Féminisme : Convergence des luttes, divergence des buts




Dans les prises de parole des militantes et des militants révolutionnaires, la convergence des luttes revient souvent comme un fétiche incantatoire. À tel point qu’on finit par oublier ce qu’il recouvre précisément. Retour sur un outil de lutte polysémique.

Dans une perspective révolutionnaire, faire converger les luttes, c’est s’unir pour être plus forts contre les pouvoirs qui nous oppriment, classiquement le patronat et l’État, et construire leur dépassement. La convergence des luttes contient une tension entre amplification et dilution des luttes qu’elle est censée unir.

Tisser des liens

Face à la division et à l’atomisation organisées de concert par l’État et le patronat, faire converger les luttes de différents secteurs du monde du travail est souvent la condition de leur visibilité et de leur réussite. C’est l’un des enjeux du syndicalisme, qui se construit dans une entreprise, dans un secteur, mais aussi entre les secteurs d’activité et les professions, notamment au niveau local. Chaque fois, il s’agit de défaire les divisions organisées par le capitalisme, par exemple entre secteur privé et secteur public en montrant que les mêmes logiques y sont à l’œuvre : rentabilité financière, prévalence du court terme, réduction de la masse salariale et finalement détérioration de l’outil de travail.

C’est dans cette perspective que s’inscrit aussi l’articulation de la lutte contre le patronat et contre l’État. C’est aussi dans ce cadre anticapitaliste qu’il est possible de tisser des liens entre salarié-e-s et travailleurs et travailleuses au chômage, en formation ou à la retraite, autour de la question du travail et de la production, de la façon dont ils sont organisés aujourd’hui et ce qui en résulte en terme de partage des richesses ou de mode de production sur le plan écologique. Ces multiples points de convergence impliquent tous un travail de construction qui se heurte souvent à l’argument de la dilution des revendications : il faut alors montrer que l’unité est nécessaire parce que ces luttes s’attaquent à un seul et même système d’oppression.

Luttes subordonnées

Ce souci de convergence des luttes des opprimés par le capitalisme se retrouve dans tous les combats contre une oppression en particulier. Dans la lutte contre le patriarcat, l’un des enjeux est de rassembler les femmes et d’encourager le développement d’une conscience de classe qui transcende les clivages de classe sociale.

Cette fois, la convergence suppose d’abord la construction autonome des luttes [1]. Si on peut montrer aux salariés de telle ou telle entreprise, du privé ou du public, ou aux chômeurs qu’ils sont opprimés par le même système, et qu’ils ont intérêt à lutter ensemble pour s’en émanciper, il n’en va pas de même des femmes et des hommes. Comme celle des personnes racisées (opprimées en raison de leur origine ou de leur couleur de peau), la lutte des femmes n’est pas soluble dans la lutte anticapitaliste : elle ne peut converger avec elle que dans une lutte globale contre toutes les oppressions. Cela implique une lutte interne au sein des dominé-e-s de chaque système parmi lesquels se trouvent aussi des dominants et des dominés dans un autre système : les hommes prolétaires participent à l’oppression des femmes, les femmes blanches participent à l’oppression des personnes racisées, etc. Dans ce sens, la convergence des luttes ne peut fonctionner que si l’on reconnaît la spécificité de chacune et la nécessité pour chacune de se construire de façon autonome par des moments ou des organisations non-mixtes.

Anne Arden (AL Paris Nord-Est)

[1Voir sur ce point l’interview de Christine Delphy dans Alternative libertaire du mois dernier.

 
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