Cinéma : Taymor, « Frida Kahlo »




Un film, Frida de Julie Taymor, sorti en avril dernier puis un superbe livre d’art Frida Kahlo sorti chez Gallimard en novembre à un prix prohibitif - qui ne doit pas vous empêcher de le commander à votre bibliothèque - semblent vouloir témoigner d’un regain d’intérêt pour cette grande peintre mexicaine souvent mise de côté.

Il est vrai que Frida Kahlo cumulait les handicaps pour être présentable : métisse d’un père juif allemand et d’une mère indienne, mutilée par de multiples accidents, engagée auprès des surréalistes en art, du Parti communiste mexicain (PCM) puis de Trotsky en politique, partageant les maîtresses de son mari Diego Rivera et collectionnant les amants, cette iconoclaste lucide dérange.

Numériquement, l’œuvre de Frida Kahlo n’est cependant pas très importante : cent quarante-trois peintures, de format généralement réduit, dont deux tiers d’autoportraits. Ce qui pourrait passer pour du narcissisme est cependant vite contredit par la cruauté avec laquelle l’artiste s’enlaidit. Elle s’explique par de longs séjours à l’hôpital à la suite d’une poliomyélite contractée à l’âge de 6 ans, puis d’un terrible accident d’autocar dont une barre d’acier lui traverse le corps du flanc au vagin tout en brisant sa colonne vertébrale : « déflorée par un autocar » sera son verdict sans pitié, qui lui vaudra l’admiration des surréalistes. Frida Kahlo, qui dispose d’un miroir au-dessus de son lit, peint alors le seul sujet à sa disposition : sa propre souffrance. Elle entame ensuite des études de peinture et épouse son maître, Diego Rivera muraliste reconnu de 20 ans son aîné, avec qui elle professe des opinions révolutionnaires, jusqu’à changer son année de naissance de 1907 en 1910 en hommage à la révolution mexicaine. Entre exclusion du PCM, profession de foi anarchiste et sympathies pour la IVe Internationale naissante, Diego Rivera et Frida Kahlo offrent l’hospitalité à Trotsky qui deviendra vite l’amant de celle-ci, s’aventurant à pénétrer dans sa chambre à l’aide d’une échelle de corde…

Une vie libre

Cette liaison provoquera une première rupture avec un Rivera aussi jaloux que libertin lui même, et inspirera à Frida deux de ses plus beaux tableaux Les deux Frida et Autoportrait aux cheveux coupés où elle se représente dans un costume masculin trop grand, entourée des mèches sacrifiées… une provocation payante puisque Rivera l’épousera de nouveau 18 mois après leur séparation. Entre deux opérations qui la laissent plus mutilée encore, Frida Kahlo rencontre André Breton en 1939, lors de la visite que celui-ci effectue à Trotsky dans sa retraite mexicaine. Une première exposition à New York l’année précédente a commencé à donner une stature internationale à son œuvre et Breton s’enflamme pour les références aux danses macabres de l’art populaire mexicain, les « calaveras » qui parsèment les œuvres de l’artiste après deux fausses couches successives. Il décernera à Frida Kahlo un brevet de surréalisme que celle-ci réfute : « Je n’ai jamais fait de la peinture dans le but de faire de la peinture surréaliste. J’ai toujours peint ma souffrance quotidienne et même mes tableaux les plus bizarres ne sont qu’une chronique fidèle de ma vie, rien d’autre que cela ».

Breton propose alors à Frida Kahlo d’exposer à Paris, puis délaisse l’organisation de l’exposition reprise en main par Marcel Duchamp. Le succès est énorme. Picasso, Kandinsky, Miro… rendent hommage à cette artiste dont ils ignoraient l’existence, Le Louvre se porte acquéreur d’une toile. La période laisse cependant un goût amer à l’artiste qui rompt avec les surréalistes qu’elle n’hésite pas à appeler « ces salopes artistiques de Paris ».

Frida rentre au Mexique, de plus en plus handicapée, et se réinvestit dans le combat politique au sein du PCM où elle est réadmise en 1948, souhaitant produire une œuvre non plus entièrement personnelle, mais utile au Parti.

Sa première exposition personnelle au Mexique a lieu en 1953, où elle arrive en ambulance, abrutie de morphine, distinguant à peine ses amis dans le lit à baldaquin installé dans la salle d’exposition. Elle mourra l’année suivante, le 13 juillet 1954, libre comme elle avait vécu : « Avec joie, j’attends le départ. Et j’espère bien ne jamais revenir. »

A.Doinel

 
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