Rentrée sociale : Face à l’offensive capitaliste, des clarifications indispensables




Plus que jamais après la victoire du gouvernement Raffarin sur les retraites, le contexte politique et social est dominé par l’offensive de classe de la bourgeoisie. Cette offensive est déterminée et durable. Elle est l’incarnation d’une guerre de classe et aucune autre riposte qu’une véritable épreuve de force engagée par les opprimé(e)s ne sera en mesure de la contrecarrer. L’enjeu central de cet affrontement, est, on le sait, la question de la répartition des richesses.

En 1970, 70 % des richesses produites allaient au travail contre 30 % au capital. En 2000, le rapport était de 60 % contre 40 %. En 2003, nous nous rapprochons d’un rapport 50-50.

« La propriété, c’est le vol », ce slogan est plus que jamais d’actualité.

Pour arriver à leurs fins les capitalistes se livrent à une politique de vol des droits sociaux, une politique d’accaparement sans limite des richesses. Les seuls compromis qu’ils sont prêts à accepter portent sur les modalités de mise en œuvre de leur politique. Cette évolution du capitalisme n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Elle vise à faire évoluer les rapports sociaux de production du salariat vers le « précariat » qui devient la norme pour un nombre croissant de salarié(e)s. Elle fait de la liberté d’investissement et du commerce et tout ce qui en découle (fiscalité au service des entreprises, remplacement du droit par un contrat aux conditions dictées par les patrons) la norme conditionnant tous les rapports sociaux. Les femmes, les immigré(e)s, les jeunes restent les cibles privilégié(e)s de cette politique, mais mises à part les classes moyennes supérieures, peu de salarié(e)s échappent aux conséquences de cette offensive.

Elle explique la violence des discours et des politiques de droite comme de « gauche » en direction de la protection sociale, des services publics et du droit du travail.

Radicalisation de la bourgeoisie

Medef et gouvernement sont conscients qu’ils mènent une véritable guerre contre les travailleur(se)s et les chômeur(se)s. Ils sont prêts à utiliser tous les moyens à leur disposition pour arriver à leur fin qui est de conserver le pouvoir et de le consolider. Ce choix passe aussi par la réduction des libertés démocratiques. Il signifie qu’il va falloir lutter dans un contexte où ces mêmes libertés seront systématiquement bafouées, et où de plus en plus de militant(e)s vont avoir affaire à la justice voire seront susceptibles de se retrouver en prison. Cela a déjà commencé sous Jospin et le phénomène s’intensifie avec ce gouvernement CRS (Chirac, Raffarin, Sarkozy).

Nous assistons bien à une radicalisation des patrons et du pouvoir dans les paroles comme dans les actes. C’est Seillière qui parle de « terrorisme social » en invoquant les actions contre le Medef en juin dernier. C’est ce même Seillière qui traite littéralement les intermittent(e)s de profiteurs et de fainéants. C’est Raffarin qui en fait de même face aux salarié(e)s qui refusent de travailler 5 ans de plus et de mourir pour le capital... et menace les syndicats qui refusent de collaborer. C’est Copé, son porte-parole qui stigmatise l’extrême gauche.

Aussi quand ils parlent de leur détermination à ne céder sur rien, il faut les prendre très au sérieux, se dire qu’ils sont prêts à défendre chèrement leur place et que cette droite de combat serait prête à faire réprimer encore plus violemment les mouvements sociaux et les grèves. Cela s’est déjà fait dans un passé pas si éloigné (manif antinucléaire de Malville en 1977 : un mort et plusieurs blessés graves).

Rapacité croissante

Malgré cela des millions de salarié(e)s ne mesurent pas toutes les conséquences de cette politique.
Peur, illusions encore tenaces dans les appareils réformistes, croyance dans un hypothétique débouché politique, mais aussi parfois sous-estimation de la nature même de l’offensive capitaliste constituent une partie des raisons qui expliquent la difficulté de passer du mécontentement à la colère généralisée.

On se dit également que cette offensive capitaliste va peut-être s’arrêter. C’est faire peu de cas de la rapacité des capitalistes. Une rapacité qui s’explique par le développement de besoins de plus en plus exorbitants. Sans même parler de ceux qui investissent jusqu’à un milliard de dollars pour pouvoir se payer un voyage dans l’espace, on peut parler de leurs besoins croissants d’argent pour concrétiser des placements spéculatifs (titres boursiers, marché de l’art, grandes propriétés foncières, investissements dans des propriétés agraires prestigieuses comme les grands vignobles...).

Nous assistons depuis les années 90 au développement d’un capitalisme patrimonial, dont Seillière est un des fleurons avec une fortune personnelle qui pèse 730 millions d’euros (4 milliards 795 millions de francs).

Pour la plupart des salarié(e)s qui se contenteraient d’une augmentation de quelques centaines d’euros de pouvoir d’achat, il est difficile d’imaginer que les politiques libérales ont pour seul objectif d’accroître les fortunes parfois colossales des représentants d’une classe parasitaire. C’est pourtant exactement ce qui se passe sous nos yeux en ce moment. Il existe également une illusion dont il est difficile de se défaire.

Les droits collectifs sont considérés comme des acquis que beaucoup croyaient définitifs alors qu’ils ont toujours résulté de concessions faites par la bourgeoisie dans un contexte de rapport de forces qui lui était moins favorable. Cela vaut aussi pour les droits démocratiques et les libertés individuelles susceptibles d’être remises en cause en période de crise de la représentation politique comme cela fut le cas déjà dans les années 1930.

Après la contre-réforme des retraites et la casse du statut des intermittent(e)s, la troïka Chérèque-Raffarin-Seillière va poursuivre son travail de sape sur plusieurs dossiers : la sécurité sociale, la décentralisation, les privatisations, la rémunération au mérite des fonctionnaires (et assez rapidement la fin du statut de fonctionnaire), le revenu minimum d’activité adopté au sénat et qui devrait repasser à l’assemblée nationale vers octobre.

Stratégies en débat

Si nous ne voulons pas enregistrer une suite de défaites aussi cuisantes que celle sur les retraites, des clarifications sont indispensables.
La première porte sur la stratégie à suivre face au Medef et au gouvernement.

Les assemblées générales, les coordinations interprofessionnelles, mais aussi toutes les équipes syndicales doivent dire clairement si elles se prononcent pour une stratégie de négociation alors qu’il n’y a que des reculs sociaux à négocier ou pour un affrontement de classe devant conduire à une grève générale de transformation sociale public-privé.

Cette clarification est nécessaire pour construire une unité des salarié(e)s et de leurs organisations qui ne soit pas une unité de façade et un jeu de dupe permanent. On sait que, hormis la CNT et Solidaires (qui regroupe notamment les SUD) clairement positionnés pour la grève générale et l’auto-organisation des luttes, les autres organisations syndicales, en l’absence de débouché politique incarné par une gauche institutionnelle optent pour une double stratégie d’accompagnement. Accompagnement institutionnel en militant pour d’hypothétiques négociations, accompagnement thérapeutique de leur base syndicale à qui elles proposent des grèves de 24 heures, des pétitions et autres artifices qui font pleurer de rire le Medef et le gouvernement.

Le recentrage de la confédération CGT comparable à celui de la CFDT en 1978 va peser de tout son poids pour canaliser le mécontentement. CNT et Solidaires sont toutefois trop faibles pour pouvoir entraîner une majorité de travailleurs(ses), c’est pourquoi il est nécessaire d’impulser des structures interprofessionnelles auto-organisées dans lesquelles les équipes FO, FSU et CGT qui veulent en découdre sincèrement pourront trouver leur place.

C’est tant sur le bilan des grèves de mai-juin 2003 que sur les pratiques à mettre en œuvre pour arriver à une grève générale de transformation sociale que le débat doit se poursuivre. Et c’est sans doute sur ce dernier point qu’il faudra faire preuve de plus d’imagination. Dans ce domaine, le rassemblement Larzac 2003 initié par la Confédération paysanne a été particulièrement fécond.

Les débats axés sur les grèves et leurs perspectives suivis par des centaines voire des milliers de personnes ont permis d’apprécier une détermination et une colère toujours intactes. Ils ont témoigné d’un large consensus autour de l’objectif d’une grève générale à construire dès septembre. En revanche, ils ont été traversés par de fortes remises en cause sur les moyens pour y arriver. Beaucoup souhaitaient à juste titre en finir avec les grèves de 24 heures et les manifs à répétition qui épuisent les grévistes et vident leurs porte-monnaie.

En mai-juin 2003, il a existé une majorité d’idées contre le plan Fillon et pour une alternative à ce plan. Il n’en existait pas sur les moyens à mettre en œuvre pour faire reculer le gouvernement. L’accent a également été mis sur les actions symboliques visant directement le patronat, les politiciens et les syndicats jaunes responsables des contre-réformes capitalistes. Il faut que tous ceux qui décident pour nous et contre nous sentent de plus près la colère du peuple.

Tout le monde avait également en tête les actions de la Confédération paysanne (fauchage de champs d’OGM) qui ont permis de faire reculer ces cultures en France et qui ont été bien plus efficaces que n’importe quelle manif paysanne. Il a également été question de constituer des caisses de grèves pour se préparer à des luttes de plus en plus dures et pouvoir tenir. On sait que SUD Travail vient d’en constituer une en prélevant une petite part de la cotisation syndicale pour alimenter ladite caisse.

En Seine Saint-Denis, en juillet le SNADGI-CGT (Impôts) a collecté du fric parmi les non-grévistes et les grévistes des temps forts et a reversé l’équivalent de deux journées de travail retenues aux grévistes en reconductibles les plus en difficultés. Dans plusieurs villes des initiatives de ce genre sont prises en ce moment. Une pratique qui renoue avec les origines du syndicalisme (associations ouvrières, Première internationale, sociétés de secours mutuel au XIXe siècle) quand celui-ci était interdit et les grèves très sévèrement réprimées.

En septembre, la rue doit gouverner

Des assemblées générales et des réunions interpro sont prévues dans de nombreuses villes début septembre. Mais même si l’été a été marqué par la lutte des intermittent(e)s il n’est pas écrit que de forts mouvements revendicatifs repartiront à la rentrée. Rien n’est joué. Tout reste à faire. Et le débat portera aussi sur les axes revendicatifs.

Le travail de contre-proposition mais aussi de préparation et d’organisation de l’action sera décisif pour faire échec au Medef, à la CFDT et au gouvernement. Toutefois c’est également sur un terrain revendicatif offensif que les opprimé(e)s pourront faire la différence. Augmentations de salaires, redistribution des richesses, action pour la gratuité des services publics, réquisitions de locaux pour organiser les luttes, actions en direction des entreprises privées pour y imposer la liberté de se syndiquer et y organiser des luttes. Mais aussi réquisitions de logements vides, réquisitions sous le contrôle des travailleurs(ses) d’entreprises qui licencient et ferment, actions des chômeurs(ses) pour le relèvement des minima sociaux...

Laurent Esquerre

 
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