Chili : Une grève générale massivement suivie




Le 13 août dernier, le Chili a connu sa première grève générale depuis la dictature. Appelée par la Confédération unitaire des travailleurs (CUT), elle a été suivie par 80 % des travailleur(se)s du public et du privé. Elle pourrait connaître des prolongements lors des commémorations et des mobilisations en mémoire de la résistance au coup d’État militaire du 11 septembre 1973.

« El paro général » (le blocage général) ; on en parlait depuis des mois au Chili. Depuis qu’Arturo Martinez, le secrétaire général de la CUT, la centrale syndicale majoritaire au Chili, l’avait évoqué, à l’occasion des manifestations du 1er mai. El paro et pas « la huelga », la grève, tant le mot est tabou pour les réformistes. Il y a un an, le Parti communiste a lancé une campagne en faveur de la grève générale. A l’extrême gauche, d’autres organisations comme le Movimiento de la izquierda revolucionaria (MIR, Mouvement de la gauche révolutionnaire, guévariste) et nos camarades communistes libertaires du Congreso de unificación anarco-comunista (CUAC, Congrès d‚unification anarcho-communsite) ont eux/elles aussi largement contribué à populariser cette idée.

Le PS dans la tourmente des affaires

Si le Chili n’a pas connu l’effondrement économique et financier de l’Argentine, sa population est touchée de plein fouet par la politique du gouvernement de Ricardo Lagos (Parti socialiste allié aux démocrates chrétiens) qui se traduit par un chômage, une précarité massive et un appauvrissement de la majorité des 5 millions de travailleuses et de travailleurs. Une population qui fait les frais des privatisations, du fardeau de la dette et autres recettes néolibérales.

La colère du peuple chilien est également dirigée contre une corruption qui touche toute la classe politique et éclabousse le gouvernement Lagos. Un gouvernement Lagos qui exerce le pouvoir en appliquant des lois et un modèle économique élaboré sous la dictature militaire de Pinochet. Les travailleuses et travailleurs se sont mobilisé(e)s très majoritairement contre la politique du patronat et du Parti socialiste qui est un serviteur aussi zélé que son homologue français des intérêts du capitalisme et de l’impérialisme. Au-delà des syndicats de travailleur(se)s d’autres secteurs se sont mobilisés comme les étudiant(e)s, les mouvements de femmes, les petits artisans, les chômeur(se)s et même... les footballeurs. Une grève générale revendicative mais aussi politique. En effet la CUT se bat pour une refonte du code du travail actuel élaboré dans les années 80 et taillé sur mesure pour les patrons. De même la gauche radicale milite pour mettre à bas la constitution du Chili élaborée par les militaires au pouvoir dans les années 80.

Public et privé dans la grève

Concrètement la grève a touché 80 % des travailleuses et travailleurs des secteurs public et privé. D’autres syndicats que la CUT y appelaient notamment dans le secteur privé. C’est chez les enseignant(e)s, les mineurs du cuivre, les personnels de santé et dans les transports que la grève a été la plus suivie. Dans ce dernier secteur, les chauffeur(se)s de taxi étaient parmi les plus mobilisé(e)s. Ils/elles sont soumis(es) à une autorisation renouvelable tous les 6 mois, autorisation qui fait l’objet d’une taxe qu’ils/elles ne peuvent plus payer du fait de la chute de leur activité. Aussi ils/elles en demandent la suppression.

Forte participation des camionneurs dont le syndicat est un bastion de la droite et s’était même mobilisé pour Pinochet au moment du coup d’État. Du fait du fort endettement de leurs entreprises 90 000 camionneurs se retrouvent actuellement sans travail.

Le 13 août a également été marqué par de très massives manifestations dans les grandes villes qui ont rassemblé près d’un million de personnes... ce qui n’est pas si mal sur un total de 5 millions de travailleur(se)s. Des travailleur(se)s, mais aussi de nombreux(ses) chômeur(se)s et étudiant(e)s. La police a durement réprimé les manifestations notamment à Santiago (200 arrestations, par ailleurs deux policiers ont été brûlés légèrement), la capitale.

Le centre de Santiago a été transformé en véritable champ de bataille, étudiant(e)s et travailleur(se)s renouant avec les méthode de lutte déjà éprouvées contre la dictature et obligeant la police anti-émeute à reculer sous une pluie de caillasses.

La presse chilienne parle d’une vingtaine d’arrestations dans le reste du pays. Á Calama dans le Nord du pays, près de la frontière bolivienne les mineurs du cuivre ont affronté physiquement les forces de police. Des mineurs qui se battent contre la privatisation intégrale de leur secteur d’activité. En effet, actuellement 40 % des mines restent contrôlée par l’État. Le reste est dans les mains de multinationales étatsuniennes, allemandes, françaises et japonaises. Lagos envisage de céder les 40 % de l’État au capitalisme étatsunien.

Pour mémoire, c’est le socialiste Salvador Allende qui avait entrepris la nationalisation des industries minières entre 1970 et 1973...

À Valparaiso la police quadrillait les quartiers populaires, ce qui du reste est assez fréquent. La question de la répression n’est pas posée seulement lors de mobilisations sociales, elle va croissante et pèse de plus en plus sur les mouvements populaires au Chili. Jamais à cours d’inspiration dans ce domaine c’est le Parti socialiste au pouvoir qui a pris l’initiative, il y a quelques mois de réorganiser la police politique de sinistre mémoire.

Orfèvre dans la provocation, le PS avait annoncé avant le 13 août qu’il soutenait la grève générale, estimant qu’elle n’était pas dirigée contre le gouvernement. Un PS aussi à l’aise dans le soutien que dans la répression des grévistes. Cherchez l’erreur.

Les rendez-vous de septembre

Près de 30 ans après la prise du pouvoir par les militaires, 17 ans après la dernière grève générale appelée par la CUT pour le retour à la démocratie, la mobilisation du 13 août marque un réveil des luttes sociales dans un contexte d’affaiblissement d’une classe politique discréditée par les scandales financiers. Reste à savoir quelles suites seront données à cette journée d’action de 24 heures.

Cette question des perspectives sera au cœur du congrès confédéral de la CUT qui se tient fin août et devrait voir resurgir les batailles internes entre la majorité confédérale proche du PS et de nombreuses puissantes fédérations (dockers, mineurs, ensei- gnant(e)s, santé) influencées par le Parti communiste.

Outre la CUT, forte de ses 640 000 adhérent(e)s, il va falloir également compter sur la force montante d’un mouvement alternatif rassemblant sur les quartiers et dans les régions, mouvements populaires associatifs et syndicaux et gauche révolutionnaire. Un mouvement qui, chose nouvelle commence à se coordonner à l’échelle de tout le Chili.

Si les réformistes ne sont pas disposés à aller au-delà d’une mobilisation de 24 heures, la protestation populaire contre la dictature du capital pourrait trouver un second souffle en septembre.

Dans toutes les grandes villes des coordinations de mouvements populaires préparent commémorations et mobilisations politiques et culturelles pour le 4 septembre (élection d’Allende le 4/9/1970) et le 11 septembre (coup d’état militaire le 11/9/1973). Une année à risque s’ouvre pour le gouvernement Lagos, pas assuré de se maintenir au pouvoir à l’issue des élections législatives de l’automne 2004.

CJ

 
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