Chronique de travail aliéné : Jean-Luc*, logisticien




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel, psychologue du travail.

<titre|titre="Même moi je suis du côté des grévistes !">

Le matin, dans la voiture, j’ai senti que ça ne passerait pas. Je ne savais pas trop pourquoi, mais je me sentais lourd, l’envie de dormir, le cerveau embrumé. Je me suis dit que c’était sans doute à cause du meeting que mon directeur organisait à 10 heures avec tout le personnel. Je ne m’était pas trompé : ça a été lamentable. Il a été nul. En communication, en tout… Il a mal vendu le truc, il faisait une tête de dix pieds de long… En cinq minutes c’était plié, et une heure après ils étaient tous en grève… Il faut dire qu’il a annoncé la suspension des augmentations qui avaient été promises il y a trois mois. Il est revenu sur tous les engagements donnés. C’est n’importe quoi de faire ça ! On s’engage et on revient dessus ! C’est du guignol ! Évidemment, quand ça tombe de la grande direction… Moi, à sa place, je me serais opposé et j’aurais mis mon poste en jeu. Évidemment, la CGT a mis tout le monde en grève. Une heure de débrayage en fin de poste : ça minimise les retraits d’heures de salaire et ça maximise les dégâts pour l’entreprise… Après on met deux heures à remettre les machines en route. À force on ne pourra plus travailler du tout : toutes les commandes seront en retard et ils garderont leur salaire ou quasiment. Ils peuvent tenir longtemps comme ça !

Le directeur a mauvaise mine, on ne le reconnaît plus. Il paraît qu’il arrive au bureau à 7 heures et qu’il reste très tard. Il part en dernier. Lui, ce n’est qu’un pion… Il ne peut plus avoir de confiance dans ses supérieurs. D’ailleurs je me demande qui exactement décide ça. Si on voulait fermer l’usine, on ne s’y prendrait pas autrement.

Le plus bizarre, c’est que moi-même, qui suis cadre de direction, je me retrouve du côté de la CGT. On n’a pas le droit de retirer ce qu’on a promis, surtout en ce moment, c’est chaud. Des usines j’en ai fermé deux, mais c’était différent, c’était en Angleterre. C’était plus franc du collier… Enfin, je voyais ça de mon point de vue, à l’époque…

C’est déroutant, et j’ai du mal à m’en remettre, mais là, même moi je suis du côté des grévistes ! Je n’ai plus qu’à faire comme mes amis. Ils me racontent qu’ils sont complètement désengagés, ils en font le minimum, ils attendent le parachute final et ciao !

• Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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