Moyen-Orient : La foire d’empoigne




Trois ans après le début des révolutions arabes, au Moyen-Orient, la situation est plus explosive que jamais. La région vit d’importants changements qui bouleversent les anciens équilibres géopolitiques. Voici quelques clés pour comprendre les dynamiques en cours.

Un bref retour au début du XXIe siècle est nécessaire. Au moment où les néoconservateurs au pouvoir à Washington ont sauté sur l’occasion des attentats du World Trade Center pour remodeler à leur guise ce qu’ils ont nommé le Grand Moyen-Orient. Le résultat des aventures guerrières de George Bush n’est pas du tout celui qu’ils espéraient. En envahissant l’Afghanistan, les États-Unis ont atteint les intérêts stratégiques de leurs alliés pakistanais et saoudiens qui soutenaient les Talibans. Au contraire, l’Inde, la Russie et l’Iran, qui soutenaient l’Alliance du Nord, sont les grands gagnants de cette guerre où s’enlise l’Otan.

Le renversement de Saddam Hussein s’est traduit par la marginalisation de la minorité sunnite qui dirigeait l’Irak depuis la fin de l’Empire ottoman. Elle est remplacée par la majorité chiite qui a porté au pouvoir des partis islamistes proche de l’Iran. C’est un coup dur pour la monarchie saoudienne qui perd une pièce essentielle de son dispositif contre la république islamique. Pour la domination des États-Unis au Moyen-Orient, le bilan des années Bush est catastrophique, ses alliés du Golfe en sortent affaiblis, tandis que son ennemi iranien est renforcé.

La politique d’encerclement de l’Iran est un fiasco complet. Elle a donné un résultat inverse à celui attendu : l’extension de la zone d’influence du pouvoir iranien. Aujourd’hui, ses relations politiques avec le gouvernement afghan de Hamid Karzai sont cordiales, les échanges économiques entre les deux pays se développent. Les relations avec le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki sont encore meilleures. Le marché irakien est devenu un débouché important pour l’économie iranienne, en particulier pour les secteurs de l’énergie, des bien de consommation, de l’agroalimentaire, du tourisme. Les deux pays sont proches sur plusieurs questions de politique régionale, en particulier la guerre civile en Syrie. Bagdad laisse passer sur son territoire l’aide de Téheran au régime de Bachar el-Assad et ne fait rien pour empêcher des milliers d’islamistes chiites irakiens d’aller combattre dans son camp.

Déclin de la puissance des États-Unis

Les sanctions économiques imposées par les États-Unis et l’Union européenne ne font pas céder le régime iranien. Certes le pays est durement frappé, l’économie va mal, mais c’est surtout la population qui en subit les conséquences. Si les sanctions ne fonctionnent pas c’est parce que de nombreux pays défient les USA. La Chine, l’Inde, la Russie et même la Turquie qui est membre de l’Otan continuent de commercer avec l’Iran, donnant au régime la bouffée d’oxygène nécessaire à sa survie. Toutes leurs tentatives ayant échoué, les États-Unis ont décidé en 2013 d’engager avec la république islamique un vrai dialogue sur son programme nucléaire et sur les sanctions. Une décision significative des difficultés que rencontre la puissance américaine.

Le déclin de la puissance des États-Unis est un facteur clé de la dynamique actuelle au Moyen-Orient. Ils sont affaiblis par leurs échecs militaires. Avec un endettement colossal et une économie en crise, le pays n’arrive plus à faire face aux dépenses nécessaires pour maintenir son hégémonie mondiale. Symbole de cet état de fait, le prochain budget du Pentagone prévoit que les effectifs des forces terrestres passent sous la barre des 500 000 soldats, le plus bas niveau depuis 1940.

Confronté à l’émergence de nouvelles puissances rivales, les USA sont obligés de limiter leurs ambitions et de se fixer des priorités. Aujourd’hui la menace principale n’est plus le terrorisme musulman, c’est l’affirmation de la puissance chinoise. Le nouveau slogan de la politique étrangère de Barack Obama est le « pivot » vers l’Asie. Une réaffectation des ressources et un redéploiement des moyens militaires vers l’Asie, qui impliquent un désengagement partiel du Moyen-Orient. Cela se traduit par une plus grande marge de manoeuvre pour les acteurs locaux, dont l’Arabie Saoudite qui se sent abandonnée par les USA, voir trahie en ce qui concerne les négociations avec l’Iran. Des acteurs extérieurs comme la Russie et la Chine en profitent pour avancer leurs pions.

Course à l’hégémonie sur le sunnisme

Les bouleversements provoqués par les révolutions arabes depuis 2011 ont rendu la région plus instable et la situation encore plus complexe. La Syrie est le champ de bataille principal de l’affrontement qui oppose « l’axe de la résistance » (Iran, Syrie, Hezbollah libanais) soutenu par Moscou, aux pétromonarchies du Golfe et à la Turquie alliées avec les Occidentaux. Mais si le premier camp est soudé car il en va de la survie de ses composantes, le second est profondément divisé.

À travers le soutien aux multiples factions de l’opposition syrienne, leurs parrains régionaux se livrent à une lutte d’influence à coup de centaines de millions de pétrodollars. L’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis soutiennent les groupes salafistes alors que le Qatar supporte les Frères musulmans. On retrouve la même configuration en Égypte où les Saoudiens approuvent le renversement des Frères musulmans par les militaires alors que le Qatar et la Turquie le dénoncent.

Cet autre conflit ébranle le Conseil de coopération du Golfe, un organisme sécuritaire créé en 1981 par les pétromonarchies du Golfe pour contrer la révolution islamiste en Iran. Aux yeux de la monarchie wahhabite, les Frères musulmans ont deux gros défauts : ils sont des concurrents dangereux dans la course à l’hégémonie sur le sunnisme et c’est un mouvement républicain qui menace le trône et les privilèges des nombreux princes. Le Qatar qui mène une diplomatie agressive depuis plusieurs années, défie son grand voisin en faisant alliance avec la confrérie dans le but d’accroître son influence dans le monde arabe. Début mars, leurs relations se sont un peu plus envenimées : l’Arabie Saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis ont rappelé leurs ambassadeurs au Qatar.

Dans ces conditions il est impossible de faire des pronostics sur le futur paysage politique de la région. D’autant plus que d’autres facteurs entrent en jeu : la question palestinienne n’est toujours pas réglée, les Kurdes profitent des circonstances pour faire avancer leurs revendications d’une plus grande autonomie. Et les problèmes économiques et sociaux à l’origine des soulèvements populaires de 2011 n’ont pas trouvé de solution. D’autres révoltes sont possibles.

Hervé (AL Marseille)

 
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