Vu d’Afrique : Les parrains de la présidence française




Michael Schmidt, écrivain, journaliste et militant sud-africain proche de notre organisation-sœur Zabalaza, partage pour AL sa vision de la Françafrique. Sa sensibilité est celle du continent noir, et si les faits nous sont connus, la manière dont ils résonnent est bien différente.

L’article complet est à consulter sur Anarkismo.net

Il semble qu’en Afrique depuis peu, on ne serve plus la soupe dans l’ordre habituel. D’anciennes puissances (Portugal) supplient d’anciennes colonies (l’Angola) de leur venir en aide, ou des citoyens européens se replient fuyant la crise dans leurs pays, pour des jobs sous-payés dans l’arrière-pays africain [1].

Mais une relation bien plus ancienne et plus discrète existe entre Afrique et Europe, qui renverse l’image convenue de leaders africains corrompus par une aide-européenne-sous-conditions. Ce phénomène est celui de « la valise [2] », système par lequel depuis un demi-siècle, les dictatures africaines ont corrompu le processus politique européen. Partie intégrante de la conduite des affaires franco-africaines, il est appelé à évoluer et à se propager.

La France postcoloniale,une république « valisière »

Philippe Bernard, ancien correspondant du Monde en Afrique, a fait remarquer que Robert Bourgi [3], conseiller « officieux » de Sarkozy, accusait en 2011 Jacques Chirac et Dominique de Villepin, d’avoir reçu d’énormes pots-de-vin dans des valises remplies d’espèces pour financer la campagne de Chirac.

Cinq États d’Afrique francophone étaient concernés : Congo, Burkina Faso, Sénégal, Côte d’Ivoire et Gabon. Chirac, autant que Villepin, ont nié les allégations de Bourgi.
Selon le Telegraph [4], Bourgi déclarait qu’il avait personnellement transporté des dizaines de millions de francs chaque année, sous-entendant que le liquide était destiné aux campagnes de Chirac. « J’ai vu Chirac et Villepin compter l’argent devant moi ». Il soutient qu’il fit passer quelques 6,2 millions de la part des cinq présidents de ces pays, contribuant à la campagne gagnée de Chirac en 2002.

Le système fonctionne pendant vingt-cinq ans, visant à accorder d’immenses réductions des dettes africaines, une fois leur « sponsor » placé à l’Elysée et procède de la « Françafrique », ce mélange de genres et d’intérêts, qui depuis les libérations des années 60 échange la protection française de ces régimes africains, contre une exclusive sur les matières premières et un droit d’intervention militaire.

Le professeur Stephen Smith, ancien responsable Afrique à Libération, se souvient qu’en 1971, au tout début d’un règne de 22 ans, Houphouët-Boigny faisait don de « sacs d’argent » au gouvernement Pompidou.

La pratique était « continue, de De Gaulle, à Giscard d’Estaing et aux gouvernements libéraux actuels. Tous soutenus par le système de la valise. Ce qui revient, de fait, à un État postcolonial informel ».

Un demi-siècle de dictateurs africains, installés et maintenus en poste par la puissance militaire française, soutenant à leur tour les régimes de Paris. La valise est portée aussi par les entreprises françaises payant, qui les gaullistes, qui les socialo-communistes. Etant donné la position stratégique de la France en Europe, égalée seulement par l’Allemagne et l’Angleterre, quiconque est en mesure de se payer la présidence française, s’achète également une énorme part d’influence en Europe. C’est ainsi que toute tentative de politique progressiste a été rendue inopérante.

Élargissement du système de la Valise

Achille Membe, spécialiste de l’Afrique postcoloniale, décrit la valise comme une « corruption mutuelle » menottant « la France et l’Afrique depuis des décennies » : argent, mais aussi « une corruption culturelle qui a émasculé les sociétés civiles africaines en profondeur. Aujourd’hui, si la France dispose encore de bases militaires sur le continent avec les moyens de dégager un Gbagbo, elle n’est pas prête à payer le prix fort d’une intervention ».

Sa mainmise sur le continent commence à être éclipsée (par les États-Unis notamment), affectant le franc CFA lié à un euro en crise et les entreprises françaises qui perdent leurs exclusivités, tandis que le FMI reprend les rênes dans de nombreux pays, ou que la Chine, le Brésil et l’Inde déversent leurs investissements sur le continent.

Pendant ce temps, Sarkozy déclare vouloir mettre un terme à un « réseau d’intermédiaires agissant comme une diplomatie parallèle ». Mais si la France s’enrichit davantage à présent en Afrique anglophone on assiste pour Membe à une « multiplication des modèles d’exception à la française : la relation avec la Chine est tout aussi corrompue, la chasse gardée, le privilège français est devenu mondialisé ».

Un modèle appelé à s’élargir

L’étoile française pâlit en Afrique car la France s’est elle-même provincialisée, retirée des affaires du monde. Et puis, les « révélations de Bourgi », n’en sont pas en Afrique. Toujours selon Membe, « elles n’ont pas été perçues comme un scandale » : le cynisme domine à l’évocation des relations franco-africaines déclinantes : « la géographie n’est plus centrée sur Paris… les Robert Bourgi sont les derniers spasmes d’une équation morte, à genoux, anecdotique. La France va devenir une parenthèse ».
Mais il est n’est pas du tout évident que le système des valises soit terminé, ou qu’il ait perdu sa capacité à influencer l’histoire africaine. Pour Smith, lorsque Sarkozy barra d’un trait 40 % des dettes du Congo et du Gabon sa réputation devint douteuse. Du reste, « se payer » Sarkozy constituerait un « bon investissement pour les leaders africains ».

Si Sarkozy aussi est impliqué, la fin de partie jouée par Bourgi (déballer l’affaire au bout de vingt-cinq ans, et affirmer qu’elle finit avec Chirac) ne vise donc pas à salir Chirac, politiquement fini. Mais plutôt à menacer Sarkozy tant qu’il est encore président, le forçant à laisser Bourgi se retirer en toute quiétude, dans sa nouvelle demeure corse.

Les racines du système remontent à l’époque où les Européens arrivent en Afrique, en se « déboutonnant », enclenchant une relation fondamentalement corrompue. Mais il faut être deux pour danser le tango, alors que dire du rôle des leaders africains ? « Si j’étais à leur place, reconnaît Smith, je continuerai d’investir dans la France. Car l’ONU, le FMI … continueront de demander son assistance si besoin, même si son bras de levier n’est plus aussi efficace. Les choix des présidents africains continuent d’avoir de l’importance ».

Il est clair que le système des valises va perdurer, pour s’élargir sans doute à de nouvelles puissances – USA, Chine, Brésil, Inde et Afrique du Sud – et ironie du sort, le taux de croissance du continent étant de 5,5 %, il est bien possible que la capacité de l’Afrique à influencer et corrompre les affaires du monde… augmente.

Michael Schmidt (traduction de Cuervo, AL Banlieue Nord-Ouest)

[1Un bon exemple de ces affaires est celui d’António Cunha Vaz. Voir « Portugal Turns to Former Colony for Growth » dans le New York Times du 13 juillet 2010

[2En français dans le texte, ndt

[3Né à Dakar d’une famille libano-française, admis au barreau de Paris, ancien conseiller de Chirac et Villepin, décoré de la Légion d’honneur en 2007 par Sarkozy

[4Voir « Jacques Chirac ’regularly received cash from African leaders’ »dans le Telegraph du 11 septembre 2011.

 
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