Tof et Catherine (CIP-IDF) : « Cet accord est un plan de licenciement camouflé de 50.000 personnes ! »




Nous avons rencontré Tof, cadreur, et Catherine, chef-monteuse, membres de la coordination Ile-de-France des intermittents et précaires en lutte.


Alternative libertaire : Le Medef, le gouvernement et la CFDT veulent détruire le système d’indemnisation des intermittent(e)s du spectacle. Quelles vont être les conséquences concrètes ?

Tof : Cet accord « Seillière-rat » va priver 40 à 50 000 personnes d’indemnisation, sur les 100 000 qui ont actuellement droit au statut d’intermittent(e). C’est un plan de licenciement camouflé, sans indemnité. Concrètement, ces personnes vont se retrouver au RMI/RMA.

Catherine : Ça, c’est pour les premiers mois d’application de l’accord. Mais comme il est probable que l’application de cet accord va creuser le déficit, en favorisant le développement du travail au noir et en réduisant considérablement les rentrées de cotisations, nous sommes nombreux(ses) à penser que le but réel du Medef est la suppression pure et simple du statut d’intermittent(e) dans 3 ans - puisque l’accord n’est valable que jusqu’en 2005 - et sa dissolution dans l’annexe IV régissant les intérimaires et saisonnier(e)s.

Une série de « petites » mesures constitutives de cet accord en font un système d’une perversité totale. Par exemple, on ne pourra plus cumuler les heures du régime spectacle et celles du régime général. Quelqu’un qui travaillerait 600 heures dans le régime général et 500 dans le régime spectacle n’aura plus droit à rien ! Le glissement de la date anniversaire va conduire à ce que certaines heures travaillées ne soient plus prises en compte pour l’indemnisation. Ça va être une loterie : quand on travaille, on ne sait pas si ça ouvre des droits ou pas.

Tof : C’est la porte ouverte aux pires magouilles des patrons. On va devoir faire des déclarations différées, ça va encourager le travail au noir, pour que les périodes de travail « tombent bien » pour l’indemnisation.
Un mouvement autogéré

Comment s’est organisé la résistance, et en particulier la coordination Ile-de-France ?

Catherine : Ça fait 15 ans que notre régime d’indemnisation est attaqué, tous les 2 ou 3 ans. On est régulièrement obligés de se mobiliser. Les dernières grandes mobilisations ont été 92 et 97. A l’époque, la CGT gardait un contrôle du mouvement. Ça restait aussi assez corporatiste.

Aujourd’hui, la situation est différente. La CGT est complètement débordée par la base. Il y a une prise de conscience que la lutte dépasse le seul secteur du spectacle. Surtout, il y a eu un travail en amont. En décembre 2002, on a créé le PAP (Précaires associés de Paris) en réaction au durcissement des conditions d’indemnisation du régime général d’assurance chômage. Nous avons fait le travail de sensibilisation sur ce qui se préparait. Nous avons surtout été les « emmerdeurs » qui ont dénoncé l’attentisme de la CGT : les apparatchiks attendaient tranquillement la signature de l’accord pour mieux se poser en « sauveurs ». Surtout, le PAP a mené une réflexion sur l’indemnisation chômage. Ce que nous défendons, c’est le droit à un revenu garanti pour tous et toutes, pas uniquement dans le domaine du spectacle. Le droit de vivre correctement entre les périodes de travail.

Le PAP occupait le Théâtre de la Colline au moment de la signature de l’accord. Les assemblées générales sont passées du jour au lendemain de 50 à 400 personnes. Même la CGT a appelé à rejoindre notre AG, pour ne pas se retrouver complètement coupée de la base. C’est ainsi que la coordination Ile-de-France a été créée le 27 juin au Théâtre de la Colline.

Tof : Puisqu’on parle de l’historique des attaques contre notre régime, il faut rappeler que la première est due à Martine Aubry, en 1992, quand elle était ministre socialiste des affaires sociales et du travail. Nous n’avons pas la mémoire courte.
J’ajouterais que beaucoup de syndiqué(e)s de base se sont plus reconnus dans la coordination que dans leur syndicat. La coordination est le lieu où des syndiqué(e)s (CGT, FO, CNT) et des non-syndiqué(e)s peuvent travailler ensemble, sans trop de querelles de chapelles.
C’est un mouvement auto-organisé, avec un fonctionnement relativement démocratique. Pour moi qui étais au VAAAG [1], je retrouve dans la coordination les principes de fonctionnement autogéré du VAAAG. L’AG est souveraine, on a 22 commissions, qui vont de la logistique à la commission actions, en passant par Europe, interrégions ou juridique. On a une vraie rotation de la représentation des commissions à l’AG.
Une charte de fonctionnement a été établie pour préciser ces principes.

Catherine : La coordination a un rôle de formation politique et syndicale. Les gens ont gagné en capacité d’analyse depuis qu’on lutte tous ensemble. Des gens qui n’avaient jamais trouvé leur place dans une structure syndicale se sont révélés.
Dans l’audiovisuel, le droit de grève n’est pas respecté. Si les techniciens font grève, de très grosses pressions sont exercées sur eux par les productions, et s’ils persistent ils sont en général ensuite black-listés ! L’appui de la coordination a permis souvent de faire respecter le droit de grève. Les AG osaient voter la grève. Les intermittents en AG sur leur lieu de travail ont osé voter la grève parce que nous étions là en soutien, ou parfois nous avons choisi aussi de les empêcher carrément d’accéder à leur lieu de travail.

Vous avez évoqué l’interprofessionnel et le dépassement des préoccupations corporatistes. Déjà pendant le mouvement des enseignant(e)s, on avait vu une prise de conscience assez nouvelle de la nécessité de l’interprofessionnel. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Catherine : Les intermittent(e)s étaient déjà présent(e)s dans la mobilisation pour la défense des retraites. À la manifestation du 10 juin qui a été violemment dispersée place de la Concorde par la police, nous nous sommes réfugiés dans l’Opéra à 200-300, cheminot(e)s, profs, psychologues scolaires, chômeur(ses)s, intermittent(e)s.

Tof : En soi, la coordination est déjà un mouvement interprofessionnel. Le spectacle et l’audiovisuel, ce sont des centaines de métiers différents ! Ce qui nous lie, c’est un même statut, mais nos métiers sont très différents.

Nous avons fait des actions avec les grévistes de Frog [2], de MacDonald’s, avec les archéologues en lutte. Nous étions présents, avec des cheminots et des enseignants, au procès des deux cheminots arrêtés le 10 juin. Le 14 juillet, à Paris, nous avons rejoint la Confédération paysanne devant Notre-Dame pour marquer notre soutien à José Bové.
Il y a une prise de conscience que nous sommes face à un plan de destruction de tous les acquis sociaux. Pas seulement ceux du secteur du spectacle.

Nous allons d’autant plus avoir besoin de cette solidarité que la stratégie du gouvernement est claire : diviser pour régner. Ils ont annoncé des mesures pour le spectacle vivant, mais strictement rien pour l’audiovisuel.

Catherine : L’élargissement interprofessionnel est important, mais il faut aussi parler de la coordination des intermittent(e)s au plan national. Une coordination nationale fin juillet a rassemblé 150 délégué(e)s de 29 régions. Le principe adopté est celui de la fédération des coordinations. Chaque région reste autonome, et vote pour elle-même les propositions faites au plan national. C’est un fonctionnement très horizontal.
La coordination nationale a adopté le principe de poursuivre le mouvement jusqu’au retrait ou à l’abrogation de l’accord. Une autre rencontre nationale aura lieu à Paris fin août.

Propos recueillis le 2-08-2003 par Laurent Scapin

[1Village alternatif, anticapitaliste et antiguerre, organisé à Annemasse du 28 mai au 3 juin contre le G8 d’Evian.

[2Des travailleurs, principalement d’origine tamoule, de la chaîne de restaurants Frog, sont en grève pour des conditions de travail décentes depuis avril 2003. Ils sont principalement soutenus par la CNT.

 
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