Colonialisme : Chirac Circus dans le Pacifique-Sud




Chirac a effectué au mois de juillet une tournée dans le Pacifique-sud qui se voulait triomphale, les indépendantistes ont su se rappeler à son bon souvenir.

Alors que tout avait été organisé pour assurer un triomphe à Chirac, son arrivée en hélicoptère à l’aéroport Magenta de Nouméa (Kanaky) le 23 juillet 2003 a surtout été l’occasion d’une démonstration de force des indépendantistes kanaks du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) et de l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et exploités).

10 000 manifestant(e)s arborant des drapeaux kanaks et corses, des banderoles dénonçant la politique coloniale et l’incarcération de José Bové [1] ont adressé des sifflets insolents à Chirac qui pouvait rêver meilleur comité d’accueil.

L’Union calédonienne (UC, composante du FLNKS) a ainsi rappelée ses revendications : application de l’Accord de Nouméa (1998) et respect de la collégialité au sein des institutions. La décolonisation restera une coquille vide tant que Jacques Lafleur du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la république, RPR local, colonialiste) sera le maître de la politique sur le « caillou ». Et bien qu’il ait annoncé son départ prochain, il y a fort à parier qu’il continuera à tirer les ficelles en coulisse. En mai 2002, nous soulignions déjà que l’Accord de Nouméa était apprécié de manière différente par les forces en présence, en fonction de stratégies politiques diamétralement opposées : Lafleur y voyait un ancrage définitif dans la République et le moyen de conserver sa mainmise sur l’économie et le pouvoir tandis que Wamytan (FLNKS) le considérait une « marche vers l’indépendance créée par les conditions d’un État associé qui ne dit pas son nom ».

L’Avenir calédonien, journal de l’UC évoque également la question du corps électoral. L’inscription sur les listes d’électeur(trice)s éphémères (les militaires et les fonctionnaires détaché(e)s par l’État) acqui(se)s à la présence française fausse les résultats des scrutins et les Kanak(e)s restent minoritaires sur une terre dont ils sont les premier(e)s habitant(e)s.

Ici c’est pas la France !

Le discours de Chirac place des Cocotiers à Nouméa témoigne de son habituel cynisme et d’un culot alliant une fausse bonhomie à l’amnésie. « Les Calédoniens ont retrouvé le chemin de la concorde », a-t-il déclaré. Des paroles purement électoralistes à la veille du renouvellement du Congrès qui constitue une forme de pouvoir législatif.

Il y a plus de 15 ans Chirac alors premier ministre ordonnait l’assaut de la grotte d’Ouvéa, où des indépendantistes retenait des gendarmes français, provoquant la mort de 19 Kanaks dont on a tout lieu de penser qu’ils ont été abattus alors qu’ils se rendaient. Chirac porte une responsabilité écrasante dans cette répression. Le jour de l’assaut, le 5 mai 1988, trois jours avant le second tour de l’élection présidentielle, il déclarait à Mitterrand sa haine des indépendantistes et les qualifiait de terroristes qu’il faut réduire.

En juillet 2003, le discours est tout autre puisqu’il invite au devoir de mémoire, pour ce qui a été de tout côtés une tragédie. La visite du centre culturel Jean-Marie Tjibaou (leader du FLNKS assassiné en 1989) en présence de la veuve de ce dernier ne fera pas oublier les crimes colonialistes des années 80, soutenu par le président du RPR, premier ministre de 1986 à 1988.

À Kone, capitale de la province nord, un autre comité d’accueil indépendantiste ponctue la visite de l’auguste personnage devant le siège de la province par les cris de « Kanaky ! Kanaky !, c’est pas la France ! », « Chirac assassin, tu as du sang kanak sur les mains ! ».

Dès la veille du voyage, le 22 juillet, l’USTKE appelle ses militant(e)s à une grève générale. Le syndicat présente à cette occasion un épais cahier de revendications qui portent sur le salaire minimum, l’emploi local, l’assurance chômage, le corps électoral, les signes identitaires, les retraites des fonctionnaires et des travailleur(se)s du privé. Des luttes sont également en cours sur l’augmentation des salaires et l’intégration des contractuels dans la fonction publique. Dans le même temps les mines de Goro et Prony ont été cédée gratuitement par Lafleur aux américains, et des rumeurs font état de dessous de tables touchés par Lafleur dans cette opération.

Le 25 juillet Chirac quitte Kanaky et se rend en Polynésie « française » pour y rencontrer son ami Gaston Flosse, potentat du gouvernement local. Flosse est détenteur d’une fortune suscitant bien des interrogations et ses méthodes de gestion opaques lui ont valu des mises en causes judiciaires pour corruption. La Polynésie doit devenir à terme un Pays d’Outre-mer, ce qui assurera à Gaston Flosse la sécurité de l’emploi et une protection sine die contre les investigations des juges. Ce ne sont pas les affaires qui ont été au centre de l’intervention de Chirac. Dans un discours grandiloquent, le chef de l’État a remercié le territoire pour sa contribution au nucléaire, sans bien sûr évoquer les séquelles sur la population, et annoncé que la Polynésie sera la collectivité qui disposera des plus vastes attributions.

Le voyage de Chirac dans le Pacifique-sud n’a semé que du vent.

En Kanaky, les indépendantistes sont floués par un accord qui n’est pas appliqué, en Polynésie, les habitant(e)s subissent les conséquences des essais nucléaires, la lutte contre le pouvoir économique et politique des colonialistes se poursuit. Nos camarades du Palika (Parti de libération kanak) nous affirmaient à juste titre dans un récent courrier que le colonialisme n’avait pas dit son dernier mot. Il est crucial de soutenir et de faire connaître ici les luttes qui se mènent là-bas.

Ngoc

[1Ce dernier leur a en retour témoigné de sa solidarité à sa sortie de prison puisque durant ses apparitions télévisées il était systématiquement vêtu d’un Tee-shirt « Kanaky » et que lors du rassemblement Larzac 2003 on a pu le voir coiffé d’une magnifique casquette de base ball frappée du sigle USTKE.

 
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