.

Surenchère sécuritaire

À ces annonces d’interventions redoublées en Syrie répond l’application, sur le plan intérieur, d’un ensemble de mesures censées restreindre les libertés publiques pour renforcer la sécurité du pays. Le gouvernement qui, après les attentats, garde en tête les élections régionales et ne veut surtout pas ouvrir de boulevard à la droite et à l’extrême droite, se livre ainsi à une dramatique surenchère sécuritaire et reprend sans se poser de question les propositions les plus répressives.

Après le 11 Septembre, de nombreuses voix s’étaient élevées en France pour dénoncer le discours va-t-en-guerre de l’administration Bush et pour mettre en garde contre les lois d’exception votées par le Congrès des États-Unis.

Aujourd’hui, les mêmes causes produisent les mêmes effets et les rares voix discordantes sont malheureusement noyées dans le concert des discours militaristes et sécuritaires : à l’Assemblée nationale comme au palais du Luxembourg, les députés et les sénateurs ont ainsi voté presque comme un seul homme la prorogation de l’état d’urgence.

Ce dispositif inventé pendant la guerre d’Algérie permet aux préfets d’instaurer un couvre-feu (comme l’a déjà appliqué le préfet de l’Yonne dans un quartier populaire de Sens), d’ordonner la fermeture de lieux de rassemblement et d’interdire des réunions « de nature à provoquer ou à entretenir le désordre ».

Le Raid à Saint-Denis, le 18 novembre 2015.

Le régime des assignations à résidence a d’ailleurs été renforcé dans le projet de loi prorogeant l’état d’urgence de trois mois : peut désormais être assignée à résidence par le ministre de l’Intérieur « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ».

Dans le même temps, la direction générale de la police nationale (DGPN) a décidé d’autoriser les policiers à porter leur arme en dehors de leur service et la préfecture de police de Paris a pris une série d’arrêtés reconduisant de semaine en semaine l’interdiction de toutes les manifestations en région parisienne.

Si la mobilisation de solidarité avec les migrantes et les migrants du 22 novembre a pu se tenir dans ces conditions, c’est uniquement grâce à la détermination d’une poignée d’organisations qui ne peuvent se résoudre à taire leurs revendications sous prétexte d’état d’urgence.

L’arrêté d’interdiction touche en premier lieu les organisations syndicales, qui doivent à présent se donner les moyens de maintenir leur calendrier de mobilisation sous peine de se retrouver totalement désarmées face à des patrons dont l’état d’urgence ne refroidira pas les ardeurs antisociales.

Parmi les autres mesures sécuritaires discutées, on peut en relever un certain nombre qui sont directement extraites du programme du Front national : la déchéance de nationalité pour les criminels ou l’instauration de la présomption de légitime défense pour les policiers ont toujours été défendues par la famille Le Pen et sont maintenant reprises sans sourciller par le Parti socialiste au pouvoir.

Légitimation des préconisations du FN

La légitimation par le gouvernement des mesures répressives préconisées par le FN n’empêche par ailleurs pas les politiciens opportunistes de se livrer à une véritable surenchère raciste et xénophobe, assimilant musulmans et migrants à autant de terroristes en puissance.

Dès le soir des attentats, Philippe de Villiers n’a ainsi pas hésité à dénoncer une prétendue « mosquéïsation » de la France tandis que les ténors de la droite et l’extrême droite multipliaient les amalgames.

Ce climat de haine donne des ailes aux groupuscules identitaires qui ont tenté d’apparaître sur différents rassemblements en déployant des banderoles et en allumant des fumigènes. Heureusement, la réaction populaire a, la plupart du temps, réussi à les mettre en déroute, comme à Lille où une poignée de fascistes a dû battre en retraite sous les huées et les sifflets des personnes rassemblées pour l’occasion.

À Pontivy, dans le Morbihan, l’extrême droite bretonne a en revanche réussi à organiser une manifestation qui s’est soldée par le passage à tabac d’un homme d’origine maghrébine et l’agression de plusieurs journalistes et militants antiracistes.

La manifestation de l’extrême droite bretonne à Pontivy, le 14 novembre.

À la haine et à la peur que professent les réactionnaires de tout poil, nous devons plus que jamais opposer la solidarité et l’action collective : la réponse aux attentats, ce n’est ni le repli sur soi, ni la militarisation de la société mais c’est, au contraire, l’entraide et la justice sociale.

À contre-courant des discours va-t-en-guerre et sécuritaires qui risquent de pétrifier la société, nous devons plus que jamais faire entendre une voix discordante et œuvrer au regroupement de toutes celles et tous ceux qui refusent l’escalade.

La tâche est immense tant l’émotion suscitée par les attentats semble pour l’instant paralyser la réflexion mais nous ne devons pas baisser les bras : auprès de nos ami-e-s, sur les marchés, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers, dans nos structures syndicales ou associatives, nous devons sans relâche mener le débat pour dévoiler l’envers du décor des interventions militaires au Moyen-Orient et convaincre que la meilleure solution pour vaincre Daech consiste à soutenir les forces progressistes qui combattent sur le terrain, au premier rang desquelles figurent les milices du Kurdistan syrien.

Retirer le PKK de la liste des organisations terroristes établie par ­l’Union européenne serait un premier geste symbolique de soutien aux femmes et aux hommes qui luttent et parfois perdent la vie pour faire reculer le régime de terreur que cherche à instaurer l’Etat islamique.

Alors que l’État renforce son pouvoir, nous devons également convaincre que les dispositifs sécuritaires ne constituent en rien une solution à la progression du terrorisme et du fanatisme religieux : ce n’est pas en traitant les symptômes à coups de mesures répressives que l’on fera disparaître les causes du malaise social qui nourrit l’aventurisme djihadiste.

Ce sur quoi nous devons appuyer, c’est au contraire la nécessité de proposer d’autres expériences collectives, de renforcer les solidarités de quartier, le tissu associatif, les structures syndicales locales, etc. Bref, tout ce qui permet de vivre ensemble, de réfléchir ensemble et d’agir ensemble pour un monde débarrassé des inégalités et des oppressions.

Face à la résignation et à l’isolement, nous devons enfin proposer des perspectives de lutte pour que l’action collective ne demeure pas un vain mot.

Ces luttes sont en germe partout où les rapports de domination et d’exploitation prévalent sur les rapports de confiance et d’entraide. À nous de les faire fleurir pour redonner un sens à la solidarité et à l’émancipation.

Benjamin (AL Paris-Nord-Est)

vue du cortège l’AL à la manifestation du 29 novembre 2015 à Paris.
 
☰ Accès rapide
Retour en haut