Tafta, Tisa, Ceta : Le libre-échange contre la liberté des peuples




Sur les traces de l’Alena et nombre de traités conclus par les États capitalistes, les accords en actuellement en gestation à l’échelle mondiale sont une attaque sans précédent aux droits sociaux et environnementaux ainsi qu’à nos libertés politiques. Les multinationales pourront - encore davantage - fixer les règles du jeu du capitalisme qui nous gouverne.

Loin des parlements et de gouvernements à leur botte, seules les mobilisations et les luttes au quotidien pour un autre modèle de société nous permettront de contre-attaquer.

Au nom du sacro-saint « marché libre »

Régulièrement, les grandes multinationales et les États mettent au point, à l’insu des populations concernées, des accords de commerce ultralibéraux. L’un d’eux, en cours de négociation depuis juillet 2013, a particulièrement fait parler de lui : le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (également surnommé Tafta, pour Transatlantic Free Trade Area), qui libéraliserait davantage les échanges entre l’Union européenne et les États-Unis [1].

En réalité, le Tafta a un prédécesseur, finalisé le 22 septembre 2014 et en cours d’adoption : l’accord commercial Canada-UE (ou Ceta, pour Canada-EU Trade Agreement).

L’objectif n°1 du Ceta, puis du Tafta, est de supprimer les « barrières réglementaires » qui limitent les profits potentiels des grands groupes capitalistes de part et d’autre de l’Atlantique, en livrant au « libre marché » des secteurs encore relativement protégés. L’objectif n°2 est d’autoriser les multinationales à remettre en cause les normes sociales et environnementales qui gênent leur expansion.

Ces accords vont donc porter une atteinte majeure aux droits des travailleuses et des travailleurs (le Code du travail), aux droits sociaux (la Sécurité sociale) ou encore à la sécurité alimentaire et environnementale. Grâce à eux, des multinationales de la chimie comme Monsanto pourront plus facilement propager leurs OGM, au détriment de la santé publique.

Plus de liberté pour le marché capitaliste, c’est bien souvent moins de liberté pour les individus !


PRIVATISER LA SANTÉ, L’ÉDUCATION...

Alors que tous les secteurs-clefs de l’économie (communication, transports, industrie…) sont déjà entre les mains des capitalistes, le Tafta ouvrirait de nouveaux marchés à la concurrence des multinationales : santé, éducation, culture...


Attention aux faux amis

Sous des dehors vertueux, bien des aspects du Tafta et du CETA sont dangereux.

Ainsi, au nom de la « lutte contre les contrefaçons », plusieurs dispositions menacent la liberté d’expression sur Internet et la protection de la vie privée. Elles s’inspirent directement de l’accord ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon) [2], rejeté par la commission européenne en 2012 suite à la mobilisation populaire.

Au nom du renforcement du droit de la propriété intellectuelle, des dispositions ouvrent la voie à l’appropriation du vivant, via les certificats d’obtention végétale (COV). Cela signifie la possibilité, pour l’industrie chimique, de poursuivre en justice les paysannes et les paysans qui utilisent leurs propres semences, au lieu d’acheter des semences brevetées.


BŒUF AUX HORMONES ET POULET AU CHLORE

Au nom de la « convergence réglementaire » contenue dans le Tafta, le principe de précaution et les normes de sécurité alimentaire au sein de l’UE sont menacés. Par exemple, aujourd’hui, l’Europe limite l’utilisation d’hormones de croissance bovine et fixe à 40 % le seuil maximum de contamination des aliments. Avec Tafta, les multinationales pourront faire tomber ces réglementations, afin d’arriver au niveau du marché américain où 90 % de la viande bovine contient des hormones ! Et ce n’est pas fini puisque celles-ci réclament aussi l’autorisation de traiter les carcasses de volaille au chlore, pratique interdite en Europe depuis 1997. Un bel avenir dans nos assiettes !

Hilary John, Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, Rosa Luxembourg Stiftung, mai 2014.


Culture du secret

Sans les révélations de Wikileaks, nous ne saurions rien des négociations qui ont précédé le Ceta et le Tafta. Les États préfèrent tenir les peuples à l’écart des choses sérieuses, pour éviter une possible contestation.

Depuis 1995, l’Organisation mondiale du commerce a tenté à plusieurs reprises de libéraliser le marché des services, mais ses entreprises – comme l’AGCS il y a quelques années – n’ont jamais complètement abouti.

Le Tisa constitue un nouvel essai.

L’Accord sur le commerce des services, également appelé Tisa (pour Trade In Services Agreement) est négocié en toute confidentialité depuis 2012 à Genève entre 50 pays, dont ceux de l’Union européenne, les États-Unis et le Japon. L’objectif est de parvenir à un accord dès 2014, mais, afin de s’épargner un scandale, les États prévoient de n’en dévoiler le texte qu’en 2019, cinq ans après sa mise en application ! [3]

Alors que l’AGCS permettait l’établissement d’une liste « positive » des services publics que les États voulaient ouvrir à la concurrence, le Tisa pose la commercialisation comme norme et non plus comme exception. On monte donc d’un cran. Désormais, ce sont les services publics que les États voudraient protéger qui devraient être inscrits sur une « liste négative ». Les États devront garantir la transparence des informations concernant l’ensemble des services publics. Les multinationales, bien renseignées, pourront donc concentrer leur lobbying sur les secteurs potentiellement les plus rentables pour en obtenir la libéralisation. En effet, les accords de type Tafta, Ceta ou Tisa sont des accords « vivants », évolutif. Néanmoins, grâce aux « clauses cliquets », la libéralisation ne pourra que progresser, sans possibilité de retour en arrière.

Le Tisa obligera également les États à faire converger leurs réglementations, selon un processus passablement antidémocratique, puisqu’il dépendrait d’un conseil supranational de technocrates. Encore plus antidémocratique que le système représentatif, ce mécanisme empêcherait tout contrôle des populations sur les lois et réglementations.

LE RACKET PERMANENT

Les accords Ceta, Tafta ou Tisa comportent des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs ou États (également appelés ISDS, pour Investor-to-State Settlement). Désormais, une multinationale pourrait porter plainte contre un État ou une collectivité territoriale si elle estime qu’une loi ou une réglementation contredit ses intérêts.
Des tribunaux d’arbitrage privés seraient mis en place pour trancher les différends, indépendamment de la justice classique. Les multinationales s’en serviraient soit pour neutraliser les normes sanitaires, écologiques ou sociales qui les gênent, soit pour obtenir des compensations financières si elles s’estiment lésées.

On connaît les effets de cette disposition, qui s’applique déjà dans le cadre de la zone de libre-échange des Amériques (Alena). La multinationale Lone Pine poursuit ainsi l’État canadien en justice en raison du moratoire sur l’extraction des gaz de schiste au Québec, et lui réclame 250 millions de dollars de réparation !

Au nom de l’Alena toujours, le Pérou a été poursuivi en justice pour avoir voulu limiter les émissions de gaz toxiques. En 2012, c’est l’Équateur qui a été condamné à verser 2 milliards d’euros à une compagnie pétrolière.

Bardées d’armées d’avocats, les multinationales peuvent ainsi guetter tout litige potentiellement juteux pour faire des procès aux États et pomper l’argent public.

Pillage des économies locales

Les grandes puissances ne se contentent pas de passer des accords de libéralisation entre elles. Il existe également des accords entre l’UE et l’État marocain, ou entre l’UE et la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique, sous le nom d’Accords de partenariat économique (APE) [4]

Ces accords sont conclus au profit des capitalistes du Nord et du Sud, au détriment des peuples du Nord et du Sud.

D’une part, ils favorisent les délocalisations, aggravant le chômage au Nord. D’autre part, ils permettent un pillage des économies du Sud. Les multinationales européennes s’y approprient en effet les meilleurs terres et réorganisent l’agriculture pour l’exportation, sabotant l’autonomie alimentaire des populations locales. Les entreprises vont exploiter les minerais du Sahara occidental, colonisé par l’État marocain [5].

En mettant sur pied une agriculture industrielle d’exportation, les multinationales ruinent les petits paysans africains, mais aussi européens, étranglés par la concurrence.

Au delà de l’agriculture, les APE prévoient une clause de rendez-vous pour négocier l’étape suivante : la libéralisation des services, des investissements, de la propriété intellectuelle, des marchés publics, etc. Un planning digne du Tafta et du Tisa !


ALENA : LE MEXIQUE PULVÉRISÉ

Entré en vigueur en 1994, la Zone de libre-échange des Amériques (Alena) a dopé les échanges entre le Mexique, le Canada et les États-Unis. Ces derniers exportent au Mexique nombre de produits agricoles, alors que le pays était auparavant autosuffisant au niveau alimentaire. La forte inflation a provoqué la « crise de la tortilla » et des émeutes de la faim en 2007. Les paysannes et les paysans ruinés fuient vers les villes et finissent exploités dans les maquiladoras, usines états-uniennes construites le long de la frontière.

La privatisation des services publics a paupérisé un pays désormais en proie à la corruption, à la guerre des cartels de drogue et à la terreur répressive. Mais l’Alena c’est aussi la naissance d’un mouvement de résistance exemplaire : celui de l’Armée zapatiste de libération nationale et des communautés autonomes zapatistes où l’autogestion est pratiquée au jour le jour.

D’après Campagnes solidaires (octobre 2014)


LA RÉSISTANCE DES PEUPLES

Dans le monde entier les peuples ont montré qu’ils ne comptaient pas se laisser faire, et les mouvements sociaux ont dénoncé ces accords de libre-échange. En Colombie par exemple, les manifestations, grèves, blocages de route et occupations de terres se sont succédé depuis 2011 contre le libre-échange avec les États-Unis, puis l’UE. Et si les paysannes et les paysans colombiens ont préservé leur droit d’utiliser leurs propres semences, ça a été au prix de nombreux morts et blessés6.

En Europe et aux États-Unis, la mobilisation est encore faible, mais des résistances contre le désastre écologique, la casse des droits sociaux, des services publics, des libertés et de l’autonomie alimentaire se profilent. Seuls les mouvements sociaux peuvent empêcher les capitalistes de piétiner les peuples.

Pour une lutte internationale

Face à l’ampleur des attaques, il est impératif de créer des solidarités internationales. Les souverainistes de droite, de gauche et d’extrême droite prétendent que pour lutter contre le Tafta et le Tisa, il faut réaliser l’union patriotique du patronat et des travailleurs. C’est une supercherie.

Le protectionnisme n’est pas une alternative au libre-échange. Dans les deux cas, ce sont toujours les capitalistes qui profitent et les salarié.e.s qui doivent courber l’échine.

On ne changera pas les règles sans une remise en cause de la propriété privée des moyens de production et d’échange.


POUR UNE SOCIÉTÉ ÉMANCIPÉE DU CAPITALISME

Face à l’idéologie du marché capitaliste, il faut défendre nos droits sociaux, sortir des rapports marchands et relocaliser les productions.
Mais cela ne sera pas possible sans aller vers une société socialiste, fondé sur l’autogestion, qui garantisse la répartition des richesses et non le profit d’une minorité privilégiée sur le dos de l’immense majorité.
Face aux manigances des États et des multinationales construisons nos propres luttes et mobilisations sur nos lieux de travail et de vie, mais aussi des espaces de résistances qui permettent d’expérimenter et de populariser des pratiques autogestionnaires, antipatriarcales et anticapitalistes.

Rejoignons les mobilisations européennes :

 Le 11 octobre 2014 dans toutes les villes d’Europe. Retrouvez les RDV sur le site de Stop Tafta.

- Le 19 décembre à Bruxelles pour une mobilisation internationale !

 Mais aussi dans les collectifs locaux Stop Tafta et autres luttes anticapitalistes.

Retrouvez les infos sur ces traités sur :

[1Pour plus d’informations, voirle dossier du Monde diplomatique.

[4Berthelot Jacques, « Le baiser de mort de l’Europe à l’Afrique », Le Monde diplomatique, septembre 2014.

 
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