Saisonniers : Déni de justice pour les damnés de la terre




Les ouvriers agricoles s’étaient révoltés contre leur patron-négrier. La justice est du côté du plus fort. Plus de deux ans de procédure ne leur auront pas donné satisfaction.

Juillet 2005, plaine de la Crau dans les Bouches-du-Rhône. Un piquet de grève s’organise, coincé entre le bord de la route et les 1 500 hectares de vergers de la société Sedac. Les drapeaux rouges flottent au milieu des rangées d’arbres fruitiers plantées à perte de vue. Les ouvriers agricoles ont cessé le travail dans l’une des plus grosses exploitations arboricoles françaises.

Ceux qui réclament ne sont pas repris

Ils sont deux cent quarante saisonniers sous « contrat OMI » (Office des migrations internationales), des hommes venus du Maroc et de Tunisie, qui travaillent souvent jusqu’à huit mois sur l’exploitation. Pour obtenir leur premier contrat, qui tient lieu de carte de séjour, ils ont dû payer jusqu’à 6 000 euros, l’équivalent d’une année de salaire. Aucun droit à la régularisation, aux allocations chômage ou à la prime de précarité. Une « lettre de servitude » (sic) délivrée par le patron en guise de certificat de travail.

Un gréviste explique : « Chaque jour, on bosse onze heures, même le samedi. On récolte tous 300 à 400 caisses de 20 kilos de pêches. Et le patron ne te compte que dix heures et il en déclare sept. Cinq euros et quelque l’heure, ça fait 885 euros (net) sur la fiche de paie. » Reste un gros volant d’heures sup’… « L’année passée, on a travaillé chacun deux cent à trois cent heures supplémentaires. Le patron ne nous a pas payé. Pareil cette année. » Ceux qui ont réclamé en 2004 n’ont pas été repris pour la saison 2005.

Mais une altercation a eu lieu début juillet avec le patron qui s’était engagé à régler l’ardoise. Avec cette arrogance seigneuriale d’agro-businessman à succès, il annonce alors qu’il va fermer la boîte. Stupeur. Rapidement la grève s’impose comme la seule issue.

Mouvement spontané d’auto-organisation ouvrière, pris en main par la CGT le lendemain. La production est bloquée en pleine récolte. Dans la foulée, les salariés des ateliers de conditionnement, dont beaucoup d’étudiants chinois à temps partiel, débrayent également.

Deux douches pour 120 ouvriers

La presse fait grand cas de l’affaire. Outre les questions relatives aux arriérés de salaire, les grévistes dénoncent les conditions d’insalubrité dans lesquelles ils sont logés. Soixante-deux euros par tête de pipe pour un lit dans une ancienne écurie ou un algeco déglingué. Deux douches pour cent vingt ouvriers. Pas d’eau potable. Il faut tout acheter : l’eau, les couvertures, le gaz et même les outils de travail. À défaut d’escabeaux de récolte, il faut grimper sur des piles de caisses pour ramasser les fruits, les accidents sont nombreux. Pas d’équipements non plus pour se protéger des pesticides. L’inspection du travail dresse huit procès verbaux.

La négociation s’engage mais ne débouche sur rien de très probant : vague engagement du patron quant au paiement du solde ; relogement des ouvriers dans des foyers ruraux (les paniers à salades feront même office de camions de déménagement !) ; enfin, le préfet s’engage à donner la priorité aux saisonniers de l’entreprise dans l’attribution de primo-contrats dans d’autres exploitations l’année suivante en cas de faillite…

Décembre 2007, tribunal correctionnel de Tarascon. Grévistes et patron se retrouvent face à face suite aux PV de l’inspection du travail. L’instruction a été bâclée, peu de pièces versées au dossier. C’est donc parole contre parole et le patron ne se dégonfle pas. Morceaux choisis : « On cherche à me faire passer pour un négrier. C’est une mise en scène pour la télévision probablement… J’ai toujours été contrôlé par l’administration, qui n’a jamais rien trouvé à redire. Monsieur l’inspecteur du travail qui n’êtes pas là aujourd’hui, ces contrôles chaque année, vous les avez faits ou pas ? »

Résultat : le tribunal prononce la relaxe du patron, ne retenant aucun des huit chefs d’inculpation. Selon la CGT, une trentaine de salariés sur deux cent quarante ont retrouvé un contrat de travail depuis le dépôt de bilan en octobre 2005. Un signal fort pour ceux qui seraient tentés de suivre l’exemple…

Fred Decosse

 
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